Covid : les envies de campagne feront-elles renaître les petits commerces ?

26. 4. 2021

7 min.

Covid : les envies de campagne feront-elles renaître les petits commerces ?
autor
Hugo Nazarenko

Journaliste indépendant

Les confinements successifs, le déploiement du télétravail et les envies de vies “plus vertes” ont vu s’exiler de nombreux citadins vers les zones rurales, traduisant une volonté à l’œuvre depuis quelques années. Parmi eux, certain·e·s en profitent pour reprendre ou lancer des commerces de proximité : boulangerie, café, multi-services… Alors que 60% des communes rurales n’ont plus aucun commerce dans l’Hexagone, contre 25 % en 1980, un probable exode des travailleurs urbains pourrait-il faire revivre les campagnes ?

Il n’y a pas si longtemps, Gwenaëlle et Philippe Le Galèze couraient après le temps. Elle tenait une sandwicherie sur le parvis de la Défense, où fourmillent chaque jour des centaines de milliers de cadres pressés. Lui gérait un bar à vins à Versailles, non loin du Château. L’Île-de-France les angoisse, et en 2019, le couple de quarantenaire cherche « à quitter la ville et la foule ». Premier déménagement. Direction Saint-Brévin : une petite ville de 15 000 habitants en bord d’Océan, juste en face de Saint-Nazaire. Ils achètent un food-truck. Un an après, comme toute la France, ils sont confinés. « Depuis qu’on s’est rencontrés, Philippe me parle d’un rêve qu’il a depuis des années : ouvrir un bistrot dans un petit village. La ville, même petite, on n’en voulait plus. On a profité du confinement pour débuter des recherches. »

Rapidement, le couple tombe sur le site de l’organisation 1000 cafés, qui met en relation des villages qui ont perdu tous leurs commerces avec de potentiels repreneurs. Ils visitent un premier village près d’Angers, « trop désert, on ne s’y projetait pas ». On leur parle ensuite de Fercé-sur-Sarthe, dont ils tombent sous le charme. En septembre 2020, ils atterrissent dans ce village rural de 600 âmes, qui ne compte qu’une église et une école. « Quand on est arrivés, les habitants nous ont raconté la vie ici, mais ils ne parlaient que des années 2000 quand il restait des commerces. Comme si les dix dernières années n’avaient pas existé » se remémore Gwenaëlle. En janvier dernier, leur café multi-services a pu ouvrir ses portes, même si les chaises et les tables n’ont pas encore envahi la place du village – mesures sanitaires obligent. Le couple assure la tenue d’une épicerie et préparent des plats à emporter. « On a été très bien reçus dès le début, les habitants sont très heureux de pouvoir faire les courses ici, mais surtout ils passent du temps ensemble à nouveau. Les gamins viennent ensemble, ils s’achètent une boisson, des bonbons et ils passent l’après-midi sur la place avec leur goûter. On se sent utiles, ça fait revivre un lien social. »

Des initiatives pour attirer les repreneurs

Combien de citadins, avides de vert et de sens, ont repris des commerces dans des petits villages ces dernières années ? Pour l’heure, il existe peu de chiffres sur la question. Mais plusieurs initiatives visent à réinstaller des commerces dans des zones qui en sont privées, s’appuyant sur les velléités de départ d’urbains lassés. Ainsi le programme 1000 cafés, né en 2019 pour répondre à un implacable constat : « Au moment de la crise des Gilets Jaunes, nous avons vus des milliers de gens se rassembler sur les ronds-points, particulièrement dans les territoires ruraux » se souvient Sophie Le Gal, la directrice du programme. « Le constat était simple, s’il se rassemblaient là, c’est aussi parce qu’il n’existait pour eux aucun autre endroit pour échanger, discuter, débattre. Tout le monde a le droit à un lieu de convivialité. » Le programme est lancé dans la foulée, soutenu par l’association Groupe SOS. L’idée : aider des villages de moins de 3 500 habitants, dépourvus de commerces, à accueillir des lieux de convivialité multi-services, avec un objectif final de 1 000 installations.

