« Avis à mes proches : être indépendant ne veut pas dire se la couler douce »

20. 1. 2021

6 min.

« Avis à mes proches : être indépendant ne veut pas dire se la couler douce »
autor
Pauline Allione

Journaliste independante.

Contrairement à une croyance populaire un brin fantasmée, le travailleur indépendant n’est pas libre comme l’air. Il ne bosse pas dans un hamac avec son PC sur les genoux, ses horaires ne sont pas flexibles à souhait, et les heures supp’ font (trop) souvent partie de son quotidien. Pourtant, de nombreux freelances sont confrontés à la conception de leur entourage, pour qui être indépendant est d’abord synonyme de “dolce vita”. On a demandé à plusieurs d’entre eux comment ils étaient parvenus à faire comprendre à leurs proches qu’eux aussi, faisaient un “vrai” travail. Et que non, là tout de suite, ils ne pouvaient pas faire une lessive, préparer le dîner ou emmener le petit chez l’orthophoniste.

« Il est nécessaire de présenter son métier avec aplomb, dans des mots valorisants » - Mélanie, consultante et formatrice en gestion et marketing à Saint-Geniès-de-Comolas, 31 ans.

Quand j’ai lancé mon activité de consultante indépendante, j’ai commencé à travailler depuis chez moi. Les premiers mois n’ont pas été faciles : alors que j’étais très prise par le démarchage, l’administratif et la comptabilité, mon conjoint me demandait tous les jours de faire des courses ou du ménage. Un jour où il n’avait pas de chaussettes propres il m’a engueulé, car selon lui je n’avais « que ça à faire de la toute journée. »

Sans surprise, c’est à partir du moment où j’ai commencé à rentrer du chiffre que ça a fait tilt. Mais il l’a aussi compris à travers les discussions que nous avions à table : comme notre fils était petit, on se racontait nos journées en détail tous les soirs. Au fil de ces échanges, il a réalisé que je travaillais bel et bien, et que je ne passais pas mon temps à traîner à la maison.

La communication est importante pour amener nos proches à comprendre notre mode de travail. Je pense qu’il est nécessaire de construire son pitch, afin de pouvoir parler de son métier dans des mots professionnels et valorisants. Ça permet aussi de présenter son activité avec aplomb lorsque la famille ou les amis posent des questions, et de montrer qu’il ne s’agit pas d’un loisir.

« Une personne qui se moque de votre fonctionnement n’a pas sa place dans votre vie » - Laetitia, journaliste pigiste à Paris, 30 ans.

J’ai commencé à piger en 2013 à ma sortie d’école, et si mon père a très bien compris le principe, ça a été plus compliqué quand j’allais passer quelques jours chez ma mère, qui me reprochait d’être « toute la journée sur mon ordinateur. » J’ai aussi rencontré pas mal de difficultés avec certains amis qui me reprochaient d’être moins disponible, et ne comprenaient pas que je n’avais ni RTT, ni congés payés. Une soirée posée pour aller boire des bières, ça voulait dire 100 euros de moins sur mon compte en banque à la fin du mois mais ça, ils ne l’intégraient pas…

Ça m’a finalement permis de faire pas mal de tri, et les personnes qui ne comprenaient pas que mes horaires puissent m’imposer de travailler en décalé ont fini par sortir de ma vie. Je n’ai gardé que le noyau dur de personnes qui acceptaient mon emploi du temps, parfois contraignant. Bien sûr avant d’en arriver là, il est important d’expliquer clairement les choses à ses proches. Mais pour ceux qui refusent de comprendre, pourquoi ne pas faire le ménage ? Une personne qui se moque de votre mode de fonctionnement, qui estime que vous n’avez pas un vrai travail, ou qui n’accepte pas vos horaires décalés n’a peut-être pas sa place dans votre vie.

« Il ne faut pas rester seul ! C’est important de s’entraider, surtout dans le monde des indépendants » - Antonin, graphiste à Villiers-sur-Marne, 24 ans.

Avant de me mettre à mon compte, j’ai refusé un CDD très bien payé dans lequel j’ai senti que je ne m’épanouirai pas. Mon entourage me l’a reproché, et c’est une des raisons pour lesquelles ils ont été sceptiques à mes débuts en tant qu’indépendant. D’autant qu’au bout d’un an je ne rentrais toujours pas beaucoup de chiffre d’affaires, ce qui les a confortés dans l’idée que je perdais mon temps et que j’avais surtout besoin d’un autre boulot à côté.

J’ai pu discuter de ma situation avec des confrères pendant une réunion de freelances, et ça m’a vraiment aidé à y voir plus clair. Bénéficier de leur expérience et de leurs conseils m’a permis de mieux comprendre ma famille et leurs inquiétudes, mais aussi de voir de quelle manière je pouvais les rassurer, tout en évitant une confrontation brutale.

