Comment les couples composent-ils face aux inégalités au travail ?

14. 2. 2022 - aktualizované 01. 2. 2022

7 min.

Comment les couples composent-ils face aux inégalités au travail ?
autor
Anouk Renouvel

Freelance @ Communication numérique

Article initialement publié le 14 février 2019

L’indépendance financière des femmes a toujours été l’un des fer de lance des combats féministes. Rappelons que ce n’est qu’à partir de 1907 que les femmes mariées ont pu disposer comme elles l’entendent de leur propre salaire et qu’il aura fallu attendre 1965 pour que celles-ci aient le droit de posséder leur chéquier et d’exercer une activité professionnelle sans l’accord de leur mari. Encore aujourd’hui, les inégalités entre femmes et hommes sont bien réelles : les femmes gagnent en moyenne 16,5% de moins que les hommes, il y a trois fois plus de femmes employées à temps partiel que d’hommes, et seulement deux femmes dirigeantes d’une entreprise du CAC 40 en 2022, alors même que celles-ci sont plus diplômées que les hommes. Comment les couples hétérosexuels composent-ils face à ces inégalités ? Enquête.

L’argent, un problème inévitable au sein du couple ?

S’il y a toujours des inégalités flagrantes, les femmes gagnent de plus en plus en indépendance, et au sein d’un couple hétérosexuel, il n’est plus question de parler de revenu d’appoint. Mais aborder le sujet de l’argent, peut être difficile, et il semble impossible d’éviter l’épineuse question de la gestion des dépenses.

Même si les femmes sont toujours moins bien payées que les hommes, il leur tient à cœur de participer à hauteur de 50% dans les dépenses communes : « On fait en effet 50/50, explique Elisa, 26 ans, data-scientist. Et si je gagne moins que mon conjoint, on le fait parce que j’estime que je gagne bien ma vie. » Une façon de compter comme un membre à part entière du couple, et d’avoir donc un pouvoir décisionnaire équivalent. Un raisonnement partagé par Mickaël, père au foyer depuis huit mois : « Nous partageons les dépenses et charges communes. » Et, surprise, l’heure n’est plus aux comptes joints, sur lesquels les deux partenaires déposent l’intégralité de leur salaire respectif. Les couples hétérosexuels ne sont plus que 64% à partager leurs revenus à 100%. À chacun ses sous, les moutons seront bien gardés, et les disputes évitées comme le souligne Damien, actuellement au chômage : « on utilise même l’application Tricount.» De fait, cette individualisation des comptes permet moins de contrôle de l’autre sur ses propres dépenses, et donc une plus grande liberté.

Les nouvelles cheffes de famille ?

Mais quand les femmes gagnent plus que leur partenaire, ça se complique ! En 2011, une femme sur quatre gagnait plus que son compagnon, selon une étude INSEE. À l’époque, les témoignages collectés montraient que les hommes acceptaient difficilement l’inversion des rôles, vécue comme une remise en cause de leur virilité. Qu’en est-il aujourd’hui ? La question du salaire demeure compliquée à évoquer : « c’est un peu tabou chez moi, explique Eva, 27 ans, product owner à Paris. Comme je gagne plus que mon conjoint, il considère que je n’ai pas le droit de me plaindre si j’apprends que mes collègues masculins sont mieux payés que moi, ou si je pense que mon augmentation est insuffisante. » Si l’argent ne semble a priori pas être un problème, l’ambition féminine, elle, demeure plutôt mal acceptée par la gente masculine.

D’autres jeunes femmes en revanche ne font pas grand cas du fait de gagner plus que leur conjoint : « Ce n’est pas important à mes yeux », assure Eva. D’ailleurs, s’il est important pour elles de mener leur propre carrière et d’être financièrement indépendante, ça n’a jamais été un but en soi. Bénédicte le confirme : « On en rit en disant que je l’entretiens ! En revanche, j’aimerais quand même qu’il retrouve un travail et qu’il gagne un salaire correct pour que l’argent ne devienne pas un problème de son côté. » Même son de cloche pour Damien qui estime que cette différence de revenu n’est pas un problème si elle reste temporaire. En revanche, « ce serait plus gênant sur le long terme si je n’étais pas en mesure d’assurer un confort de vie à mon couple ». La femme, nouvelle cheffe de famille ? D’après une enquête menée aux États-Unis, ces cas encore minoritaires en France tendraient à se multiplier : en Amérique, plus d’un tiers des femmes gagnent plus que leur conjoint.

Des hommes perdus et dépossédés de leur rôle principal ?

Et du côté des hommes, comment ça se passe ? « Les hommes sont eux aussi concernés et il est important qu’ils prennent la parole sur la question des inégalités entre les genres », souligne Marie Rebeyrolle, spécialiste du genre et du travail. Mais il semble difficile de renoncer au statut de chef de famille, d’autant plus en publique : « Pour un homme, avoir une femme qui ne travaille pas, c’est un signe extérieur de pouvoir et de richesse : nous sommes dans la perpétuation du modèle bourgeois dans lequel la femme peut avoir des activités, sans qu’elle n’ai besoin de “gagner sa vie”.» Et si Damien assume cette différence de revenu en société, c’est plus compliqué pour Mickaël qui préfère dire qu’il est en recherche d’emploi plutôt que père au foyer.

