Moins de 35 ans et syndiqués : ils racontent leur engagement

26 janv. 2021

7min

Moins de 35 ans et syndiqués : ils racontent leur engagement
auteur.e
Coline de Silans

Journaliste indépendante

En France, environ 30% des salariés français étaient syndiqués en 1949, contre 11,2% actuellement. Parmi ce pourcentage, on compte seulement 5% de travailleurs de moins de 35 ans, et à peine 2% chez les moins de 25 ans. Pourtant, selon une étude publiée en 2019 à l’IRES (Institut de Recherche Économiques et Sociales), la jeune génération place encore beaucoup d’espoir dans l’action collective, principale raison d’être des syndicats. Alors comment expliquer cette désaffection ? Le syndicalisme serait-il devenu ringard ? La jeune génération aurait-elle perdu foi en la puissance des syndicats ? Nous avons échangé avec quatre jeunes syndiqués issus de milieux professionnels différents qui nous expliquent pourquoi ils croient encore au pouvoir de ces organisations, et ce que leur adhésion à celles-ci a changé dans leur vie.

Des raisons variées de se syndiquer

De nos jours, peu de jeunes pensent spontanément à se syndiquer à leur arrivée dans une entreprise, et ceux qui le font ont souvent un passif dans un syndicat étudiant. Dans son étude Jeunes et mouvement syndical. Trajectoires d’engagements et stratégies organisationnelles, la maîtresse de conférences en sociologie Camille Dupuy identifie trois « parcours types » chez les jeunes syndiqués : ceux qui étaient déjà familiers avec le syndicalisme par l’intermédiaire des parents ou d’un syndicat étudiant, ceux qui se sont engagés suite à un conflit dans leur travail, et ceux qui ont pour objectif d’améliorer les conditions collectives des travailleurs, souvent dans un contexte plus large que leur simple entreprise. En marge de ces « parcours », d’autres doivent leur adhésion au syndicalisme au pur hasard. C’est le cas de Louis Boyard, 20 ans, ex-président de l’UNL (Union Nationale Lycéenne) : « Je suis entré dans le syndicalisme par opportunisme total. J’avais décidé d’organiser un blocus devant mon lycée avec d’autres étudiants pour réclamer le désamiantage de notre bâtiment, et on avait besoin d’un mégaphone. J’avais croisé un type de l’UNL qui en avait un, c’est comme ça que je suis entré en contact avec eux. En échangeant avec quelques membres, j’ai réalisé qu’il y avait tout un tas de causes étudiantes qui méritaient qu’on monte au créneau : ParcourSup, la réforme du bac… »

« Le syndicalisme a construit la personne que je suis devenue » Louis Boyard, 20 ans, ex-président de l’UNL (Union Nationale Lycéenne)

Idem pour Maryam Pougetoux. Si la jeune femme avoue avoir toujours eu un tempérament de “justicière”, l’ancienne vice-présidente de l’UNEF (Union Nationale des Étudiants et France) doit elle aussi son adhésion à une rencontre fortuite avec un militant au détour d’un couloir de sa fac. « Quand j’étais en prépa, quelqu’un de l’UNEF était venu nous parler des élections au CROUS. En tant que boursière, j’étais assez sensible aux thématiques de la précarité étudiante, et j’avais été voter. À l’époque, je m’étais dit que j’essaierai de rentrer dans une asso étudiante, quand j’aurai plus de temps. Peu après mon arrivée à la fac, j’ai engagé la discussion avec un étudiant de l’UNEF. Ça m’a parlé, et j’ai décidé de me présenter aux élections universitaires de la Sorbonne. » Le point commun de ces jeunes syndiqués ? Ils partagent souvent une envie d’œuvrer pour le bien commun et de faire bouger les lignes. Même si le fait agir par le biais d’un syndicat n’est pas évident pour tout le monde, toujours est-il qu’une fois engagés, la plupart des jeunes n’envisagent plus de s’en éloigner.

