L'impact de la technologie sur le futur du travail : le défi RH n° 1 ?

06 sept. 2018 - mis à jour le 27 déc. 2022

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L'impact de la technologie sur le futur du travail : le défi RH n° 1 ?
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La digitalisation du travail est à l'œuvre et s'est accélérée depuis la crise Covid. À l’avenir, de nouveaux outils tels que l’intelligence artificielle et la réalité augmentée devraient gagner du terrain. Immersion dans l’entreprise du futur.

Intelligence artificielle, métavers et réalité augmentée sont autant d’outils qui chamboulent le monde du travail et dessinent les contours de son avenir. Selon Salima Benhamou, économiste au sein du département travail, emploi et compétences de France Stratégie, aujourd’hui, « la technologie est efficace pour des missions extrêmement ciblées : elle peut prendre en charge des tâches plus ou moins complexes à partir du moment où elle se cantonne aux processus routiniers ». Et ça, la France et ses entreprises l’ont bien compris : elles tentent déjà de rattraper leur retard sur les grands acteurs du marché mondial de l’innovation, comme les États-Unis et la Chine. La publication du rapport Villani sur l’intelligence artificielle en mars 2018 illustre cette volonté. Celui-ci préconise de « donner du sens » aux technologies et appelle à une réflexion plus large sur leur articulation avec la sphère professionnelle. Il est en effet impossible d’ignorer leur impact sur l’organisation du travail.

L’essor des nouvelles technologies dans l’entreprise interroge d’ailleurs – voire inquiète – la population française et l’éxecutif sur l’avenir de l’emploi. C’est ce qu’indique un rapport du gouvernement de 2017 consacré à la mesure des impacts économiques et sociaux engendrés par l’intelligence artificielle. Globalement, le débat semble faire resurgir le spectre d’une disparition du travail par l’automatisation. Mais Salima Benhamou, elle, ne croit pas au grand remplacement. « Connaissant la complexité du travail dans certains secteurs, la machine ne pourra pas dépasser l’humain », affirme-t-elle. Elle perçoit les technologies de rupture, telles que les robots, comme la possibilité d’un travail « augmenté » et la réduction de la pénibilité des tâches pour l’être humain. Alors, ces outils pourront-ils vraiment faire leur entrée dans nos modèles d’organisation du travail et figurer parmi les nouveaux défis auxquels les ressources humaines devront se confronter ?

Réalités virtuelle et augmentée : une révolution de la formation à la production

De la réalité virtuelle au travail augmenté, une nouvelle façon de penser les modèles de production

Multipliant les essais en matière de robotique en entreprise, c’est parmi l’un des fleurons de l’industrie européenne, Airbus, que s’esquissent les premiers bilans concluants suite à l’introduction de réalité virtuelle dans la chaîne de production. Un exemple d’application au travail est l’arrivée d’outils de conception assistée par ordinateur au sein des services engineering de conception d’avions. Des maquettes numériques d’appareils sont ainsi projetées en réalité virtuelle, permettant de simuler différents scénarios, de design ou de technicité. Des situations qui auraient été trop coûteuses, dangereuses ou impossibles à tester en grandeur nature, sont donc rendues possibles grâce à la réalité augmentée.

Les bureaux virtuels : vers la fin du présentiel ?

L’utilisation de la 3D virtuelle ne se limite pas à la production. Elle est aussi un outil de gestion des interactions entre les collaborateurs autour d’un projet. Capgemini Consulting souligne dans un rapport de 2020 des retours d’expériences positifs sur des collectifs de travail mis en place autour de bureaux virtuels permettant à des équipes dispersées de collaborer efficacement. Cette dématérialisation entraîne des bénéfices économiques, avec une diminution des voyages et déplacements, mais aussi humains, avec des échanges moins formels et une multiplication des contacts entre les collaborateurs, créant une synergie et un potentiel d’innovation. L’optimisation de l’espace et la diminution de la surface des bureaux, du fait d’une limitation du matériel, via la virtualisation, est un autre avantage très concret de cette technologie. Salima Benhamou nuance : « Pouvoir recruter des équipes un peu partout dans le monde et les faire travailler en commun via une plateforme sécurisée constitue des avantages, mais pose aussi un certain nombre de questions sur le statut du salarié et les conditions de travail ». L’entreprise étant dématérialisée, quid des contrats de travail et de la réglementation, notamment en termes de respect de la vie privée ?

Les casques de réalité virtuelle : une opportunité de formation immersive

La réalité virtuelle a également un rôle à jouer dans l’accompagnement des collaborateurs, sur le modèle de formations immersives et de mises en situations virtuelles. Schneider Electric, par exemple, forme ses collaborateurs aux risques de sécurité grâce aux casques de réalité virtuelle, disponibles à l’entrée des usines. L’avantage est de mettre en scène le collaborateur en l’étudiant dans des environnements dangereux afin de tester sa réactivité et de lui proposer une formation adaptée. Pour le salarié, cela permet de reproduire à l’infini des situations professionnelles expérimentales afin d’en acquérir une plus grande maîtrise.

L’intelligence artificielle, le meilleur ami de l’homme au travail ?

