E-reputation : notre usage d’Internet peut nuire à notre employabilité

30. 11. 2020

8 min.

E-reputation : notre usage d’Internet peut nuire à notre employabilité
autor
Cécile Pichon

Rédactrice

La recherche d’emploi est souvent la période où l’on s’intéresse à sa visibilité en ligne : qui peut voir mon profil, et que voit-on quand on tape mon nom sur Google ? Et c’est là que l’on découvre cette photo antédiluvienne sur le site du club de foot de notre jeunesse, ce cliché gênant d’une soirée (trop) arrosée, cette nomination au concours de poésie de notre ville ou autre dossier que l’on croyait depuis longtemps classé… Mais qui voit quoi sur nous ? Notre présence en ligne peut-elle réellement nuire à notre carrière ? Comment s’assurer de garder la mainmise sur ce qu’Internet recrache de nous ?

Nous avons échangé avec des experts de la question : Christophe Alcantara est un spécialiste de l’e-reputation, il travaille comme enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Toulouse 1 Capitole. Malik Amghar, lui, a créé ProPR Consulting, une entreprise pour aider les jeunes professionnels à protéger leur e-réputation en proposant un nettoyage de leurs réseaux sociaux. Ils nous partagent leurs réflexions et leurs conseils….

Réputation et e-réputation, qu’est-ce qui a changé ?

Pas de bruit sans audience

La réputation, un truc de l’ancien temps ? Vous trouvez que cela fait un peu ragot de village ? Ce n’est pas complètement faux… « Au fond, c’est la notion d’audience qui génère un enjeu de réputation », explique Christophe Alcantara pour introduire notre réflexion, « la réputation, c’est ce qui est visible, ce qui va être dit sur vous, en tant que sujet, à un instant T, et qui est visible par une audience. » La réputation peut être décrite comme la perception qu’un groupe a d’une personne ou d’une chose. Si a l’origine, le terme réputation était positivement connoté (“ce théâtre est très réputé”), le mot peut aujourd’hui être aussi utilisé de manière négative : on a une “bonne”, ou une “mauvaise” réputation…

E-réputation, un véritable changement d’échelle !

Depuis l’avènement d’Internet, notre réputation est confrontée à un véritable changement d’échelle qui en amplifie potentiellement l’importance et les conséquences, comme l’explique Christophe Alcantara : « Dans la notion d’e-réputation, on trouve en plus l’instantanéité, l’ubiquité et la viralité des réseaux sociaux. La puissance médiatique en démultiplie les effets. »

L’information que l’on publie sur un blog ou un réseau social devient immédiatement consultable par des centaines de milliers d’internautes partout dans le monde. « En fait, ce que l’on publie sur Internet devient non pas une information privée mais une information publique, et potentiellement l’audience peut devenir vite énorme », précise le chercheur qui a constaté trop souvent le désastre que peut causer un tweet parti trop vite.

Le temps passe, la trace reste… Et parfois, cela peut être fatal. Vous vous sentez aujourd’hui irréprochable, mais cela n’a peut-être pas toujours été le cas ! Or, une publication que vous aurez postée il y a dix ans et oubliée depuis, peut vous revenir en mode boomerang, parce que quelqu’un aura fait un travail d’investigation poussé sur vous… C’est d’ailleurs ce qui arrive toutes les semaines à des personnages publics !

Vertueuse ou douteuse, les conséquences de votre e-réputation sur votre carrière

Parler d’e-réputation pour les personnalités publiques, cela semble logique, mais vous vous demandez qui peut bien s’intéresser à votre vie… N’est-ce pas un peu déplacé dans le cadre de la vie professionnelle ? Rien n’est moins sûr…

L’e-réputation et recrutement : la première impression est-elle la bonne ?

Si ce que vous faites durant vos vacances ne regarde pas directement le recruteur, il est susceptible cependant de s’y intéresser… En effet, comme il veut être sûr de faire le meilleur choix en termes de compétences, mais aussi d’adéquation avec l’équipe et l’entreprise, il va chercher un maximum d’informations pour guider sa sélection… « Le recruteur veut minimiser le risque de se tromper dans son recrutement, il veut pouvoir au maximum appréhender le profil. Il n’a pas le droit à l’erreur donc il a besoin de recueillir le plus d’informations possible sur le potentiel collaborateur », explique Christophe Alcantara. Un phénomène qui est d’autant plus vrai sur les postes à responsabilité : « On peut chercher à voir s’il n’y a pas des interférences entre ce que le candidat dit de lui et d’autres images qu’il peut y avoir de lui dans sa vie personnelle, associative… », ajoute le spécialiste.

