Pourquoi être un éternel débutant est la meilleure chose qui puisse vous arriver

14. 1. 2022

8 min.

Pourquoi être un éternel débutant est la meilleure chose qui puisse vous arriver
autor
Laetitia VitaudLab expert

Future of work author and speaker

L’idée de l’apprentissage tout au long de la vie en séduit plus d’un·e par les temps qui courent. Alors que le monde du travail est transformé par le numérique, la crise sanitaire et le changement climatique, il est de plus en plus difficile d’imaginer qu’on puisse faire toute une carrière uniquement avec ce qu’on a appris au début de sa vie. Les entreprises sont nombreuses à dire qu’elles comptent dépenser davantage en formation à l’avenir. Face aux difficultés à recruter de nouveaux candidats qualifiés, investir dans la formation de leurs employé·es actuel·les peut être une solution efficace. D’autant qu’ils/elles le souhaitent également.

Pourtant, dans l’ensemble, l’écrasante majorité de ceux/celles qui vont à l’école ou commencent une nouvelle activité sont jeunes. Les adultes débutants suscitent la condescendance et un brin de pitié. La plupart d’entre nous préfèrent s’en tenir à ce que nous savons faire et cultiver une image d’expertise. Nous avons tellement peur d’être mauvais·e dans ce que nous n’avons jamais fait que nous renonçons au plaisir de découvrir des mondes nouveaux. Quel gâchis ! Chacun·e d’entre nous aurait pourtant tant à gagner à être un·e débutant·e toute sa vie !

Lorsqu’il est devenu père, Tom Vanderbilt, journaliste et auteur américain, s’est lancé dans une quête personnelle d’apprentissage. Inspiré par la curiosité et la croissance de sa fille, il a décidé qu’il ne pouvait pas se contenter d’être un simple spectateur de son initiation à elle. Il a donc recommencé à être un débutant en se lançant dans de nouvelles activités, dans le cadre d’un «voyage ludique à travers les joies transformatrices qui accompagnent le fait de commencer quelque chose de nouveau, quel que soit son âge ». Son nouveau livre Beginners: The Joy and Transformative Power of Lifelong Learning (2021), est un récit inspirant, façon journalisme gonzo, de ses aventures d’apprentissage et des leçons qu’il en a tirées.

Alors qu’il s’initie aux échecs, au chant, au surf, à la peinture et au jonglage - des activités qui ne sont pas liées à son travail -, il explore la psychologie et la science qui se cachent derrière le stade initial de la maîtrise. Son récit personnel et la théorie qu’il explore font de son livre un ouvrage convaincant sur les bienfaits de l’apprentissage tout au long de la vie. Tous les professionnels des RH, les managers et les apprenants individuels y trouveront des arguments qui les inciteront à aller beaucoup plus loin dans leur apprentissage personnel et à offrir de telles opportunités aux personnes de toutes les classes d’âge, et pas seulement à la cohorte de la génération Z.

« Les premiers stades sont magiques. Au début d’une histoire d’amour, vous vous trouvez dans ce qu’on appelle un ‘stade neurobiologique extrême’ : votre cerveau est gavé d’une boisson énergétique hypercaféinée de dopamine et d’hormones de stress (…) L’apprentissage d’une nouvelle compétence est curieusement similaire. Votre cerveau est dans un état d’hyperconscience. Il baigne dans la nouveauté (…) Lorsque vous vous plongez dans l’apprentissage d’un art ou d’une compétence, le monde qui vous entoure vous apparaît nouveau et débordant d’horizons infinis. »

L’esprit du débutant : prêt à tout, ouvert à tout

Bien sûr, être un·e débutant·e peut s’accompagner d’un certain degré d’humiliation. Alors que Vanderbilt se met aux échecs avec sa fille de 8 ans, il décrit le mélange de pitié et de condescendance que sa participation à des tournois suscite chez les participant·es, pour la plupart plus jeunes. « Lors des tournois d’échecs, j’ai vu une dynamique qui n’était que trop familière dans le monde des activités pour enfants : les enfants pratiquent l’activité, les adultes comme moi regardent fixement leurs smartphones (…) Je me suis demandé si nous, dans notre chaperonnage constant de ces leçons, ne transmettions pas une leçon subtile : que l’apprentissage, c’est uniquement pour les jeunes. »

Ego meurtri mis à part, il a découvert qu’être un·e débutant·e était aussi curieusement libérateur. En effet, lorsque vous ne savez rien et que vous êtes considéré·e comme un·e débutant·e, « vous êtes libéré des inquiétudes liées au syndrome de l’imposteur, car personne n’attend de vous que vous soyez bon. Vous êtes libéré des attentes et du poids du passé ». Voilà ce qu’est l’esprit du/de la débutant·e : vous commencez un voyage de non savoir (également de non savoir ce que vous ne savez pas) avec la liberté du/de la débutant·e. Vous vous donnez plus de latitude, plus d’espace pour manœuvrer et expérimenter.

