Le leadership, quand il n'y a personne à diriger

23. 11. 2021

6 min.

Le leadership, quand il n'y a personne à diriger
autor
Paul Herbert

Rédacteur

prispievatel

Dans cette série consacrée au leadership en start-up, Ben Prouty nous fait découvrir différents styles de leadership, ainsi que les pièges et les besoins que peuvent rencontrer les entrepreneur·e·s entre la naissance de leur boîte et l’éventuel succès financier. Ayant participé à la création de quatre start-ups différentes, Ben a acquis une connaissance précieuse de la nature toujours changeante du leadership au sein de ces organisations.

« J’imagine que ça y est, on est une entreprise maintenant » voilà ce que je dis à mon partenaire et ami depuis dix-huit ans alors que nous récupérons les clés de notre minuscule nouveau bureau. Nous sommes à l’été 2016 et lançons avec enthousiasme notre première entreprise ensemble, celle dont nous parlions depuis des années. Jusqu’à présent, le timing n’avait jamais été bon. Jan avait fait carrière, gravissant les échelons dans son entreprise, tandis que j’étais coincé dans une succession de start-ups qui absorbaient mon énergie vitale. Je n’avais pas assez de temps pour songer à construire quelque chose de nouveau avec lui.

L’occasion s’est finalement présentée et, après nous être armés d’une longue liste de tâches à accomplir, nous avons estimé que nous avions à nous deux tous les éléments nécessaires à la construction de cette société. Il n’y avait qu’une petite ombre au tableau : nous n’avions pas vraiment réfléchi à l’incidence que peut avoir le leadership, surtout quand il s’exerce entre deux cofondateurs, qui plus est quand ils sont les meilleurs des amis. Quand on constate, selon les statistiques de 2019, que près d’un quart des start-ups échouent en raison des faiblesses de l’équipe fondatrice, nous savions que c’était là un point sur lequel nous devions nous focaliser.

Pourquoi était-il si important de se pencher sur cette question si tôt dans la vie de notre entreprise ? Nous n’avions pas d’équipe, ne pouvions-nous pas attendre pour nous en occuper ? En réalité, on commence à diriger sa start-up à partir du moment même où l’on décide de concrétiser son idée.

Savoir qui est responsable, c’est fondamental

Si vous créez votre entreprise seul, vous vous dirigez vous-même. Sans avoir de compte à rendre à un supérieur ou à une équipe, vous devez devenir votre propre manager. Cela implique d’établir un plan dans le temps et de respecter vos délais ; de faire ce que vous avez dit que vous feriez, quand vous avez dit que vous le feriez, même en l’absence de conséquences directes sur vous si vous ne respectez pas votre parole… La plus grande conséquence étant tout de même que votre entreprise ne réussira pas.

Rassurer les investisseurs

Si vous avez la chance d’avoir des investisseurs à ce stade précoce, vous êtes également le leader de l’entreprise à leurs yeux et vous devez agir comme tel. Ce type de leadership implique d’être la figure de proue de l’entreprise. Vous n’avez pas de troupes à rallier à ce stade, mais vous donnez le cap de l’entreprise pendant cette phase critique. Vous devez adopter un persona plus grand que nature qui puisse rassurer vos investisseurs sur votre capacité à gérer le large éventail de tâches et de fonctions qui vous sont demandées au quotidien. Ils doivent vous voir agir comme un visionnaire qui transformera leur investissement en licorne !

## Mettre en place des processus de décision, même quand on est deux

Lorsque vous êtes cofondateur, vous dirigez déjà une équipe, même si elle est très petite. Aussi absurde que cela puisse paraître à l’époque, mon ami et moi avions décidé d’établir une hiérarchie et de mettre en place des processus de décision. Cela pouvait sembler exagéré, mais avec le recul, c’était une étape essentielle au succès de l’entreprise et cela a probablement contribué à préserver notre amitié. Nous avions fixé des heures pour les “réunions d’équipe” et un espace désigné pour faire nos réunions de gestion hebdomadaires. Nous faisions littéralement rouler nos chaises à deux mètres de nos postes de travail, jusqu’à notre “espace de réunion”, juste pour créer un sentiment de formalité et donner de l’importance à ces sessions. Lorsqu’est venu le temps de prendre des décisions, nous avons convenu que mon rôle de directeur général me donnait le dernier mot. Si nous avions accordé le même poids au statut de cofondateur que nous portions tous les deux, cela aurait pu nous bloquer au quotidien. Cela ne veut pas dire que j’outrepassais tous les processus de décision, mais chaque fois que nous ne pouvions pas déterminer ensemble la marche à suivre, je tranchais et nous allions de l’avant.

Cette transparence nous a permis d’avancer très rapidement et d’éviter le type de ressentiment qui peut naître entre deux cofondateurs qui n’auraient pas eu cette discussion et qui auraient le même poids dans chaque décision. Cette complexité supplémentaire explique peut-être pourquoi 13% seulement des travailleur·se·s britanniques déclarent qu’ils / elles choisiraient de créer une entreprise avec un·e ami·e.

