"Dream Teams" ou comment créer des collaborations productives

03. 10. 2018

5 min.

"Dream Teams" ou comment créer des collaborations productives
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Dream Teams est le dernier ouvrage de Shane Snow, journaliste, fondateur de Contently et spécialiste en storytelling. L’auteur s’est intéressé à ce qui fait que certaines collaborations mènent au désastre, tandis que certaines équipes parviennent à récolter les fruits de succès spectaculaires. Qu’est ce qui différencie un bon travail d’équipe d’un mauvais ?

Shane Snow illustre son propos avec des exemples historiques, sociétaux et scientifiques, ce qui rend l’ouvrage très enthousiasmant à lire. Particulièrement pertinent concernant les relations dans l’enceinte de l’entreprise, Dream Teams a l’ambition de changer notre vision sur les gens, leur collaboration et leur réussite ensemble.

Diversité, perspectives et heuristiques

Shane Snow commence par démonter l’idée selon laquelle rassembler des personnes de mêmes origines permettrait de garantir le succès d’une équipe. En effet, dans ce cas, on pourrait imaginer qu’il n’y ait pas de conflit, pas de désaccord et une seule et même façon de penser. Seulement, dans les faits, on se rend compte que ce type de collaboration est beaucoup plus limité qu’avec une équipe composée d’individus avec des profils variés.

Ce qui rend une équipe successful, c’est la diversité de perspectives, c’est-à-dire la façon que chacun a d’appréhender le monde, et la diversité d’heuristiques, c’est-à-dire l’opération mentale qui permet d’émettre des jugements rapides et intuitifs. Keith Yamashita est coach en leadership et a travaillé avec Steve Jobs, Oprah Winfrey, ou encore Howard Schultz pour les conseiller sur leur façon de manager leurs collaborateurs. Selon lui, le recrutement d’une équipe est assimilable à un casting et nécessite de comprendre comment chaque membre fonctionne : quel est le moment de la journée où il est le plus créatif ? Comment gère t-il les conflits ? Dans quelles conditions aime t-il apprendre ? etc. L’objectif est de faire de ces différences une émulation positive pour que l’équipe soit plus efficace, plus forte et atteigne de plus hauts succès que la somme de ses membres. Ainsi, les différences cognitives nous rendent plus productifs ensemble pour parvenir à des solutions que personne n’aurait trouvé seul.

Le recrutement d’une équipe est assimilable à un casting et nécessite de comprendre comment chaque membre fonctionne.

Shane Snow prend l’exemple du FBI. Longtemps, les femmes ont été exclues de cette institution en raison de leur morphologie : elles avaient moins de force physique dans le haut du corps et donc ne pouvaient rivaliser avec les criminels qu’elles auraient à poursuivre. Or, on a fini par se rendre compte que c’était justement un atout, puisqu’alors les femmes appréhendaient de façon différente les problèmes et permettaient, dans la plupart des cas, de résoudre les enquêtes sans le recours à la violence, grâce à des analyses et déductions différentes de leurs collègues masculins. L’important dans une équipe est donc de faire en sorte que les différences de chacun des membres soient complémentaires les unes avec les autres, pour s’ouvrir des horizons plus larges que si on avançait seul.

Le paradoxe du conflit

Après avoir démontré que la diversité d’origines et de parcours menait à la diversité d’idées et d’opinions, et à une effervescence productive au sein d’une équipe, Shane Snow contrebalance cette idée avec le paradoxe du conflit. La diversité est une condition nécessaire mais pas suffisante à la réussite d’une équipe. En effet, la plupart du temps, cela crée avant tout des tensions, des conflits qui peuvent causer la perte de l’équipe s’ils ne sont pas maîtrisés, ou qui à l’inverse peuvent représenter de véritables opportunités.

Là encore, l’auteur oppose deux exemples intéressants et illustratifs. En 1998, l’entreprise américaine Chrysler est l’un des meilleurs designers de voitures au monde mais pêche un peu du point de vue de la production des véhicules. À l’inverse, en Allemagne, l’entreprise Daimler est réputée pour la production de voitures de qualité irréprochable mais a du mal à innover ses designs. Les deux entreprises fusionnent alors, pensant devenir le groupe le plus performant du monde en terme d’automobiles. Pourtant, cette fusion a été un échec cuisant, pour cause de désaccords culturels : les équipes américaines ne voyaient pas les choses de la même façon que les équipes allemandes et n’ont pas osé l’exprimer. Le manque de communication, le refus du conflit a mené à l’échec malgré tous les moyens réunis pour produire les meilleures voitures du monde.