La puissance du collectif

« Le syndicalisme a construit la personne que je suis devenue, confirme Louis. Être à la tête de l’UNL a été aussi passionnant qu’utile. Disons qu’avant, j’étais assez indifférent à tout ce qui m’entourait, alors qu’aujourd’hui je suis animé par l’envie d’aider. Je n’envisage plus de faire un métier pour gagner de l’argent, je me vois plutôt dans le droit public ou pénal, pour être à l’écoute des autres. C’est sûrement un peu cliché, mais le syndicalisme m’a appris que “c’est en s’entraidant qu’on avance.” »

« Très vite, on se rend compte qu’en se rassemblant, on pèse bien plus lourd face aux intérêts politiques. » Baptiste Gatouillat, 35 ans, ex-président chez les Jeunes Agriculteurs

Baptiste Gatouillat, agriculteur de 35 ans, garde lui aussi de son mandat de président chez les Jeunes Agriculteurs la conviction que le collectif rend plus fort : « adhérer à ce syndicat m’a permis d’échanger avec d’autres. Ça m’a ouvert l’esprit et appris à ne pas être replié sur mes propres convictions. Il faut également comprendre celles des autres. Mais aussi très vite, on se rend compte qu’en se rassemblant, on pèse bien plus lourd face aux intérêts politiques. »

Autre avantage non négligeable de l’appartenance à un syndicat : la possibilité de créer du lien dans des corps de métier où la solitude pèse, comme c’est le cas dans l’agriculture. « Le fait de pouvoir se retrouver le soir ou en journée, permet de se soutenir en cas de coup de dur, témoigne Baptiste. C’est très important pour les jeunes agriculteurs qui démarrent dans le métier. La plupart des personnes que j’ai rencontrées chez les Jeunes Agriculteurs sont devenus des amis. »

Des actions concrètes

S’investir dans un syndicat permet aussi de bénéficier de tout un appareil structurel, qui, lorsqu’il fonctionne bien, permet de mesurer les retombées concrètes de ses actions. C’est justement ce qui a plu à Maryam, dont l’ascension au bureau national de l’UNEF a permis de participer activement aux prises de décisions concernant le milieu universitaire. « Il y a certaines choses que je n’aurais jamais pensé faire en tant qu’étudiante : proposer des amendements aux parlementaires, écrire une lettre ouverte à la ministre en charge de l’enseignement supérieur, rédiger une proposition de loi… C’est extrêmement enrichissant, explique-t-elle. Tout en travaillant sur des thématiques variées, on se retrouve au cœur de toutes les décisions. Très vite, on prend conscience que la plupart des étudiants ne connaissent pas leurs droits. Notre rôle, c’est aussi d’informer. »

« On critique souvent les syndicats en disant qu’ils ont perdu de leur force de frappe, mais s’ils n’existaient pas, ce serait bien pire ! » Estelle, jeune enseignante d’anglais au lycée

Pour Estelle, jeune enseignante d’anglais au lycée, les syndicats sont parmi les seuls à pouvoir établir un rapport de forces avec l’État. « C’est collectivement que nous pouvons faire changer les choses, explique-t-elle. Aujourd’hui nous n’avons pas meilleurs outils que les syndicats pour le faire, même si certains d’entre eux sont devenus très institutionnels. Malgré tout, il faut continuer de s’organiser tous ensemble, pour défendre nos droits. On critique souvent les syndicats en disant qu’ils ont perdu de leur force de frappe, mais s’ils n’existaient pas, ce serait bien pire ! » Ces jeunes sont convaincus que l’action collective menée par les syndicats reste le meilleur moyen de faire entendre leurs revendications. Pourquoi ? Contrairement à certaines associations ou collectifs, ils disposent de nombreuses compétences nécessaires à leur organisation.
« En ce moment, il y a une volonté de se bouger chez les jeunes, la force des organisations syndicales, c’est que ce sont elles qui drivent les revendications, reprend Maryam. Des individus lambda ne pourraient pas se mobiliser sans ces structures. Qui sait comment faire une demande d’autorisation pour une manifestation par exemple ? »

Sentiment d’appartenance à un groupe, fierté à se battre pour une cause plus grande que soi, satisfaction de pouvoir mener des actions concrètes… autant d’arguments qui font que les jeunes syndiqués croient encore dans ces organisations séculaires. Mais alors comment expliquer que le taux d’engagement reste si faible chez les plus jeunes ?