S’accorder sur les principes fondamentaux de son leadership

Les décisions de ce type ont une incidence sur votre start-up au moment où elles sont prises, et impactent aussi l’avenir de votre entreprise. Dans notre cas, mon ami et moi savions que notre société allait évoluer rapidement, que nous allions recevoir des fonds supplémentaires à intervalles rapprochés et que nous pourrions bientôt constituer une équipe et agrandir nos bureaux – nous avons fini par avoir 35 personnes et trois bureaux en deux ans seulement.

Les processus que nous mettions en place étaient conçus de façon à nous imposer une discipline pour que l’entreprise soit prête à accueillir nos employés dès leur embauche. C’était l’occasion pour nous de mettre en pratique et d’ancrer le style de leadership que nous voulions faire rayonner. Dans une petite équipe qui se développe rapidement, la culture peut être façonnée en quelques jours et à travers une poignée d’événements ou de décisions (bonnes ou mauvaises). En déterminant ces “règles” avant qu’il y ait des personnes réelles dans le “système”, nous avons pu façonner nos styles de leadership sans les contraintes ou la précipitation que nous aurions eues à des stades plus avancés.

Il y avait un certain nombre de principes clés que nous défendions en tant que dirigeants. Ils étaient essentiels pour nous que l’entreprise les incarne :

  • Initiative et responsabilité
  • Ponctualité et respect

Nous voulions diriger en gagnant le respect, plutôt qu’en exerçant simplement l’autorité. Dans un rapport publié par McKinsey en 2020, 75% des personnes interrogées ont déclaré que leur supérieur immédiat représentait l’aspect le plus stressant de leur travail. Nous voulions être différents. Il était important pour nous que chacun·e dans l’entreprise ait une voix et que personne ne soit inaccessible. Le revers de la médaille, c’est que chaque employé·e devait prendre des initiatives et être responsable de ses actes. On peut penser qu’il y a des choses plus importantes que la ponctualité, mais pour nous, cela signifiait faire preuve de respect envers ses coéquipier·e·s. En tant que fondateurs, nous devions établir la norme dans chacune de nos interactions.
Regarder plus souvent vers l’avenir

Si je pouvais revenir en arrière et faire une chose différemment en tant que dirigeant, ce serait de regarder plus souvent vers l’avenir. Dans cette phase de démarrage, on est complètement absorbé par le quotidien et on voit rarement au-delà. Même s’il est important de se concentrer sur le présent, en tant qu’entrepreneur·e, vos partenaires cofondateurs et vos investisseurs veulent aussi sentir que vous envisagez la vie de votre compagnie bien au-delà des limites de votre trésorerie actuelle. Si vous n’y croyez pas, qui d’autre le fera ? Aussi difficile que cela puisse être de le faire certains jours, il vous incombe de communiquer régulièrement la vision que vous avez pour votre entreprise et de renforcer la confiance dans l’idée qu’un tel avenir existe.

Se préparer pour la prochaine étape

Nous avions alors ce que nous pensions être des processus solides et une feuille de route pour orienter notre leadership. À ce stade, celle-ci se concentrait principalement sur la répartition des tâches de direction entre nous, les cofondateurs. Pour les nouveaux employé·e·s, je devais être le leader stratégique de l’entreprise et leur responsable hiérarchique. Mon cofondateur devait être une figure de proue que les salarié·e·s pourraient prendre comme exemple, à qui ils / elles pourraient se confier et dont ils pourraient s’inspirer, mais sans qu’il ait à assumer le poids de la gestion. C’était le plan, mais le moment était bientôt venu de le mettre à l’épreuve par l’entremise de notre premier employé. Tout ce qui fonctionnait bien en théorie allait être remis en question dans la pratique. Les cofondateur·rice·s et les investisseur·rice·s apprécient les défis d’une start-up et comme ils / elles savent généralement dans quel parcours chaotique ils / elles se sont engagé·e·s, ils / elles ont tendance à pardonner les erreurs. Un·e salarié·e rejoint l’entreprise avec l’espoir d’avoir un travail structuré, épanouissant et gratifiant – un tout autre niveau d’attente.

Avec l’arrivée des employé·e·s, il faut pratiquer une positivité absolue chaque fois que vous ouvrez la porte du bureau – quelles que soient les nouvelles que vous venez de recevoir. C’est une chose que vous n’aviez pas à faire lorsque vous étiez seul·e avec votre cofondateur·rice. Vous devez également prévoir des entretiens individuels au cours desquels il faut se préparer à donner des réponses plus que concises sur l’évolution de l’entreprise et les possibilités d’évolution de carrière. Des études ont montré que 80% des employé·e·s de start-ups technologiques ont envisagé de quitter leur poste en raison d’un mauvais style de management ou d’une culture d’entreprise médiocre. Ainsi, la feuille de route que nous allions établir en matière de leadership devait non seulement être solide pour nous mais aussi pour l’ensemble de l’entreprise et de ses salarié·e·s..

Photo par Thomas Decamps
Article traduit de l’anglais par Paul Herbert, édité par Ariane Picoche

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