L'effet Zeigarnik : pourquoi est-il si nocif de ne pas terminer une tâche ?

16 nov. 2020

4min

L'effet Zeigarnik : pourquoi est-il si nocif de ne pas terminer une tâche ?
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

Faites-vous partie de ces personnes qui ne peuvent s’empêcher de regarder « juste un épisode de plus » sur Netflix ? Qui êtes capable de retenir un pavé d’informations juste avant un examen… et de tout oublier une semaine plus tard ? Ou simplement qui tirent une joie presque surnaturelle à l’idée de barrer une tâche sur une to-do ? Comme beaucoup, vous subissez simplement ce que l’on appelle « l’effet Zeigarnik ». Zeiga-quoi ? Zeigarnik. C’est la tendance qu’a votre cerveau à mieux se rappeler d’une tâche que vous avez réalisée si celle-ci a été interrompue. L’effet Zeigarnik a le bénéfice de vous motiver à finir ce que vous entreprenez, mais il peut vite devenir un calvaire quand vous multipliez les projets au boulot. Décryptage de ce phénomène.

Trois cafés courts, un allongé, deux cocas et une eau pétillante avec citron, s’il vous plaît

Bienvenue dans les années 1920, à la terrasse d’un café dans lequel Bluma Zeigarnik - une psychologue américaine d’origine russe - a ses habitudes. Elle remarque que les serveurs sont capables de se souvenir d’un nombre remarquable d’informations à la prise de commande. Pour autant, une fois celle-ci délivrée, elle semble s’effacer complètement de leur mémoire. Seraient-ils tous atteints de troubles de la mémoire… ou est-ce autre chose ?
Elle décide de poursuivre ses observations avec une expérience. Elle y confie une série de tâches simples à 138 enfants. La moitié d’entre eux est interrompu au cours de leur travail, l’autre moitié le poursuit jusqu’au bout. Une heure plus tard, elle les interroge sur les tâches en question : 12% des élèves non interrompus se souvenaient précisément des tâches terminées… contre 80% de ceux qui avaient été stoppés dans leur travail. Elle renouvelle l’expérimentation avec des individus adultes et parvient aux mêmes résultats. Sa conclusion ? S’engager dans la réalisation d’une tâche crée une « motivation d’achèvement » qui resterait insatisfaite si celle-ci est interrompue. Et c’est pourquoi une tâche interrompue serait mieux mémorisée qu’une tâche achevée.

L’effet Zeigarnik au travail : booster ou fardeau ?

L’effet Zeigarnik, c’est donc celui qui vous permet de vous souvenir des points importants de votre dossier en cours… mais aussi celui qui vous provoque des insomnies quand vous pensez à tout ce qu’il vous reste à faire.

Une fois une tâche commencée, vous êtes plus susceptible de la terminer… puisque c’est le meilleur moyen de pouvoir la rayer de votre cerveau et vous libérer l’esprit. L’effet Zeigarnik, c’est donc un coup de pied aux fesses “anti-procrastination”. Il donne la motivation nécessaire pour commencer et terminer un projet. La limite ?

Quand le poids des tâches devient trop important, il finit par générer une certaine anxiété ou des pensées parasites… voire un épuisement mental. Qui a envie de lister mentalement les dix points urgents de la semaine à venir pendant un brunch dominical ? Les œufs brouillés, c’est bon. Le cerveau brouillé, c’est à éviter.

Heureusement, les recherches de Bluma Zeigarnik notent que seules les tâches pour lesquelles l’engagement cognitif est important restent en tête (et heureusement). À défaut d’être capable de modérer son engagement envers son entreprise et son travail, construire une réelle frontière entre sa vie personnelle et professionnelle permet d’apprendre à gérer le stress d’une tâche non achevée, et de limiter la charge mentale professionnelle. En bref, tout comme ne pas avoir terminé un coloriage avec votre nièce ne devrait pas vous empêcher de vous concentrer en réunion, ne pas avoir terminé un projet professionnel ne devrait pas vous empêcher de dormir la nuit.

