« Je n'arrive pas à télétravailler et je me sens nul. » Témoignage

19 nov. 2020

6min

« Je n'arrive pas à télétravailler et je me sens nul. » Témoignage
auteur.e
Gabrielle Predko

Journaliste - Welcome to the Jungle

Quand on s’intéresse à la théorie de l’évolution de Darwin, on apprend comment les singes, au fil du temps, se sont levés sur leur deux pattes pour, quelques millions d’années plus tard, aller marcher sur la Lune et dévaler les rues en trottinette électrique. Mais rien sur ce que sont devenus ceux qui ont essayé de marcher… sans succès. Et si, comme eux, ceux qui ne parvenaient pas à se mettre au télétravail allaient être les grands oubliés de l’Histoire, dans l’incapacité de prendre le pli face à cette évolution majeure du monde du travail ? Quid des salariés qui, malgré leurs efforts, ne parviennent pas à être efficaces de leur canap’ ? C’est mon cas. 25 ans, ingénieur réseau dans une petite entreprise depuis plus deux ans, j’ai carrément fini par me demander si mon incompatibilité avec le télétravail ne faisait pas de moi un gros nul has been…

Le télétravail, une affaire qui ne roule pas

Dans un groupe d’amis, il y a toujours quelqu’un qui déteste quelque chose que tout le monde adore, ou à l’inverse qui ne jure que par quelque chose que personne ne supporte… Celui qui n’arrive pas à accrocher à la série Game of Thrones ou préfère les choux de Bruxelles au kebab. On appelle ça une “opinion impopulaire”. La mienne porte sur le télétravail. Alors qu’une majorité de salariés semble louer ses bienfaits, de mon côté, la mayonnaise ne prend pas. Et forcément, cette période de pandémie, où le travail à distance est “fortement recommandé” n’arrange pas mes affaires…

« Me demander de travailler chez moi, entouré par une infinité de distractions, c’était comme mettre un enfant dans une boutique de bonbons en lui interdisant d’en manger. »

Avant le premier confinement, j’avais eu l’occasion de télétravailler une ou deux fois et ces journées n’étaient pas placées sous le signe de la productivité. À l’époque, mon entreprise n’avait pas une grande culture du télétravail et comme sa pratique restait sporadique, je n’avais aucune raison de m’en faire. C’est quand le confinement a été annoncé que l’inquiétude m’a réellement gagné. Je n’avais pas le choix, le télétravail s’imposait à moi. Et, comme je m’y attendais, l’expérience s’est révélée catastrophique. Me demander de travailler chez moi, entouré par une infinité de distractions, c’était comme mettre un enfant dans une boutique de bonbons en lui interdisant d’en manger. C’est de la torture.

Du mois de mars au mois d’avril, mes journées se suivaient et se ressemblaient… J’entamais la matinée, plein de bonne volonté : « Aujourd’hui, je vais bien bosser ! » 9h : réunion quotidienne en équipe sur Zoom. 9h30 : je m’attaquais aux tâches les plus urgentes. Jusque là, tout allait bien. C’était toujours vers 11h que les choses se gâtaient… « Allez, je fais juste un petit tour sur Facebook». 20 minutes après, je me ressaisissais tant bien que mal : « back to work ! » mais en me ménageant, toujours en me lançant dans une tâche pas trop ingrate et un minimum motivante, histoire de tenir jusqu’au déjeuner.

C’était sans compter l’après-midi, le pire moment pour moi… Sur ce créneau, mon historique de recherches Internet saturait de visites sur Reddit, Facebook ou Netflix, au détriment de ma boîte mails (même mon ordinateur commençait à me juger), et chaque changement d’activité était ponctué par un rendez-vous réconfortant avec mon frigo. Je me suis même surpris un jour à jouer à Satisfactory (un jeu vidéo de simulation où il faut construire une usine) à 15h ! Au bout d’un mois : j’ai fait grandir mon usine virtuelle, mais mon travail n’avançait pas et je me sentais affreusement coupable. En bonus, j’ai pris huit kilos à la fin du premier confinement. Génial.

Une situation sans issue

« Franc comme l’or, j’ai finalement décidé de soulager ma conscience et de tout avouer à mon entreprise au bout d’un mois de cata… euh, de confinement. »

La situation ne pouvait plus durer. Heureusement, l’activité de mon entreprise tournait au ralenti pendant ce premier confinement, sinon, j’aurais accumulé beaucoup trop de retard. J’arrivais à prendre en main les urgences, mais les sujets de fond sur lesquels j’étais attendus restaient au point mort. Pourtant, les conseils pour assurer en télétravail ne manquent pas sur Internet. J’ai bien essayé quelques astuces, comme diviser ma journées en sessions de travail de 25 minutes entrecoupées de pauses de cinq minutes, mais j’avais toujours tendance à déborder sur les breaks. Je me levais à heure fixe, prenais ma douche, m’habillais, mais ça ne changeait rien. La seule chose qui m’aidait un peu était de rédiger des to-do lists, mais ce n’est pas toujours possible dans mon métier. Pour avancer et me sortir de cette situation, j’ai été obligé d’admettre officiellement que je ne foutais rien.