Vous aurez beau soigner votre candidature, votre présence en ligne peut vous jouer des tours, comme l’explique Malik Amghar : « Quand un recruteur trouve des choses négatives ou suspectes sur une personne, soit l’entretien ne se fera pas, soit il part avec de gros aprioris… » Quelques photos pas nettes ou un tweet un peu virulent peuvent venir semer un doute dans la tête du recruteur…

L’analyse de nos données est-elle bien éthique ?

Les recruteurs mènent leur petite enquête, certaines grandes entreprises ont même des logiciels spécialisés pour cela, mais à l’ère de la protection des données, est-ce bien éthique ? Malik Amghar le rappelle, si ces logiciels semblent agir comme des détectives privés, ils sont dans leurs bons droits : les informations qu’ils recueillent avec certes beaucoup d’agilité sont toutes publiques, leur recueil est donc légal !

« Le problème, ce ne sont pas les informations collectées, mais plutôt ce que le recruteur fait de ces informations, et c’est là que cela peut être un peu limite… », précise-t-il. Imaginez par exemple que l’outil détecte que vous avez signé une pétition il y a trois ans pour défendre la chasse ou pour soutenir la construction d’une salle de prière, et que ces engagements entrent en collision avec les valeurs personnelles du recruteur ou celles de la boîte… Il y a de grandes chances pour que, malgré lui, il soit tenté de vous discriminer. « En fait, ce n’est pas l’outil qui n’est pas éthique, c’est son utilisation », rappelle Malik Amghar. Et quand la situation devient critique, l’entrepreneur le rappelle, il ne faut pas hésiter à faire valoir vos droits en vertu du RGPD.

Carrière et e-réputation : comment notre e-réputation peut stopper net notre carrière ?

En constituant leurs équipes, les entreprises cherchent des personnes sur la même longueur d’onde, en accord avec leurs valeurs : par exemple, ce serait bizarre pour Apple d’embaucher une personne anti-technologie alors que la société a contribué très fortement à la démocratisation de cette dernière ! C’est avant tout dans un souci de cohérence que les entreprises se montrent prudentes dans leurs évaluations. En effet, comme l’explique Christophe Alcantara, il peut y avoir de véritables conflits entre l’identité professionnelle de la personne et son identité personnelle : « Les salariés n’ont pas du tout conscience que ce qu’ils vont publier sur les réseaux sociaux peut avoir des conséquences sur l’image de leur future entreprise. »

Les entreprises ne veulent pas entacher leur image. Certaines activités de votre vie, même si elles n’ont rien à voir avec le boulot, peuvent cependant porter atteinte indirectement à la réputation de votre entreprise, comme cela a été le cas dans la polémique autour de ce couple de gérants de supermarché dont les photos devant un trophée en safari avaient circulé. L’activité de chasse - légale et autorisée - avait cependant heurté l’opinion publique de plus en plus sensible à la cause animale, forçant l’enseigne à se positionner et envisager le licenciement de ce gérant… Un bad buzz pour la marque, qui a voulu réagir pour ne pas perdre une partie de sa clientèle !

À l’heure où les entreprises s’appuient de plus en plus sur leurs clients pour faire leur renommée avec notamment les communautés d’influenceurs, elles ont tout intérêt à ce que leurs salariés portent eux aussi publiquement leurs valeurs.

Quelle stratégie choisir pour soigner son e-réputation ?

Pour vivre heureux, vivons cachés ? Une fausse bonne idée

Réduire sa présence en ligne, s’effacer des réseaux sociaux n’est pas forcément une stratégie qui paie, comme nous l’explique Christophe Alcantara : « Ce n’est pas parce que vous n’êtes pas présent sur Internet que les autres ne le sont pas pour vous ! » L’enseignant est bien placé pour le savoir : vidéo, enregistrements, il n’a pas la mainmise sur ce que ses élèves publient de lui… Quand on communique soi-même, on s’assure de garder le contrôle sur une bonne partie des informations nous concernant !