La psychologue note également que l’on est plus susceptible de se souvenir d’une tâche arrêtée en milieu ou fin de processus, plutôt que d’une tâche tout juste commencée. En effet, il faut généralement un certain temps avant de faire naître un réel désir de la voir terminée. Donc oui, vous pouvez jeter un œil au projet de Roger quand il sollicite votre avis, mais évitez de lui donner un coup de main trop concret si vous ne souhaitez pas que l’effet Zeigarnik vienne y mettre son grain de sel.

L’effet Zeigarnik est une arme au service de la mémorisation. Le spécialiste de la mémoire John Baddeley a approfondi les découvertes de Bruma Zeigarnik en proposant à des étudiants de résoudre une série d’anagrammes. Les participants disposaient d’un temps limité, et recevaient la bonne réponse lorsqu’ils ne parvenaient pas à résoudre l’anagramme avant la fin du temps imparti. Lorsqu’on a interrogé les participants quelques jours plus tard, ils ont montré une meilleure mémoire pour les mots qu’ils n’avaient pas résolus. John Baddeley confirme ainsi l’intuition de Bruma Zeigarnik : les individus se remémorent plus facilement les informations inachevées ou interrompues. Dans le monde du travail, cela signifie que prendre des pauses ou être interrompu pendant que vous travaillez peut, paradoxalement, augmenter votre capacité à conserver des informations. Vous avez maintenant une excuse validée scientifiquement pour aller prendre un café ou sortir vous promener au milieu de la journée.

Comment tirer parti de l’effet Zeigarnik au travail ?

  • Face à un travail colossal, découpez votre travail en tâches courtes et commencez par les plus simples. Cela vous engage dans l’action et vous donnera davantage envie de terminer. Au contraire, s’attaquer au plus difficile dès le départ pourrait vous démotiver face à l’ampleur de la tâche.

  • Évitez le multi-tâches. Votre cerveau ne vous laissera pas vous concentrer pleinement sur une nouvelle tâche tant que la précédente est inachevée. C’est pourquoi les techniques de productivité comme la méthode Pomodoro (diviser son travail en sessions de 25 min avec 5 minutes de pause entre chaque, ndlr) fonctionnent si bien.

  • De la même façon, acceptez un nombre réduit de projet ou de services à rendre à vos collègues (« apprenez à dire non », comme diraient les magazines de développement personnel). Vous investir sur beaucoup de sujets sans avoir suffisamment de temps à y consacrer pour les achever est contre-productif.

  • Faites des listes. Pour limiter le potentiel négatif de l’effet Zeigarnik, notez vos tâches inachevées à la fin de la journée. C’est le meilleur moyen d’éviter les pensées distrayantes, car la tâche devient un travail « à venir » plutôt qu’un travail « en attente ».

  • Misez sur les “work cliffhangers” pour susciter l’intérêt et retenir l’attention. À l’image d’un réalisateur de séries qui sait vous donner envie de regarder l’épisode suivant, usez et abusez du teasing autour de vos projets, et des pauses dans vos présentations : « Je vous propose de nous arrêter 10 minutes pour prendre un café, puis je vous présenterai les retours de notre DG sur le projet X ». Rien de tel pour vous assurer que toutes les discussions tourneront autour de votre travail.

L’effet Zeigarnik explique, en partie au moins, pourquoi nous fixons notre attention sur ce que nous n’avons pas fait… et minimisons ce que nous avons réalisé. L’énergie mentale et émotionnelle qu’il consomme est importante, il peut vous aider à déplacer des montagnes comme être la source d’une tension permanente. Pour le maîtriser et en faire un allié plutôt qu’un handicap, apprenez à tolérer l’incertitude, les vides, et soyez indulgent envers vous-même. Car initialement, l’effet Zeigarnik ne vous voulait que du bien.

Suivez Welcome to the Jungle sur Facebook, LinkedIn et Instagram ou abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir, chaque jour, nos derniers articles !

Photo d’illustration by WTTJ

Les thématiques abordées