Les congés illimités : pour ou contre ?

09. 12. 2021

6 min.

Les congés illimités : pour ou contre ?
autori
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

Des vacances à volonté, en hiver comme en été, vous y croyez ? Né aux États-Unis au cœur de la Silicon Valley, le concept de congés illimités est devenu la norme chez LinkedIn, Dropbox ou encore Netflix. Un avantage social plutôt alléchant qui prend de l’ampleur : plus de 300 entreprises françaises l’ont mis en place malgré un code du travail et des acquis sociaux peu flexibles. Mais est-ce vraiment la panacée ? Les vacances illimitées garantissent-elles plus de liberté ? Oui, selon Nicolas Perroud, qui a instauré cette initiative dans son entreprise, Anikop. Face à lui, Sébastien Hof, psychologue du travail, qui y voit plutôt un transfert de responsabilités insidieux pour le salarié, source de pression et de tensions internes… À vous de juger !

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Oui aux congés illimités : le retour d’expérience de Nicolas Perroud

Améliorer la qualité de vie au travail des salarié·es

« Depuis 2016, Anikop est devenue une entreprise libérée. Je souhaitais supprimer les hiérarchies afin de mettre tou·te·s les salarié·es (31 aujourd’hui) au même niveau. Je défends la logique suivante : mes collaborateur·rices viennent ici pour accomplir un projet, et non faire des horaires. Cette dynamique passe aussi par l’amélioration des conditions de travail. Les congés illimités, en projet depuis 2019 et mis en place depuis le 1er janvier 2021, s’inscrivent dans un rapport au travail plus équilibré. En effet, dans la vie, nous vivons tou·tes des moments où l’on est moins motivé·es (parentalité, difficultés personnelles…). Nous avons besoin de temps pour retrouver un nouvel équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Les congés illimités vont dans ce sens. Chez nous, aujourd’hui, les salarié·es ne se posent plus la question des congés. S’ils / elles en ont besoin, ils en prennent ! Par exemple, avant, les personnes ne posaient pas de jours en février ou à Pâques… Dorénavant, ils le font pour être avec leurs enfants. Honnêtement, disposer de cette liberté détend l’atmosphère et les relations.

Offrir plus de flexibilité dans l’organisation

Les congés illimités s’inscrivent dans la transformation globale de mon entreprise. Nous avons procédé par étapes. J’ai dû changer tous les statuts afin que tout le monde devienne cadre et puisse gérer son temps. Ainsi, depuis trois ans, il n’y a plus d’horaires afin de s’extraire du présentéisme. Si certaines personnes veulent venir tôt pour pouvoir aller chercher leurs enfants à l’école, aucun problème. Et inversement. Les congés illimités entrent dans cette logique de flexibilité du temps de travail et d’autonomie dans l’organisation personnelle. Cela exige un temps d’adaptation, du coaching et pas mal de communication en interne ! Surtout, je me suis fait accompagner par un cabinet d’avocats afin d’anticiper les risques liés à la mise en place de ces changements organisationnels.

Valoriser la culture de la confiance et de la transparence

L’adoption des congés illimités va de pair avec l’instauration d’une relation de confiance entre dirigeant et salarié·es : c’est la base de la réussite d’un tel projet. Contrairement à ce que l’on peut lire sur le sujet, ce n’est pas un moyen détourné pour mettre la pression aux salarié·es ! Au contraire, c’est en phase avec la culture de la transparence que je prône. Tous nos chiffres financiers et sociaux sont partagés et accessibles. Ou encore, les erreurs sont célébrées collectivement. Tout est fait pour bâtir et entretenir la confiance. Les congés illimités participent à cette culture du bon sens. Et pour que cela fonctionne, les salarié·es ont co-créé une charte morale des congés illimités : différents points en sont sortis et chacun·e l’a signée. Par exemple, quand vous prenez des congés, vous ne devez pas empêcher l’autre d’en prendre, vous ne devez pas non plus être sur un projet tendu ou encore vous devez respecter un droit de prévenance. Concrètement, si vous voulez partir deux semaines, vous prévenez deux semaines à l’avance.

