@philosophyissexy : « La philo nous rappelle qu’on peut toujours agir »

14 déc. 2020

7min

@philosophyissexy : « La philo nous rappelle qu’on peut toujours agir »
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Si les termes cogito et conatus évoquent pour vous cette note de philo qui a bien ébranlé votre moyenne générale au bac, mais que vous vous posez un milliard de questions au quotidien, il faut lire Marie Robert. Professeure de philosophie, écrivaine, chroniqueuse à France Inter et peut-être par dessus tout podcasteuse et instagrameuse de talent avec son blaze “Philosophy is sexy”, la jeune femme rend (enfin) la philo accessible. Alors, on en a profité pour lui demander comment la philosophie pouvait bien nous sauver pendant cette crise qui ébranle notre relation au travail. L’Homme, télétravailleur ou chômeur dans le doute permanent, animal social parfois coupé de tout lien, qui de Platon ou de Kant pourrait bien lui venir en aide ? Peut-on affronter le Covid-19 par la seule pensée philosophique ? Entretien garanti sans prise de tête.

La crise que nous vivons empêche de nombreux travailleurs de se rendre au bureau, d’ouvrir leurs commerces, d’autres sont licenciés ou ont peur de l’être. Comment la philosophie peut-elle aider à vivre une telle situation ?

Autant dans notre vie personnelle que professionnelle, cette crise sanitaire a été à l’origine de nombreuses révélations. Certains se sont dit qu’ils avaient du mal avec leurs enfants, d’autres qu’ils n’aimaient pas tant leur travail… La philosophie permet d’accueillir toutes ces réflexions, de les analyser et de nous demander ce qui est en train de se passer. Alors que dans notre vie quotidienne, nous sommes en train d’accomplir des tâches à une vitesse vertigineuse ou de caler des plannings, la philosophie permet de faire ce mouvement de recul qui nous aide à réfléchir à ce qui nous arrive.

Si l’on vient d’être licencié ou que cela fait des mois qu’on est au chômage, cette prise de recul peut paraître bien illusoire ! Concrètement, sur quoi peut-on s’appuyer ? Sur des livres, des courants philosophiques ?

Avant même de s’appuyer sur un support, la première étape est vraiment celle de la réflexion ! Sous la douche, en train de se servir un café, on peut s’arrêter et se demander : « Est-ce que là, je suis en accord avec moi-même ? » Il s’agit du point de départ de la philosophie grecque, qui est d’interroger tout ce qui nous entoure.

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En cette période, cette idée de ne pas s’acharner et de ne pas être abattu par ce qui ne dépend pas de nous est précieuse.

Difficile en ce moment d’être en accord avec soi-même… Que nous propose la philosophie si ce n’est pas le cas ?

Si on n’est pas en accord, la philosophie tend vers une action. Si je suis licencié, c’est l’opportunité de se demander si je veux retravailler dans le même secteur ou si je veux tout changer. Si oui, je peux me demander si je veux faire une formation, et si c’est le bon moment. Si je suis au chômage partiel, j’ai toujours une marge de manœuvre. Bien sûr que cette situation peut être éreintante. On peut être anéanti par tout ce qui nous entoure mais on est beaucoup moins limité que ce que l’on pense. La philo nous rappelle que malgré tout ce que l’on traverse, on a tous un libre arbitre, une capacité de penser et donc d’action. On a toujours des pions qu’on peut bouger.

Parmi les différents courants, lesquels nous auraient permis de vivre au mieux cette année 2020 ?

Bergson est sans doute le philosophe le plus approprié à ce que nous vivons. Il dit que nous sommes créateurs de notre vie. Celui qui crée peut traverser de grands moments de doute et de complexité, de fatigue, mais il a toujours la joie du créateur. Je ne subis pas ma vie professionnelle, j’en suis le créateur et l’acteur quand je fais une formation ou quand je refais mon cv. On peut aussi se tourner vers les stoïciens, selon lesquels l’homme doit accepter ce qu’il ne peut changer. En cette période, cette idée de ne pas s’acharner et de ne pas être abattu par ce qui ne dépend pas de nous est précieuse. On peut également lire Épicure qui nous rappelle que le bonheur c’est la paix du corps et de l’esprit. Selon les épicuriens, si on cherche le bonheur à l’extérieur de soi, on est voué au désespoir. Donc, même en cette année 2020, on peut accéder à cette paix du corps si on sort courir après avoir traité nos mails de la journée !

Et le chômage ? Comment aborder philosophiquement une telle exclusion de notre sociabilité ?

Aujourd’hui, avec cette obsession que nous avons pour le travail, être au chômage nous donne l’impression d’être en dehors de la société. Bouffé par des problématiques économiques, on panique. Mais pour la philosophie, les temps chômés sont un temps où on est tout aussi actifs car on a enfin le temps de penser. Pour les Grecs, à l’inverse de notre société contemporaine, ne pas travailler et participer à la vie de la cité était important. Aujourd’hui, on peut être en lien avec les autres via le monde associatif ou l’engagement autour de projets. Une fois qu’on arrive à endiguer les problèmes financiers, on peut prendre du recul et se demander quoi faire pour être dans un faire qui nous ressemble. D’ailleurs, ceux qui ont cette capacité sont ceux qui arrivent à engranger des projets qui vont les emmener complètement ailleurs dans leur vie professionnelle.