L’étape zéro à un est extraordinairement fertile. La courbe d’apprentissage est abrupte car les progrès sont les plus rapides à ce stade, les gains réalisés au début de l’apprentissage dépassant généralement ceux des étapes ultérieures. La raideur de la courbe est également étroitement liée au statut embarrassant du/de la débutant·e : « Pour la plupart d’entre nous, le stade du débutant est quelque chose qu’il faut traverser le plus rapidement possible, comme un problème de peau socialement gênant. »

Cette “condition gênante” du/de la débutant·e s’accompagne aussi de l’ouverture d’esprit et de l’humilité : quand vous savez que vous ne savez pas, vous êtes ouvert·e à la nouveauté. Il y a donc de nombreux avantages psychologiques et philosophiques à être un·e débutant·e : à regarder quelque chose avec les yeux d’un·e débutant·e, à poser des questions “idiotes”, à écouter attentivement et à ne rien prendre pour acquis.
L’auteur veut encourager ses lecteurs·rices à préserver, voire à cultiver « l’esprit du novice : l’optimisme naïf, l’hypervigilance qui accompagne la nouveauté et l’insécurité, le fait d’accepter d’avoir l’air idiot et la permission qu’on se donne de poser des questions idiotes ».
Notre âge numérique, où les modèles et les technologies évoluent rapidement, pourrait bien être un “âge d’or” de l’apprentissage. Or selon l’auteur, l’esprit du/de la débutant·e est certainement le meilleur moyen de gérer la nouveauté et de rendre possible l’innovation future.

Le cerveau vieillissant est capable de bien des choses

Les neuroscientifiques s’accordent à dire que les humains peuvent apprendre à tout âge et l’apprentissage accroît la plasticité neuronale. Il est donc essentiel de continuer à apprendre pour maintenir sa capacité à apprendre, ce qui présente aussi des avantages considérables pour la santé. Mais cela ne signifie pas que les personnes de tous âges apprennent de la même manière et obtiennent les mêmes résultats. Il est très peu probable que vous deveniez un grand maître des échecs si vous commencez à apprendre les échecs après 40 ans. Vous avez peu de chances de devenir un danseur de ballet professionnel si vous vous mettez à la pratique après 15 ans.

C’est probablement vrai que l’apprentissage devient plus difficile avec l’âge mais cette idée génère une sorte de “menace du stéréotype” délétère qui peut compromettre le processus d’apprentissage et tuer la motivation. « Il y a une petite voix pernicieuse qui vous dit : tu as commencé trop tard. A quoi bon ? » Dans le monde des échecs, par exemple, les enfants génies sont glorifiés. En jouant contre des enfants, Vanderbilt s’est trouvé particulièrement intimidé, croyant que ses petits adversaires étaient forcément géniaux.

Les scientifiques ont découvert que l’apprentissage de nouvelles choses se fait différemment avec l’âge. Le cerveau vieillissant “compense” ses diverses lacunes en « construisant des échafaudages qui relient un plus grand nombre de zones du cerveau », explique l’auteur. En d’autres termes, comme les personnes âgées connaissent plus de choses, lorsqu’elles essaient d’apprendre quelque chose de nouveau, la mémoire de leurs différentes compétences peut les gêner. C’est pourquoi les scientifiques qui étudient le vieillissement et le cerveau distinguent deux formes d’intelligence : l’intelligence “fluide” et l’intelligence “cristallisée”.

L’intelligence “fluide” fait référence à la capacité d’une personne à penser de manière flexible. En revanche, l’intelligence “cristallisée” dépend des connaissances accumulées et des compétences acquises tout au long de sa vie. « L’intelligence fluide vous aide à penser sur le vif et à résoudre de nouveaux problèmes. L’intelligence cristallisée est ce qu’une personne sait déjà (…) On considère généralement que l’intelligence fluide favorise les jeunes, tandis que la variété cristallisée est récompensée par l’âge. Dans la vie, elles sont complémentaires. »

La métaphore du disque dur est commode. Avec l’âge, il y a de moins en moins de “stockage” disponible : « Il faut plus de temps pour rechercher et récupérer des fichiers. Je commençais à manquer de stockage, et certains de mes chemins étaient corrompus. » Mais l’apprentissage tout au long de la vie est aussi bénéfique pour les personnes âgées que pour les jeunes (si ce n’est plus !) : la simple joie de se plonger dans un nouveau monde et de se lier avec d’autres personnes autour de l’apprentissage d’une nouvelle compétence peut stimuler la plasticité et la longévité. Et cela permet aussi de relever les défis de l’âge.