L’arrivée du premier enfant : une étape qui peut tout changer

Le questionnement sur la répartition des rôles au sein des couples prend tout son sens à l’arrivée du premier enfant puisque 96% des parents qui utilisent les congés parentaux sont… les mères ! Un chiffre identique qui n’a presque pas bougé en dix ans. Dans un papier de L’Express Camille Landais, économiste spécialisé dans les inégalités, explique ce phénomène: « On observe que, même quand la femme gagne mieux que le mari, ou fait une meilleure carrière, la “spécialisation” au sein du foyer vis-à-vis du travail reste la même : la femme aménage, le mari ne change rien ou presque. » Pour preuve, si les hommes ont bien le droit à un congé paternité rémunéré, d’une durée de 28 jours, seuls 7 jours sont obligatoires, et ne peut être comparé au congé maternité. Une inégalité, qui pèse autant sur les femmes, qui se retrouvent seules à gérer tous les bouleversements avec l’arrivée d’un enfant, mais aussi sur les pères qui aimeraient avoir l’opportunité de passer plus de temps avec leur progéniture.

Le travail domestique, ultime combat pour l’égalité au sein du couple ?

Si Eva, Elisa et Bénédicte ont la chance d’avoir des compagnons qui participent aux tâches ménagères de manière équitable, notons tout de même qu’il s’agit de couples dans la vingtaine, qui font partie des CSP+. Un point important à souligner d’après Marie Rebeyrolle : « Il faut faire attention à croiser générations et classes sociales. Ce qui se passe dans une catégorie n’est pas forcément représentatif des évolutions de l’ensemble de la société. » Sans compter que l’écart se creuse avec les enfants : « concrètement, dans un couple avec deux enfants où l’homme et la femme ont un emploi à plein temps : la femme fait 30 heures de travail domestique par semaine… et l’homme 10 heures », explique Aurélie Jeantet, maîtresse de conférences à l’université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 et chercheuse spécialisée dans les questions du genre. Un rapide calcul permet de voir qu’alors que, travail et tâches ménagères cumulés, la semaine de l’homme en couple dure 45 heures, contre 65 heures pour celle la femme ! Et ça ne date pas d’hier. « Dans les années 1970, les féministes dénonçaient déjà la double journée de travail que les femmes doivent assumer, avec la massification de l’accès des femmes au marché du travail salarié », rappelle Aurélie Jeantet.

Après le plafond de verre, le sol de verre

Titiou Lecoq, journaliste et autrice de l’essai “Libérées : le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale”, parle du “sol de verre”, comme ultime obstacle à abattre pour lutter contre les inégalités entre les genres. Elle le définit avec humour comme la barrière qui empêche l’homme de ramasser son linge sale. Si Damien explique qu’il lui tient à coeur de participer aux tâches ménagères, et qu’il se repose le moins possible sur sa compagne dans ce qui relève de la gestion du foyer, il semble que cela ne concerne pas la majorité des hommes en couple : « Même s’il y a des changements dans les représentations, il ne faut pas les confondre avec de véritables changements dans les pratiques », confirme Aurélie Jeantet. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser parfois, Marie Rebeyrolle estime que les femmes sont un peu responsables de cette situation. « Elles ont tellement intériorisé les stéréotypes de la maternité, qui leur donnent une toute puissance dans le couple et dans le foyer, qu’elles peuvent avoir du mal à lâcher prise sur la question de la gestion de la maison et de l’éducation des enfants. »

Qu’en disent les hommes ? « Je constate une évolution du côté des mentalités des hommes, qui souhaitent s’investir plus dans leur rôle de père », se réjouit Marie Rebeyrolle. Ils souhaiteraient se différencier de leur propre père, parfois autoritaire ou absent. Mais dans les faits, quand il y a une véritable aide domestique, elle ne vient pas souvent du partenaire. « Dans les couples hétérosexuels et actifs des CSP+, les femmes délèguent les tâches domestiques qu’elles ne peuvent ou ne veulent plus assurer… à d’autres femmes ! », explique Aurélie Jeantet. Un cercle vicieux et sexiste qui contribuerait à la domestication des femmes dans la société..

La charge mentale, le dernier maillon de l’inégalité

À cela s’ajoute la fameuse charge mentale, expression à laquelle vous n’avez probablement pas pu échapper. Le concept, introduit dès 1984 par Monique Haicault dans son article La Gestion ordinaire de la vie en deux explique qu’une femme en couple qui travaille, est constamment préoccupée par les tâches ménagères et la gestion du foyer, c’est la raison pour laquelle on a commencé à parler de « double journée ». Titiou Lecocq affirme même que cette charge mentale serait un rempart important pour les femmes dans leur accession aux postes à responsabilités : elles ne se déconnectent jamais de la maison, même dans leur milieu professionnel et pensent constamment au bien-être de tout le monde (compagnon et enfants), et moins au leur. Ce cercle vicieux prend la forme d’une to-do-list infinie, à laquelle les femmes sont enchaînées, qui peut jusqu’à les empêcher de se consacrer totalement à leur carrière ou à leurs loisirs.

Ainsi, s’il est important de constater et de se féliciter des progrès acquis au sein de la société, il reste encore beaucoup à faire pour une égalité entre femmes et hommes, au travail comme à la maison. Au-delà des inégalités économiques reconnues par toutes et tous, il nous faut prendre conscience individuellement des inégalités qui peuvent exister au sein du fonctionnement du couple hétérosexuel, afin de pouvoir avancer vers une société plus égalitaire, ce qui bénéficierait tout autant aux femmes qu’aux hommes.

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