Franc comme l’or, j’ai finalement décidé de soulager ma conscience et de tout avouer à mon entreprise au bout d’un mois de cata… euh, de confinement. Bon, je me suis bien gardé de leur dire que j’avais binge watché Westworld sur mes heures de taf, mais ça m’a tout de même soulagé. Ma confession a été bien reçue, d’autant que je leur ai immédiatement proposé une solution : poser des demi-journées de congé. Il m’en restait beaucoup à l’époque, et à la vue de la baisse d’activité que subissait mon entreprise, ça a plutôt arrangé mes boss. Pendant un peu plus d’un mois, j’ai donc posé des demi-journées de congé absolument tous les jours pour pouvoir me livrer à mes activités préférées sans culpabiliser, et ce nouveau rythme m’a sauvé jusqu’à la fin du premier confinement.

Dark side et culpabilité

Car oui, la culpabilité m’a habité autant que j’ai habité mon appartement pendant le confinement. Elle était ma colloc’, ma “partner in crime”. J’ai toujours accordé beaucoup d’importance à la valeur du travail et être payé à “ne rien faire” ne m’a jamais fait fantasmé, au contraire ! Mais en télétravail, c’était pourtant ce que je faisais, et c’était terrible à assumer. Je me découvrais sous un nouveau jour : je devenais un profiteur.

Cela me mettait mal à l’aise vis-à-vis de mes collègues, qui planchaient sans broncher tout en s’adaptant à mon rythme bouleversé, mais aussi de mes employeurs, qui m’ont toujours fait confiance. Le pire, c’est que j’avais l’impression d’être un imposteur. Car dans la conjoncture économique actuelle, je ne suis pas le plus à plaindre : certains doivent aller “au front”, d’autres télétravaillent dans des studios de 9m², il y en a même qui se voient refuser le télétravail, etc. Alors que de mon côté, je n’ai pas d’excuse, j’ai tout ce qu’il me faut pour bosser dans de bonnes conditions. Donc, si je n’y parviens pas, le problème vient forcément de moi.

« J’ai toujours accordé beaucoup d’importance à la valeur du travail et être payé à “ne rien faire” ne m’a jamais fait fantasmé, au contraire ! Mais en télétravail, c’était pourtant ce que je faisais, et c’était terrible à assumer. »

Régulièrement, lorsque j’étais distrait, je me rassurais en me disant : « D’habitude je suis un gros bosseur donc ça compense », « Quand je travaille je suis super efficace donc ça va », ou « De toute façon, c’est la dernière fois que je me laisse aller comme ça… » Mais avec le recul, je me rendais bien compte que je me racontais des salades… Pire, ça ne faisait qu’empirer la situation car ça voulait dire que je procrastinais consciemment et que je n’admettais pas mes torts !

C’est reparti pour un tour…

Quand le reconfinement a été annoncé et que mon entreprise a demandé, de nouveau, à toutes les équipes de regagner leur salon pour travailler à distance, j’ai su que je devais trouver une nouvelle solution très rapidement. Je n’avais plus autant de jours de congé, et cette fois-ci, la charge de travail n’allait pas diminuer. Au contraire, aujourd’hui, on est en sous-effectif car certains de mes collègues ont chopé le Covid, donc je me dois d’assurer. Pour ce faire, j’ai dû avoir une seconde discussion avec mon équipe pour dire « Je n’arrive pas à télétravailler, il faut qu’on trouve une solution ». À nouveau, j’étais celui qui embêtait tout le monde avec ses problèmes. Ma boîte n’a ouvert que quelques places pour permettre aux salariés de se rendre au bureau lorsque cela est nécessaire, et moi, j’en occupe une tous les jours. Ce qui n’est pas très équitable, mais ça m’aide beaucoup : je me sens bien moins coupable, même si ça demande une sacrée organisation.

Au moins, grâce à cette expérience, je sais que je ne suis pas prêt pour vivre dans une société où toutes les entreprises seraient passées au 100% télétravail… et je ne suis certainement pas le seul. Tout le monde n’est pas fait pour le télétravail et j’espère que les entreprises l’ont bien en tête. Bien sûr, pour certains, je pense que la seule solution pour pallier à ce problème est tout simplement de revenir au bureau, mais si le télétravail doit se démocratiser, les entreprises doivent davantage accompagner ces salariés : en leur imposant un cahier des charges quotidien, par exemple, ou des horaires fixes en télétravail, même si ça ne sera pas au goût de tout le monde… La clé, pour moi, c’est avant tout l’écoute des besoins et des limites de chacun et l’empathie.

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