Le cas Orange : vers une automatisation totale des services techniques

L’intelligence artificielle est la grande nouveauté de ces dernières années. Elle trouve déjà de multiples applications dans le monde de l’entreprise, entre autres via des logiciels « intelligents » ou encore des robots-assistants ou chatbots. Chez Orange, dans les services d’intervention technique chez les clients, un logiciel s’occupe « seul » de l’affectation des ordres de travaux, par rapport aux plannings des techniciens. Cette tâche représenterait jusqu’à 70 % du temps de travail administratif d’un conducteur d’activité. Pour autant, contrairement aux craintes traditionnelles qui émergent face à la robotisation du travail, ce procédé n’est pas synonyme du remplacement de l’homme par la machine. La gestion de ce logiciel nécessite en effet l’acquisition de nouvelles compétences pour le collaborateur : le paramétrage informatique des besoins réels ou encore une assistance à la correction du logiciel.

Robotique et intelligence artificielle : des mises en application industrielles réussies

L’intelligence artificielle peut être envisagée comme une possibilité pour supprimer les tâches les plus pénibles et dangereuses d’un poste de travail, à la manière du robot collaboratifcobot »), notamment tel qu’il est développé par l’entreprise Sybot. Ce bras robotisé permet d’assister les opérateurs sur une chaîne de production en usine. Volkswagen utilise ce type de technologie en faisant cohabiter les robots et les opérateurs. Ces derniers se retrouvent ainsi avec des postes moins pénibles et peuvent se concentrer sur les tâches à plus grande valeur ajoutée.

RH : des technologies de rupture au service des équipes de demain

Outre ces avantages concrets au niveau de l’activité et du poste de travail (gain de temps, productivité et santé), l’intelligence artificielle apparaît comme un moyen de réinventer les ressources humaines, avec les assistants virtuels ou « chatbots », qui se développent dans le domaine du recrutement. Salima Benhamou souligne que « l’IA va pouvoir prendre en charge encore plus de tâches car c’est une technologie qui repose sur la capacité d’apprentissage : elle traite rapidement des informations et peut acter des décisions avec un risque d’erreur minime ». L’entreprise Alten a développé son accompagnateur virtuel de recrutement Thibot grâce à l’intelligence artificielle. Il s’agit d’un avatar qui repère les candidats sur Messenger : il est chargé d’engager la conversation et d’apporter des réponses aux talents. L’analyse des échanges (plus de 2 000 à ce stade) aide ensuite l’entreprise à repérer les questions les plus fréquentes, les postulants intéressés, et ainsi à ajuster sa stratégie de recrutement. L’activité du recruteur en est profondément modifiée et renouvelée. Le temps gagné à ne pas rechercher des centaines de profils permet de se concentrer sur l’aspect plus stratégique de l’activité, comme le développement de la marque employeur. Dans cette logique, Thibot devient un outil de marketing RH très ingénieux qui attire aujourd’hui les candidats les plus sensibles à l’innovation.

Les nouvelles technologies dans l’entreprise : un grand chantier RH

Ces procédés de pointe obligent l’ensemble des équipes à se former. Les techniques de production sont concernées, mais pas seulement. Ce sont les modèles d’organisation des entreprises tout entiers qui sont remis en question.

La formation, clé de voûte des grandes transformations du travail

Comme dans d’autres domaines, la formation des salariés aux outils numériques devient primordiale à l’ère du tout technologique. Elle permet une qualification augmentée de la personne, qui devient potentiellement polyvalente et technophile, et voit son activité se
renouveler
. Une transition numérique réussie passe ainsi par l’allocation d’un budget spécifique à la formation des collaborateurs, afin de les familiariser avec les machines et de comprendre l’étendue de l’activité. Cette transition est indissociable d’un accompagnement RH efficace permettant d’avoir une compréhension juste et intégrale de ses fonctions.

La digitalisation du travail va de pair avec la refonte des modèles organisationnels

À rebours de la traditionnelle « division des tâches » des modèles tayloristes et fordistes, la technologie donne la possibilité au salarié d’envisager de manière très globale son activité, et d’en avoir une maîtrise plus complète. L’arrivée de ces outils innovants doit néanmoins s’accompagner d’une réflexion plus large sur l’organisation des rapports hiérarchiques au sein de l’entreprise, leur introduction s’accordant mal avec une structure trop corporatiste, pyramidale et rigide. C’est ce que disaient déjà Marc Bidan et Jean-François Trinquecoste dans la revue « Management et avenir », en 2014 : « La cohabitation de territoires numériques – matérialisés par le système d’information, ses applications et son écosystème étendu – et de territoires traditionnels – figurés notamment par l’organigramme, sa structure et ses dimensions hiérarchiques – brouillent peu à peu la lisibilité des frontières de l’organisation ». Les rapports de management doivent par ailleurs être repensés par l’entreprise, conséquence de la profonde modification des modes de travail.

Le Centre National des Arts et Métiers (CNAM) préconise ainsi quatre nouvelles compétences managériales stratégiques à acquérir dans le futur :

  • des compétences numériques
  • des compétences d’agilité pour apprendre les nouvelles méthodes de travail collaboratif
  • des compétences de « design thinking » pour innover au quotidien
  • et enfin des compétences d’interaction avec l’intelligence artificielle, afin de favoriser la création d’une relation « humain-machine »

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Article mis à jour par Mathias Dugas Oliver et Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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