« Chargé de recouvrement, j'exerce un métier que tout le monde déteste »

27 janv. 2021

7min

« Chargé de recouvrement, j'exerce un métier que tout le monde déteste »
auteur.e
Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

Ingénieur dans le nucléaire, trader, agent de fourrière, expert-comptable, journaliste, agent immobilier, chercheur dans l’industrie pharmaceutique, politicien… Si la liste des métiers les plus détestés de France n’est pas formelle et évolue constamment, certaines professions déclenchent presque systématiquement le rejet en société. Mais comment vit-on dans la peau d’un.e prétendu.e « méchant.e » ? Quels sont les questionnements qui vous traversent quand vous en arrivez à mentir sur votre métier pour avoir la paix et ne pas être jugé.e ? Qu’est-ce qui vous motive le matin pour vous lever et aller travailler ? Réponse en cinq rencontres, drôles, étonnantes, sans langue de bois. Premier épisode avec Julien, chargé de recouvrement dans une banque.

Il y a beaucoup d’idées reçues sur le métier de chargé de recouvrement, mais en quoi ça consiste concrètement ?

On me sollicite quand un compte a dépassé son découvert depuis un certain temps et que la banque n’a pas pu proposer un crédit au client ou au professionnel. Dans un premier temps, la cellule des risques est saisie. Si elle estime que la créance ne pourra être rendue et que le client est à risque, la banque - qui prête de l’argent quand le solde est négatif - peut alors prendre la décision de clôturer le compte. Mon boulot arrive en fin de course : le compte a été fermé et je dois tout faire pour récupérer l’argent que la personne doit à la banque. Il existe plusieurs procédures, mais je vais toujours chercher à trouver un compromis à l’amiable pour éviter d’enchaîner les procédures judiciaires.

Si je comprends bien, il s’agit de récupérer l’argent de la banque à tout prix, même si les personnes sont en grande difficulté financière.

Mon métier consiste en effet à défendre les intérêts de la banque. Et même si j’entends certains arguments, comme le fait d’entraîner certaines personnes dans plus de précarité ou de faire grandir la peur d’être en interdit bancaire, je ne comprends pas cette aversion pour le recouvrement et les huissiers. Ce n’est pas malsain de vouloir récupérer l’argent qu’on a prêté à quelqu’un. Si tu prêtes 2 000 euros à un ami, tu vas vouloir le récupérer, c’est presque pareil. Quand j’ai un contact avec une personne avec qui la banque est en litige, je leur dis qu’en tant qu’humain je comprends leur situation, mais je suis contraint de suivre les procédures… Cela ne m’empêche pas d’avoir conscience de l’impact social de ce que je fais, le pire étant la saisie immobilière.

J’étais intrigué. Comment pouvait-on faire un métier pareil ? Et aussi étonnant que cela puisse paraître, j’y ai pris goût.

Professionnellement, tu te mets certaines limites ?

Oui, il y a des dossiers très difficiles. Je me souviens d’une femme victime de violences conjugales qui avait caché à son mari sa situation financière. Elle m’a confié que si son mari apprenait qu’elle avait des dettes, il allait la tuer. J’ai prévenu ma hiérarchie et leur ai dit que là ce n’était pas possible. Il y avait un danger imminent pour la personne, l’enjeu humain était trop important. J’ai suspendu la procédure le temps de la mettre en sécurité et fait en sorte que ça reste entre nous. Le problème, c’est que ce métier, comme d’autres, est en train de s’industrialiser et de s’automatiser. Il y a moins d’échanges, moins de contacts, et possiblement plus de drames humains.

Pourquoi avoir fait le choix de travailler dans ce milieu ?

J’ai fait des études de droit privé. J’ai toujours aimé les petits détails dans les procédures. J’aimais beaucoup le droit des contrats par exemple, contrairement à d’autres matières que je trouvais abstraites. Quand j’ai dû faire un choix de master, je me suis demandé “qu’est-ce que je pourrais faire si je ne devenais pas avocat ?” Il fallait pouvoir rebondir et sortir de là avec un métier concret. La banque et les sociétés de recouvrement sont toujours en recherche de nouveaux bras, alors j’ai foncé. En même temps, j’étais intrigué. Comment pouvait-on faire un métier pareil ? Et aussi étonnant que cela puisse paraître, j’y ai pris goût. Un peu comme mon affection pour les contentieux avec la SNCF.

Dans mon précédent poste, j’ai même reçu des menaces de mort, mais très vite, les personnes comprennent que tu es le dernier interlocuteur avant que la machine juridique ne vienne les écraser

Comment ça ?

J’aime bien regarder les conditions générales et disons qu’elles sont souvent mal rédigées. Pour reprendre l’exemple de la SNCF, il était marqué qu’avec un pass Navigo on pouvait se servir d’une partie du réseau, mais il n’était pas précisé à partir d’où on devait prendre un billet quand on allait plus loin. Après trois amendes, je me suis amusé à rédiger une lettre de trois pages au service contentieux de l’entreprise. Résultat, j’ai eu gain de cause et gagné 200 euros. Tout ça pour dire qu’une fois que tu as cette logique du contentieux, tu t’en sers partout (opérateur téléphonique, contrat de location…) et tu le fais aussi volontiers pour tes amis.

Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ton métier ?