Stop au culte de l’expertise

La révolution industrielle s’est accompagnée d’une spécialisation croissante des individus au travail. La connaissance est devenue de plus en plus segmentée. L’homme de la Renaissance, polyvalent et multipotentiel, a cédé la place à la figure de l’expert. Le monde du travail d’aujourd’hui ajoute une pression qui nous pousse à nous montrer “au top” dans un domaine spécifique. Tout cela conduit beaucoup de gens à choisir de faire davantage ce qu’ils savent déjà faire, au détriment des compétences qu’ils ne maîtrisent pas encore. Comme l’a écrit l’écrivain Tim Wu : « Se permettre de ne faire que ce que l’on sait faire, c’est être prisonnier d’une cage dont les barreaux ne sont pas en acier mais en jugement de soi. »

Tom Vanderbilt est convaincu que le culte de l’expertise met en péril l’apprentissage futur : « Notre confiance est tellement ébranlée par ce culte de l’expertise et de la performance que, lorsque nous ne nous considérons pas comme des experts dans un domaine, nous pensons qu’il faut confier la tâche à quelqu’un qui l’est. » En d’autres termes, la spécialisation engendre une spécialisation croissante, car nous sommes découragés de faire des choses que d’autres font mieux que nous. Ainsi, « la maîtrise est devenue un système fermé. »

Il est grand temps que nous réapprenions à être dilettantes ! Au cours de la révolution industrielle, le mot dilettante est devenu une insulte mais ce n’était pas le cas dans le passé. À l’origine, il vient de l’italien dilettare qui signifie “se réjouir”, prendre plaisir à quelque chose. À notre époque de performance, nous sommes censés “maximiser” notre potentiel plutôt que de simplement “prendre plaisir” aux choses. « Avec la spécialisation croissante des connaissances, et la professionnalisation de la vie quotidienne, le fait d’être soudainement ravi par quelque chose, ou d’aimer quelque chose, a soudain été considéré comme vaguement déshonorant. »

Pour tenter de redécouvrir la joie d’être un dilettante, l’auteur suit l’exemple de sa fille et décide d’apprendre avec elle. « Ce coapprentissage peut contribuer à transformer des sources potentielles de friction -comme la répartition du temps de loisir - en gains pour toute la famille. » Ainsi, il a également constaté qu’apprendre avec d’autres personnes était également beaucoup plus efficace que de le faire seul.

Apprendre à échouer pour parvenir à apprendre

“Apprendre à apprendre” est devenu un slogan presque cliché. Mais qu’est-ce que cela signifie vraiment ? Comment fait-on pour “apprendre à apprendre” ? Vanderbilt prend la question très au sérieux. Alors qu’il commence à apprendre à surfer à l’aube de la cinquantaine, il apprend à ses dépens que cela signifie apprendre à échouer, et plus précisément apprendre à tomber, ce qui est nettement plus difficile car la chute peut avoir des conséquences physiques plus dramatiques.

Pour tenter de comprendre ce que signifie réellement “apprendre à apprendre”, il a interrogé des scientifiques qui étudient l’apprentissage chez les nourrissons. « Les bébés sont les débutants ultimes (…) Leur capacité à être mauvais, et à ce que tout le monde soit d’accord avec cela, est un élément crucial de la façon dont ils deviennent bons. Les nourrissons sont des machines à apprendre, d’une curiosité intarissable et conçues pour faire des erreurs encore et encore. » La façon dont les bébés apprennent à marcher est particulièrement intéressante à cet égard (ils tombent constamment).
Pourquoi risquer la position debout pour marcher mal quand on est devenu expert dans l’art de se déplacer à quatre pattes ? Le corps des bébés change si vite que le fait d’apprendre à se mouvoir avec le corps qu’ils ont implique d’affronter chaque jour une “nouvelle normalité”. « Si vous n’apprenez pas à échouer, vous échouerez à apprendre » est une sagesse que tous les bébés apprenants incarnent sans le savoir.

9 leçons à retenir pour les futur·e·s débutant·e·s :

  • Vous avez des capacités latentes qui ne demandent qu’à être débloquées
  • Acquérir une compétence, ça prend du temps
  • L’échec est un élément essentiel de l’apprentissage
  • On apprend mieux en changeant de pratique
  • Les progrès ne sont pas linéaires : on apprend par à-coups
  • Les compétences acquises sont rarement transférables. Partez de zéro
  • Si cela vous semble facile, vous n’êtes probablement pas en train d’apprendre
  • L’apprentissage de compétences permet d’ouvrir de nouveaux mondes
  • Ne soyez pas trop rigide quant à vos objectifs : une partie de la vie devrait consister à profiter des opportunités qui se présentent

Photo par Thomas Decamps
Article édité par Mélissa Darré

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