Les besoins des salarié·es avant les contraintes légales

Pour qu’une entreprise fonctionne pleinement, il faut arrêter de se focaliser uniquement sur le droit, ou les conventions collectives. Posons-nous plutôt la question des besoins réels des salarié·es. Combien de jours pour déménager ? Se reposer ? S’occuper des enfants ? Réaliser un projet ? L’objectif est de fluidifier le travail et les échanges. Pour cela, il faut sortir du management des 3% qui contraignent la majorité. En effet, on met souvent en place des procédures pour éviter que les salarié·es (3% en moyenne) n’abusent du système. C’est oublier que 97% des personnes sont honnêtes ! Aujourd’hui, il m’apparaît plus pertinent de m’occuper d’elles car les 3% partent souvent d’eux / elles-mêmes ou le groupe fera en sorte de les remettre dans le droit chemin. D’ailleurs, après quelques mois de recul, je peux vous dire qu’il n’y a pas d’abus. Les salarié·es sont satisfait·es de la gestion des congés. Je ne signe plus rien et ne contrôle qu’une seule chose : je m’assure qu’ils prennent bien leurs 5 semaines minimum. »

Gare aux dérives des congés illimités : l’avertissement de Sébastien Hof

Des risques de dérapage hors du cadre légal

« L’idée de laisser libre choix aux salarié·es de bénéficier du nombre de jours qu’ils / elles souhaitent semble alléchante. En réalité, c’est surtout faire fi du contexte légal qui régit le droit du travail en France. Les contrats définissent le temps de travail avec une durée légale qui reste à 35 heures par semaine. Il existe des arrangements en fonction des statuts tels que les RTT pour compenser les heures supplémentaires des cadres. Or, si l’on est dans une configuration de vacances illimitées, on ne se pose plus la question de cette durée légale ! C’est une pente très risquée pour les salarié·es.

Les congés illimités, une forme de pression tacite

En offrant des congés illimités, l’employeur·e procède insidieusement à un transfert de responsabilités du travail à réaliser vers le / la salarié·e. L’injonction est souvent la suivante : « Tu peux prendre autant de congés que tu le souhaites à partir du moment où le travail est fait ». C’est une forme de pression tacite, où la responsabilité du travail ne dépend finalement que du / de la salarié·e et non plus de l’employeur·e. Or, cela va à l’encontre de la tendance actuelle. Nous ne disposons déjà plus assez de temps pour réaliser nos tâches ! En prônant les congés illimités, l’entreprise installe la gestion du travail en flux tendu. Conséquence : travailler pendant ses congés deviendra une habitude. Ou alors, la variable d’ajustement pour mener à bien les projets sera les congés. En effet, différentes études montrent que la prise de congés est moindre pour les salarié·es qui bénéficient de cet avantage !

Vers des tensions sociales et une perte de cohésion

À partir du moment où chacun·e peut faire un break quand il / elle l’entend, il n’y a plus lieu de faire signer une autorisation au / à la manager. Chaque employé·e est responsable ! Mais alors, qui s’assure, d’un point de vue macro, de la continuité du travail à réaliser ? C’est encore au collectif de s’autogérer. Attention, les conséquences peuvent s’avérer néfastes sur les relations au sein des équipes. Comment arbitrer si tou·tes souhaitent prendre des congés au même moment ? Comment organiser les roulements pour que cela se passe au mieux ?

Des objectifs décorrélés de la réalité

La détermination des objectifs individuels se fait conjointement avec son / sa responsable. Or, dans le cas où ces derniers sont très élevés, comment prendre des congés ? En effet, s’il / elle n’atteint pas ses objectifs, l’employé·e risque de perdre sa rétribution. Résultat, il / elle va très certainement renoncer à ses congés pour les atteindre, même si c’est un droit ! Comment peut-on garantir de bonnes conditions de travail et une santé mentale suffisante au sein des organisations ? Encore une fois, on peut y voir une forme de pression qui est facteur de risques psychosociaux à long terme.

Quid de l’équité entre les salarié·es ?

Cette vague des congés illimités va dans le sens de la flexibilisation du contrat de travail. Après l’annualisation du temps de travail, les congés illimités entrent dans cette logique car c’est une forme de gestion du temps. Par exemple, sur une année chargée, un·e salarié·e ne prendra que 5 semaines. Sur une période moins dense, il / elle pourra poser quatre mois de congés. Cela reflète l’individualisation à outrance que nous vivons au niveau sociétal. Mais que faire de la question centrale de l’équité au sein des organisations ? Certain·es prendront certainement plus de congés que d’autres, ce qui risque de faire naître un sentiment d’injustice pouvant mener au désengagement.

Des impacts négatifs sur la performance de l’entreprise

Avec les congés illimités, la performance risque d’être affectée par le manque de prise en compte de la saisonnalité du travail. Si certain·es salarié·es partent lors de périodes chargées, et c’est leur droit, ils / elles vont impacter les activités et, à terme, la croissance de l’entreprise. Est-ce aux salarié·es de gérer cet aspect ? Normalement, cette tâche incombe au / à la manager ou CEO. Or, ceux / celles-ci n’ont plus la main sur les congés ! Alors comment organiser le quotidien et la gestion de la force de travail dans ces conditions ? Comment mettre en place un planning prévisionnel adéquat et réaliste ? Ces questions sont très sensibles et, sans réponse, elles font encourir un risque à la santé de l’entreprise. »

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Photo par Thomas Decamps
Article édité par Ariane Picoche

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