À vous écouter, la philosophie peut vraiment nous aider à traverser bien des crises. Pourquoi est-elle si peu mise en avant ?

Parce qu’on a l’impression que c’est une matière poussiéreuse et élitiste, alors qu’elle parle de chacun d’entre nous. C’est d’ailleurs toute la nature de ma démarche (à travers son podcast et son Instagram notamment, NDLR) : dire que les textes sont exigeants, certes, mais que la philosophie peut être accessible.

En plus de vos activités de chroniqueuse et d’influenceuse, vous avez monté votre propre école Montessori à Paris, avec des ateliers philo à partir de 5 ans. La philosophie peut-elle aider les enfants et adultes de demain à mieux gérer les crises à venir ?

Complètement. Dans le système scolaire actuel, on apprend “la” bonne manière de résoudre un problème, l’unique façon d’aller d’un point A à un point B. En philo, ce n’est pas le cas. On constate que les choses sont plus compliquées que ce que l‘on pense. En initiant les enfants très tôt à cette réflexion, on leur permet d’apprendre la nuance, l’argumentation et le mot juste. C’est ainsi qu’on les prépare à notre vie qui est teintée de complexité.

La philosophie ne donne pas de méthode mais vous fait réfléchir et changer de lunettes. Elle vous rend acteur.

Et en entreprise, quelle place pour la philosophie ?

Comme pour les individus, les entreprises sont dans l’habitude, la philo leur permet de se poser la question du monde auquel elles souhaitent participer. Elles font de plus en plus appel à des philosophes pour préciser leur vision, redéfinir leurs valeurs ou encore penser leurs pratiques managériales. Pour les employés, cela permet de se demander ce qu’ils font et pourquoi ils le font. Est-ce que je comprends le mail que j’envoie, est-ce que je comprends pourquoi je remplis cette case ? Si on ne comprend pas que ces chiffres que je remplis participent à la construction d’un pont à l’autre bout du monde, c’est un vrai manque.

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De nombreux professionnels se font désormais accompagner par des coachs. Quelle différence entre un regard philosophique et ce qu’on appelle la positive attitude en développement personnel ?

Le développement personnel se base sur des supports philosophiques mais c’est une version remixée. Elle veut délivrer une méthode, une bonne manière de faire… Le développement personnel vous dira de dresser chaque jour une liste des choses que vous aimez par exemple, vous allez le faire pendant trois jours, et le jour où vous ne le faites pas vous êtes dans la culpabilité. La philosophie ne donne pas de méthode mais vous fait réfléchir et changer de lunettes. Elle vous rend acteur.

Ce qui est aliénant, c’est d’être étranger à soi-même et la philosophie nous aide à nous poser des questions pour que le travail ne nous soit pas étranger.

Comment faire, si on veut s’initier à la pensée philosophique ?

On peut commencer par des lectures basiques comme Lettre à Menecée d’Epicure, un véritable guide pratique sur le bonheur. Dans ce livre, le penseur, très pédagogue, nous rappelle que la sagesse n’est pas seulement réservée aux grands philosophes mais que c’est une attitude à avoir au quotidien. D’après lui, le bonheur, c’est se recentrer sur les plaisirs simples, les apprécier et savoir se réjouir du fait qu’on existe. Et ce qui nous empêche d’être heureux, ce sont nos peurs. On peut aussi lire les Essais de Montaigne pour considérer toutes les facettes de la vie avec sagesse. Avec lui, on apprend que plutôt que de s’imposer une cadence imposée par les autres, il faut vivre à son rythme. Et sinon, vous pouvez également vous procurer mon dernier ouvrage (sourire). Dans Le voyage de Pénélope, je raconte l’histoire d’une personne qui quitte famille et travail pour aller à la recherche d’elle-même et pendant ce voyage elle découvre la philosophie.

Avant-dernière question, spéciale bac de philo. Le travail : liberté ou aliénation ?

On retrouve plusieurs visions du travail : chez Nietzsche on a cette idée d’aliénation par le travail, tandis que Bergson fait de nous des créateurs. Le travail devient aliénant quand on le perd de vue et quand on est juste dans l’exécution, mais pas quand il est une pratique censée. Ce qui est aliénant, c’est d’être étranger à soi-même et la philosophie nous aide à nous poser des questions pour que le travail ne nous soit pas étranger. Elle permet de lui donner un sens et de comprendre qu’on participe à quelque chose de global qui nous stimule.

Cette quête de sens n’est-elle pas réservée aux plus privilégiés ?

Il est certain que c’est difficile de trouver du sens quand tu es freelance ou que tu enchaines des heures supplémentaires au black. Chercher à tout prix du sens dans le monde professionnel peut d’ailleurs être dangereux. Les plus jeunes baignent dans ce storytelling et sont déçus par chacune de leurs expériences professionnelles. Ils se rendent compte qu’ils font des choses peu intéressantes ou qu’ils sont mal considérés et mal payés. Or, c’est aussi ça le travail. Je parlerais donc d’expériences. Chaque moment professionnel est une expérience malheureuse ou heureuse qui permet d’apprendre et de dessiner ce que nous sommes.

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Photo par Thomas Decamps for WTTJ

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