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« On travaille en lien avec les mairies » reprend Sophie Le Gal, « on essaie de sonder les besoins auprès des maires et des habitants pour assurer la pérennité du lieu. Ensuite, le fonds de commerce est assumé par le réseau 1000 cafés, ce qui permet de diminuer les risques financiers pour les porteurs de projets. » Depuis le lancement, près de 950 communes se sont portées candidates, 80 candidatures ont été retenues. En parallèle, 2 500 personnes se sont portées volontaires pour reprendre un de ces lieux, « parmi eux, il y a un grand nombre de citadins et le motif qui revient dans leurs motivations, c’est de quitter la ville. (…) Nous ce qui nous importe, c’est de trouver les bons candidats », ceux qui sauront s’adapter à leur environnement et gérer un commerce, à l’image de Philippe et Gwennaëlle.

Quête de campagne et métier précaire

L’annonce du premier confinement en mars 2020 a vu des millions de citadins quitter les villes pour se mettre au vert, pour un temps - et y prendre goût. La fermeture des bars et des restaurants, la mise sous cloche de la vie culturelle ont certes eu un effet accélérateur, mais cette tendance ne date pas d’hier. En 2019 déjà, un sondage IFOP révélait que 57% des habitants des métropoles souhaitaient quitter la ville pour aller s’installer à la campagne.

Mais malgré ces bruissements, les territoires ruraux demeurent aujourd’hui dans leur immense majorité des zones délaissées par les pouvoirs publics. C’est d’ailleurs ce que montrait ce même sondage IFOP : le manque de services publics est le premier frein à l’installation hors des villes. En France, près de 25 000 communes ne possèdent plus aucun commerce. Le probable exode des travailleurs urbains, dans la roue de la crise, pourrait-il alors se muer en aubaine pour la redynamisation des villages et l’installation ou la reprise de nouveaux commerces de proximité ?

« Pas vraiment » estime François Taulelle, géographe, professeur à l’Université de Toulouse et spécialiste de l’aménagement du territoire. « Les gens quittent le plus souvent la ville pour les zones périurbaines, pour garder leur boulot. De fait, ils consomment dans les villes. (…) Ce sont des commerces qui restent très précaires et même si les mairies cherchent à limiter les risques pour les commerçants en achetant le fonds de commerce par exemple, on voit qu’il y a beaucoup de rotation. Dans un village de l’Ardèche, sur lequel j’ai travaillé, en moins de dix ans, le café du village a changé six fois de locataires. Ce sont des métiers qui doivent nécessairement s’accompagner d’un projet de vie à part entière. C’est là que réside la difficulté pour les néoruraux qui décideraient de reprendre ce type d’activités. »

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C’est le manque de clientèle qui rend ces reprises précaires, sans même compter l’impact récent des mesures sanitaires liées au Covid-19. « Aujourd’hui, avec la crise on arrive tout juste à se sortir un salaire pour deux. Ça n’est pas la grande vie, mais on fait ce qu’on aime et c’est vraiment ce qui compte le plus à nos yeux » amorce Laurent Lefevre. A 58 ans, il vient de s’installer avec sa femme Karine Court à Mouhet dans l’Indre. 408 habitants au dernier recensement. Ensemble, ils ont repris la boulangerie du village, à l’abandon depuis plus d’un an et le départ à la retraite de l’ancien propriétaire. L’objectif était clair : retrouver du sens à leur vie professionnelle, après avoir frôlé le burn-out. « On a longtemps travaillé dans des hypermarchés comme manager de boulangerie à Montpellier, à Perpignan… Le rythme ne nous convenait plus, on ne se sentait pas épanouis. J’ai vu passer les annonces de SOS Villages au JT de TF1 (le site internet publie les annonces des villages qui cherchent des repreneurs pour les commerces, NDLR) et j’ai décidé d’envoyer ma candidature. Six mois ou un an après, j’avais presque oublié cette histoire quand j’ai reçu un appel qui disait que mon projet avait été sélectionné. La mairie de la commune a investi dans le four à hauteur de 30 000 euros et on a pu se lancer en décembre. L’accueil a été excellent, les habitants sont vraiment ravis d’avoir à nouveau une boulangerie. »