« On peut se cacher, mais il est pour moi plutôt intéressant d’avoir une présence cadrée, sur les réseaux. Pour le recruteur, cela humanise la candidature », suggère Malik Amghar. Si vous n’êtes pas présent en ligne, vous n’êtes pas visible, ce qui peut être louche ou vous rendre moins intéressant aux yeux des employeurs. Car c’est un peu comme la colonne “Centre d’intérêt” de votre CV, votre éventuel compte Instagram de photographe animalier contribue à vous rendre sympathique !

“J’assume, je dis tout” : attention à trop de présence ou trop de mise en scène

Puisqu’il semble intéressant de soigner sa présence, faut-il pour autant oser l’hyper transparence ? Voire devenir le community manager de sa propre vie ? Christophe Alcantara pense qu’il n’est peut-être pas nécessaire d’aller si loin : « Dans certaines écoles, les jeunes sont coachés, on leur dit “vous êtes une marque, vous allez faire du personal branding”… Au final, ça rend les profils interchangeables, ce n’est pas souhaitable. » Le risque est encore que toute cette communication trop travaillée semble impersonnelle et sonne faux, l’inverse de ce que recherchent les recruteurs qui ont envie de comprendre les personnes et voir qu’elles s’engagent. La qualité, mais aussi la fréquence de votre présence en ligne qui peut envoyer différents signaux. Si vous êtes un adepte du serial posting, attention, vous risqueriez de faire redouter à un futur employeur des heures perdues sur les réseaux sociaux sur vos heures de travail.

Trouver la cohérence, soigner son apparence

Le réel challenge de l’e-reputation est de parvenir à faire cohabiter la pluralité de nos identités, comme l’explique le chercheur Christophe Alcantara. Que vous le veuillez où nous, vous ne montrez pas toujours la même facette de vous-même quand vous êtes au travail, en famille ou dans votre club de boxe préféré… « On a finalement une pluralité de profils, l’enjeu de l’e-réputation, c’est de trouver une cohérence entre ces identités », explique-t-il. Pour lui, un moyen de protéger son identité est, par exemple, de ne pas signer de son nom l’intégralité de sa présence en ligne : « Pour moi, il n’est pas nécessaire de mettre en permanence son nom partout où l’on s’inscrit ! J’ai très certainement signé lorsque j’avais 20 ans des pétitions qui me feraient rougir aujourd’hui. » Il peut être souhaitable de faire le point sur les sites où vous apparaissez, les associations, les clubs, et autres, quitte à se désengager de certains espaces ou de réclamer un droit à l’oubli !

Pour Malik Amghar, soigner son e-réputation est avant tout un réflexe à avoir dans n’importe quelle démarche de recherche d’emploi : « On essaie vraiment de sensibiliser les étudiants et de leur donner des bonnes habitudes lors de leurs préparatifs de recherche d’emploi : faire mon CV, mettre à jour mon LinkedIn, faire une lettre de motivation et nettoyer mes réseaux sociaux. » Une nouvelle routine qui fait partie des bons réflexes à avoir pour optimiser son e-réputation… Au-delà de la crainte d’être rattrapé par de vieux dossiers, l’entrepreneur le rappelle, les réseaux sociaux peuvent aussi ouvrir de nombreuses opportunités : « Il faut voir les réseaux sociaux comme un outil supplémentaire, ce n’est pas une garantie, mais cela peut être un véritable avantage et vous aider à mettre toutes les chances de votre côté. »

Vous l’aurez compris, ce qu’Internet dit de vous peut faire rapidement basculer votre réputation. Pour faire un choix de candidat, un recruteur peut s’y prendre comme on choisit un restaurant : en regardant les avis et informations qu’il trouve dans son moteur de recherche… Et là, mieux vaut avoir une bonne réputation que pas de réputation du tout ! On ne coupera pas à l’analyse de notre présence en ligne, alors puisqu’il est compliqué de se planquer, pourquoi ne pas savamment sélectionner ce qu’on laisse transparaître de soi sur Internet ? C’est en tout cas ainsi que conclut Christophe Alcantara : « En fait, ce qui est important, c’est de maîtriser un tant soit peu ce que l’on veut dire, gérer l’ouverture de la focale, entre ombre et lumière, gérer le clair-obscur de sa vie privée… » Dans la vie, tout est une question de mesure… Ni trop, ni trop peu, le secret de l’e-réputation ?

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Photo d’illustration by WTTJ

Preberané témy