Même si le premier rendez-vous est toujours difficile, je dirais que c’est le contact humain. Bien sûr, je me fais insulter et dans mon précédent poste, j’ai même reçu des menaces de mort, mais très vite, les personnes comprennent que tu es le dernier interlocuteur avant que la machine juridique ne vienne les écraser. Toi, tu es là pour trouver une solution pour tout le monde. D’ailleurs ce que je préfère, c’est quand les anciens clients de la banque gagnent leur procès contre nous.

Certaines personnes qui exercent ce métier se laissent emporter par leur pouvoir et n’ont plus d’émotions. Pour elles, c’est presque devenu un jeu.

Donc tu prends position en faveur des clients ?

Comme je l’expliquais, mon métier consiste à récupérer l’argent dans les meilleurs délais, mais on est avant tout là pour coopérer. Pourquoi ? Parce que si on n’arrive pas à trouver un accord avec le client, il faudra entamer une procédure judiciaire qui en plus d’être très longue, coûtera de l’argent à la banque. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas ce qu’on recherche. Quant au fait de perdre un procès, il arrive que la banque se trompe dans le calcul des taux d’intérêt : dans ces cas-là, les clients remboursent l’argent prêté par la banque, mais pas ce qui a été ajouté à la facture. C’est très instructif !

Au choix, on me dit : « Comment tu peux faire ça ? », « Quelle horreur ! », « Je ne pourrais jamais faire un truc pareil ! »

Et ce que tu aimes le moins ?

Il y a malheureusement des personnes malintentionnées qui font ce métier. Certains se laissent emporter par leur pouvoir et n’ont plus d’émotions. Pour eux, c’est presque devenu un jeu. Ils n’aiment pas telle personne, alors ils vont chercher un moyen de l’écraser. Alors quand ils te proposent de “reprendre un dossier”, tu évites ! Ils oublient que la qualité première quand tu fais ce métier, c’est l’empathie. Pour être juste, il faut pouvoir se mettre à la place de la personne que tu as en face. Volontairement, il faut se mettre en position de vulnérabilité. Et quand cela devient trop pesant, tu te réfugies derrière les règles de droit. C’est un juste milieu à trouver.

Dans la vie de tous les jours, est-ce compliqué d’exercer un métier aussi mal perçu socialement ?

Mes proches ont compris ce qui m’intéressait dans ce métier et savent que j’essaie d’être le plus juste possible. Disons que ça se corse lorsque je rencontre de nouvelles personnes. Au choix, on me dit : « Comment tu peux faire ça ? », « Quelle horreur ! », « Je ne pourrais jamais faire un truc pareil »… Et cela commence à me fatiguer un peu alors maintenant je préfère dire que je suis juriste, sans aller plus loin. Souvent, j’enchaîne par un « Parlons plutôt de toi et allons manger un apéricube » (rires). Mais il arrive que je me retrouve piégé et que je sois obligé de raconter ce que je fais. Souvent, après une quinzaine de minutes à parler avec mon interlocuteur, il me dit qu’il ne voyait pas les choses comme ça et son point de vue a un peu changé.

Je me dis même qu’il vaut mieux que ce soit moi qui fasse ce métier plutôt qu’une autre personne avec de mauvaises intentions.

Tu ne te dis pas que tu es une mauvaise personne ?

Parfois il m’arrive de mettre une casquette quand j’arrive au travail et d’essayer de l’enlever le soir en rentrant pour éviter de me faire bouffer par les émotions négatives. Mais je sais que je ne suis pas un connard. Tout ce que je fais, je le fais en toute conscience professionnelle. Je suis convaincu de l’intérêt de respecter le droit, je peux tout justifier. Après, je ne suis pas seulement une personne qui fait un métier particulier, j’ai ma propre personnalité. J’ai des amis, une famille, des hobbies, on ne peut pas me mettre dans une seule case.

Tu n’as jamais pensé à faire autre chose, à renoncer ?

Parfois tu te dis, « mais pourquoi je fais une chose pareille ? » Ton but, c’est d’aider la banque à récupérer de l’argent, mais a-t-elle vraiment besoin de ça ? Aussi je me dis que c’est un métier nocif, et j’interroge le sens de tout ça. Mais en même temps, je suis convaincu que je suis bon dans ce métier. J’ai réussi à trouver un certain équilibre qui me permet de comprendre les gens dans une situation précaire et de chercher les meilleures solutions pour les deux parties, comme celle qui revient à proposer au client d’engager une procédure de surendettement (après avoir déposé un dossier à la Banque de France, cela permet de ne plus avoir à rembourser ses dettes, ses crédits et découverts pendant deux ans). Je me dis même qu’il vaut mieux que ce soit moi qui le fasse plutôt qu’une autre personne avec de mauvaises intentions. La relation complexe avec le client, je m’y suis habitué. Je suis sûr que si je la perdais, elle me manquerait. À certains moments, je me dis même que je devrais aller encore plus loin et devenir huissier.

Parce que selon toi, l’huissier c’est un cran au-dessus ?

Avec l’huissier, il n’y a pas vraiment de relation avec le client. Il est là pour exécuter les décisions de justice. C’est lui qui va saisir les comptes bancaires, vérifier la valeur des biens immobiliers, dresser l’inventaire des meubles, des voitures… Ça me plaît parce que tu vas “sur le terrain”, et comme pour le recouvrement il y a des besoins. Après, humainement…

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Photo par WTTJ

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