« Je suis parfois la seule personne que (les personnes âgées) verront de la journée »

Aux fins de mois difficiles, il faut ajouter une autre difficulté, plus intime, inévitable lorsque l’on s’installe loin de ses bases. Laurent Lefèvre, le nouveau boulanger de Mouhet : « Pour nous, ce qui est le plus dur, c’est d’être à 600 kilomètres de nos familles. C’est vrai que les proches nous manquent, on ne peut pas se voir souvent. » Pour le couple de boulangers, le quotidien est éprouvant. Chaque matin, Laurent prend sa camionnette et part livrer dans les hameaux alentour. Au total 150 km par jour. Une nécessité. Pour être rentable, un commerce doit toucher entre 1 200 et 1 500 clients potentiels. Dans ce village isolé de l’Indre, cela nécessite de prendre la route. « On travaille beaucoup mais c’est l’un des plus beaux aspects du métier » explique Laurent Lefèvre, « on arrive parfois chez des personnes âgées qui vivent dans des lieux isolés et qui nous remercient d’être là, je suis parfois la seule personne qu’elles verront de la journée. C’est émouvant et ça nous rend fiers. »

Mais si le lien social est un moteur pour celles et ceux qui partent reprendre des commerces à la campagne, la vie dans les villages réserve aussi son lot de conflits. Aurore Ladurelle s’est installée dans le village d’Accolay dans l’Yonne en 2016. Depuis plusieurs années, les 380 habitants ne disposaient plus d’aucun commerce. La construction d’une route nationale à plusieurs kilomètres de là a précipité le départ des commerçants et des artisans et plus personne ne passait par le village, autrefois célèbre pour ses potiers. Aurore Ladurelle se remémore un accueil à bras ouverts : « mon installation s’est très bien déroulée, les gens se retrouvaient à la terrasse du café. J’avais lancé un financement participatif pour ouvrir ce commerce et les gens du village ont bien aidé.»

En 2018, les choses se compliquent. L’émission Des Racines et des Ailes (France 3) diffuse un sujet sur le café de la néo-rurale et sur son rôle dans la renaissance du village. « C’est assez mal passé auprès d’un certain nombre d’habitants. Ils disaient que les médias ne s’intéressaient à eux que parce qu’une parisienne était arrivée, qu’ils ne m’avaient pas attendus pour vivre. C’est sûr que ça a tendu les rapports, mais je suis toujours là aujourd’hui et bien décidée à rester. Malgré les difficultés, on sait pourquoi on fait ça et c’est la seule chose qui compte : recréer de l’échange, du lien entre les gens. »

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Il faut dire aussi que l’exode urbain ne coïncide pas toujours avec les intérêts des communes les plus reculées. Vincent Grimault est journaliste, on peut le lire dans le magazine Alternatives Economiques et en librairie, où il a publié La Renaissance des campagnes, une enquête sur les zones rurales qui se réinventent aux quatre coins de la France. « Les communes de campagne cherchent à attirer des Parisiens, des Lyonnais et des habitants de métropole depuis 20 ou 30 ans. »

Une obsession qui, selon lui, n’ira pas sans une réflexion plus large. « Il est toujours assez difficile de se positionner sur ces politiques d’attractivité. Quand les citadins s’installent, cela peut effectivement représenter des revenus pour les villages, mais il ne faut pas négliger en parallèle les investissements dans les services pour les habitants. La réponse apportée à la problématique de l’exode rural me donne parfois le sentiment d’une baignoire dont on ouvrirait le robinet sans avoir d’abord cherché à combler les fuites. » Comme un serpent qui se mordrait la queue. Car c’est bien la pénurie de crèches, pharmacies ou bureaux de postes dans les zones rurales, qui pourrait avoir raison d’une ruée massive vers les campagnes pour les citadins, habitués à un haut niveau de services.

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Photos by Thomas Decamps pour WTTJ ; Article édité par Clémence Lesacq

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