« Même si on a toujours besoin d’avoir des structures qui permettent de défendre nos intérêts, il faudrait peut-être revoir la méthode. » Louis Boyard

Des syndicats « en retard »

Parmi les plus jeunes recrues, certains pointent du doigt le manque de modernité des syndicats, leur bureaucratie trop lourde ou encore leur présence insuffisante sur les réseaux sociaux. « De nos jours, n’importe qui peut contacter n’importe qui sur les réseaux sociaux. Les informations circulent beaucoup plus vite qu’avant, analyse Louis. Alors pour beaucoup de jeunes, ces institutions paraissent vieilles : quelqu’un de très influent sur Instagram peut rassembler plus de monde que la CGT… Même si on a toujours besoin d’avoir des structures qui permettent de défendre nos intérêts, il faudrait peut-être revoir la méthode. »

Même constat du côté de l’étude menée par l’IRES : « aujourd’hui les jeunes travailleurs ne constituent pas toujours un public prioritaire. Il y a des réticences, voire des résistances à l’élaboration d’une politique syndicale spécifique en direction des jeunes ». Cette situation expliquerait pourquoi certains jeunes pensent d’abord à s’engager dans les associations étudiantes.

« Il faut être prêt à perdre plusieurs journées de salaire, or nombreux sont ceux qui ne peuvent plus se le permettre. » Estelle

Une précarisation des jeunes

Si la méthodologie vieillissante est une raison évidente du déclin du syndicalisme chez les moins de 35 ans, elle n’est pas la seule : se syndiquer implique de pouvoir bénéficier de conditions de travail stables, ce qui est hélas de moins en moins le cas chez les jeunes. Selon l’Insee, en 2018, 35% des salariés de 15 à 29 ans occupaient un emploi précaire (CDD, intérim ou contrat d’apprentissage). Un taux qui monte à 54% chez les 15-24 ans.
« Aujourd’hui je suis TZR, c’est-à-dire prof’ remplaçante, raconte Estelle. Dans ces conditions, il est plus difficile pour moi de m’impliquer dans un syndicat. Je change d’établissements très régulièrement, je n’ai pas vraiment de collectif de travail. J’essaye de continuer à participer aux assemblées générales et aux manifs, mais je peux difficilement faire plus. Sans compter que lorsque l’on organise une grève dure, il faut être prêt à perdre plusieurs journées de salaire, or nombreux sont ceux qui ne peuvent plus se le permettre. »

« À la différence d’un parti, quand on est dans un syndicat on travaille deux fois plus » Louis Boyard

Face à des situations professionnelles de plus en plus précaires, l’engagement des jeunes dans les syndicats est relégué au second plan. Selon la DARES, la propension à se syndiquer est quasi inexistante parmi les salariés en intérim (1 %) et en CDD (2 %). Quant aux salariés à temps partiel, ils se syndiquent moins (8 %) que ceux qui sont à temps complet (12 %). « À la différence d’un parti, quand on est dans un syndicat on travaille deux fois plus, pour une reconnaissance sociale et financière quasi nulle. C’est forcément un facteur que les jeunes prennent en compte », ajoute Louis.

La perte d’influence des « corps intermédiaires »

Les jeunes sont aussi de plus en plus nombreux à penser que les syndicats ont perdu de leur influence. « Avant, j’avais le sentiment que les syndicats pouvaient changer concrètement les choses, se souvient Maryam. Aujourd’hui, les corps intermédiaires sont un peu méprisés par le gouvernement. Disons que ça ne donne plus trop foi en cet outil qu’est le syndicalisme. On le voit avec la loi Programmation Recherche, qui était très critiquée au sein de la communauté universitaire, et qui a tout de même été adoptée. » Même constat chez Louis qui confirme que l’État ne joue plus le jeu : « Alors que cela permettait d’ouvrir le dialogue avec les citoyens, le pouvoir politique a fait le choix de mettre les syndicats de côté ! »

« Ce qui m’intéresse dans le syndicalisme c’est son objectif. La structure on s’en fout, ce qui compte c’est d’œuvrer ensemble pour le bien commun » Louis Boyard

Si le syndicalisme est indéniablement en perte de vitesse chez les jeunes, la volonté de contribuer à l’action collective n’a elle pas flanché. Seulement de nos jours, la structure par laquelle passe cet engagement est devenue secondaire : « ce qui m’intéresse dans le syndicalisme c’est son objectif. La structure on s’en fout, ce qui compte c’est d’œuvrer ensemble pour le bien commun, s’enthousiasme Louis. C’est tellement beau, ce qu’on peut accomplir ensemble ! »

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Photo d’illustration by WTTJ

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