Si on se sent démuni face aux remarques de notre entourage et que l’on ne sait pas comment réagir, il ne faut pas rester seul ! Il y a des tas d’autres indépendants qui sont dans la même situation ou qui l’ont probablement été, et qui peuvent apporter leur aide. C’est important d’être bien entouré et de s’entraider, surtout dans le monde des indépendants.

« Mon travail est plus concret depuis que je sépare physiquement le professionnel du personnel » - Cécile, relieuse d’art à Strasbourg, 40 ans.

J’ai pris un grand virage professionnel lorsque j’ai quitté mon poste d’administratrice au Parlement européen pour devenir relieuse d’art, et l’installation de mon atelier à la maison a généré plusieurs changements qui n’ont pas été faciles à intégrer pour mon conjoint. Et comme j’étais à la maison, il a très vite commencé à me demander de plus en plus de choses : faire du ménage, emmener le petit à tel ou tel rendez-vous…

Tout a changé il y a quelques mois, quand mon mari s’est retrouvé en télétravail avec le confinement et que de mon côté, j’ai loué un local pour développer mon activité. Le fait d’expérimenter le travail à domicile lui a enfin fait comprendre que même si on est à la maison, on bosse. Et que non, on ne peut pas faire de ménage durant une journée de boulot.

D’un autre côté, louer un local m’a permis de bénéficier d’un véritable espace de travail, ce qui est à mon sens primordial : une table dans le salon ne suffit pas. Pour moi comme pour mon conjoint, la frontière est plus nette depuis que je sépare physiquement le professionnel du personnel, et que cette proximité avec mon domicile a disparu. Inconsciemment, il a pu constater de manière plus concrète l’existence de mon travail.

« L’important est de garder son énergie pour poursuivre dans sa voie » - Michèle, opticienne et lunetière à Paris, 60 ans.

J’ai monté mon entreprise d’optique en 1987, mais le regard des autres a changé quelques années plus tard, quand j’ai commencé à créer et customiser des montures de lunettes. Pour ma famille et mes amis, mon travail s’est transformé en hobby, ils pensaient que je m’amusais. Je recevais des remarques comme « Mais toi c’est pas pareil, tu ne travailles pas comme moi. » Pas facile à encaisser, quand on a mal partout à cause d’un travail manuel auquel on est parfois 7 jours sur 7, jusqu’à 14 heures par jour.

Un jour, j’ai entendu une autrice en motivation expliquer que si on avait un projet professionnel, il fallait s’entourer de gens qui croient en vous. Et effectivement, ceux qui continuent à me parler de hobby alors que je bosse pour payer mes factures, et ignorent le fait que j’ai des charges et responsabilités, comme tout le monde, ont tendance à m’agacer.

Devoir constamment se justifier pour faire comprendre qu’un métier créatif est avant tout un métier peut être épuisant. L’important est de tenir bon, et de garder son énergie pour poursuivre dans sa voie. Après tout, on ne vit pas pour les autres.

« Détailler toutes les étapes de son travail peut s’avérer pertinent » - Pierre-Yves, 43 ans, photographe, réalisateur et créateur d’événements à Paris, 43 ans.

Dans beaucoup de métiers, nos amis peuvent devenir les premiers de nos clients, mais dans mon cas, ils ont longtemps été les derniers. Ils ne me soutenaient pas vraiment, puisqu’ils ne saisissaient pas ce que je faisais : ni ma charge de travail, ni les frais que j’engageais, ni l’aspect technique de mon travail… Comme ils pensaient que j’étais en vacances, ils trouvaient mes tarifs élevés, pour quelqu’un qui fait un métier artistique et donc “passionné”.

Les mentalités changent doucement puisqu’il y a de plus en plus d’indépendants, mais c’est aussi à force d’en discuter qu’ils m’ont accordé plus de crédit. Pour bien amener les choses, il faut devenir un excellent commercial et décrire sa charge de travail à son entourage, un peu comme on le ferait avec un client dans un devis. Détailler toutes les étapes de son travail, notamment dans un domaine artistique, peut s’avérer pertinent : dans le cas du photographe, il n’y a pas “juste” à prendre une photo, mais un paquet d’autres choses à faire en amont. C’est ça qu’il faut arriver à expliquer, tout en restant pédagogue.

Un juste dosage de patience, de pédagogie et de fermeté est bien souvent nécessaire pour cette minorité (grandissante) que sont les indépendants, afin de gagner en crédibilité aux yeux de leur entourage. Mais si le message ne passe pas, inutile de dépenser toute son énergie à se faire comprendre : décrocher ses premières missions est déjà suffisamment complexe.

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Photo par WTTJ

Preberané témy