Au sein d’un groupe ou d’une équipe, si la diversité est une richesse, elle apporte aussi inévitablement des divergences de points de vue, qu’il faut réussir à exprimer, maîtriser pour que le conflit soit productif et ne mène pas à l’échec.

À l’inverse, Shane Snow retrace l’histoire du Wu-Tang Clan, considéré aujourd’hui comme le groupe de rap le plus mythique. Les neuf membres du groupe venaient tous d’horizons différents, avec souvent un bagage lourd de délinquants. Il était très fréquent que des clashs éclatent pendant les sessions d’enregistrement ou d’écriture, et certains des rappeurs venaient même au studio avec des armes à feu à leur ceinture. Diggs, le leader du groupe et beatmaker, n’a pas voulu éradiquer cette conflictualité au sein du groupe et a plutôt essayé de la maîtriser, de la canaliser pour la transformer en quelque chose de créatif. Ainsi, il proposait des productions instrumentales sur lesquelles chacun des rappeurs devaient défendre son texte et ses points de vue. Le premier album du Wu-Tang Clan, 36 chambers est encore aujourd’hui considéré comme un chef d’œuvre.

Au sein d’un groupe ou d’une équipe, si la diversité est une richesse, elle apporte aussi inévitablement des divergences de points de vue, qu’il faut réussir à exprimer, maîtriser pour que le conflit soit productif et ne mène pas à l’échec. Shane Snow utilise la métaphore de l’élastique pour résumer la dynamique d’un groupe : il faut tendre l’élastique le plus possible pour l’envoyer loin, sans pour autant aller jusqu’à la rupture. C’est ce difficile équilibre que le journaliste recommande de trouver au sein d’une équipe pour qu’elle réussisse.

Le paradoxe du succès

Et justement, l’auteur de Dream Teams relève un autre paradoxe dans le travail d’équipe : celui du succès. En effet, si l’émulation de perspectives et d’heuristiques variées conduit à un premier succès, les membres de l’équipe auront tendance à glisser vers un consensus cognitif qui sera de moins en moins créatif. Ainsi, une équipe qui réussit est une équipe qui est amenée à moins réussir par la suite, parce qu’elle aura naturellement tendance à se reposer sur ses lauriers et à moins se challenger ! Shane Snow recommande donc de régulièrement introduire au sein d’une équipe, ce qu’il appelle des “angelic troublemakers” ; c’est à dire des personnes qui sont moins familières avec le projet et qui sauront apporter un regard neuf sur les décisions à prendre. L’important pour la dynamique d’une bonne équipe est de constamment la remettre en question, la provoquer, de maintenir une inertie et d’alimenter les frictions.

L’important pour la dynamique d’une bonne équipe est de constamment la remettre en question, la provoquer, de maintenir une inertie et d’alimenter les frictions.

Une marque de pansements leader sur le marché américain a vu ses ventes baisser, notamment les ventes concernant les pansements destinés aux cloques. Après plusieurs tentatives pour redresser la barre, le dirigeant a décidé non pas de faire appel aux consommateurs pour avoir leur avis et conseils, mais à des “angelic troublemakers” qui étaient particulièrement concernés par le problème. Il a donc appelé au sein de son équipe des militaires, qui doivent être opérationnels chaque jour pour parcourir des kilomètres à pied et qui font nécessairement l’expérience de plaies dans leurs chaussures ; ainsi que des strip teaseuses qui doivent s’accommoder de talons aiguilles pendant des heures et des heures. Ainsi, plutôt que de se concentrer sur le consommateur moyen, l’entreprise est allée chercher ceux qui étaient les plus souvent confrontés au problème pour bousculer ses équipes en R&D (Recherche & Développement). Le pansement qu’ils ont ainsi mis au point a séduit le grand public et les ventes sont reparties à la hausse.

L’ouvrage de Shane Snow et ses compétences en storytelling vous donneront de nouvelles perspectives sur comment réussir ensemble, et ainsi, pourquoi pas : changer le monde !

En conclusion, le travail de l’auteur montre que la constitution d’une équipe est un fragile équilibre à trouver entre la diversité d’opinions et façons de procéder, associé à une bonne gestion de la conflictualité et à un renouvellement permanent des frictions pour provoquer sans cesse la créativité des membres. L’ouvrage insiste sur l’importance de l’étape de casting pour parvenir à cette subtile combinaison. Que vous soyez le membre d’une équipe, son leader ou son manager, l’ouvrage de Shane Snow et ses compétences en storytelling vous donneront de nouvelles perspectives sur comment réussir ensemble, et ainsi, pourquoi pas : changer le monde !

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Photo by WTTJ

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