L’afterwork, objet ultime de team building ?

Publié dans L'effet cocktail

02 juil. 2021

7min

L’afterwork, objet ultime de team building ?
auteur.e
Mylène Bertaux

Journaliste

Il a dominé la machine à café et ses potins en devenant le chouchou de l’entreprise. À la fois sas de décompression, moment de partage et de rigolade pour les employé·e·s, il est même devenu pour les boss un espace où l’on prend le pouls de la boîte, de l’ambiance, où l’on déroule les nouvelles idées comme les conflits. Mais gare à l’excès d’effervescence. Car une lourdeur est vite arrivée après un certain nombre de grammes… Alors, l’afterwork est-il synonyme de (bonne) ivresse collective ? Réponses garanties sans philosophie de comptoir.

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Piouf, enfin 18h ! Finis brainsto’, pitch disruptif et design-thinking sur PowerPoint, on va enfin pouvoir quitter l’open-space et networker avec ses potes, euh… collègues. Comprenez : remballez les dossiers, on va s’en jeter un petit au bar du coin avec Jérôme et Maram. Alors qu’il a fait des débuts timides en France, l’afterwork a su s’imposer dans le paysage et la vie de bureau.

Il est probable que les séries américaines des années 90, avec les cocktails exotiques sirotés par Carrie Bradshaw et ses copines dans les bars branchés de New York (cf. Sex and the City), aient contribué à populariser le concept venu tout droit des US. À savoir :

  1. sortir du bureau,
  2. prendre un verre en compagnie de ses collègues et/ou son / sa boss,
  3. avec option gueule de bois pour ceux / celles qui seraient resté·e·s un peu tard.

L’Hexagone vit donc depuis plusieurs années le rêve américain, au bar du coin avec Jean-Michel de la compta. Et exit les rapports hiérarchiques lors de ce moment hors du bureau. L’afterwork est une opportunité pour faire un pas de côté, décaler les angles, ouvrir les discussions et souder les équipes.

Une bière pour le COMEX, siouplait !

« On est en dehors du bureau, on n’est plus dans la sphère pro : c’est important. » Olivier Binet est co-fondateur de Karos, au côté de Tristan Croiset. Cette application de covoiturage de courte distance en France, fondée en 2014, a levé 10 millions d’euros auprès du fonds Aster, Aglaé Ventures (Bernard Arnault) et Xavier Niel.

Une réussite qui vaudra à Olivier d’être qualifié de « star du campus d’HEC en région Parisienne ». Mais aussi, et surtout, d’avoir fait grandir une start-up qui compte aujourd’hui une quarantaine d’employé·e·s. La boîte est restée à taille humaine. L’afterwork n’y est pas pour rien. « Je participe très régulièrement. Tristan et les membres du COMEX également. En général, deux tiers des équipes sont présentes », précise-t-il. D’ailleurs, pour la première fois depuis le confinement, un pot après le travail va avoir lieu : « On est impatients et assez excités d’une certaine manière ! », s’enthousiasme le patron.

Chez MIP, l’acronyme de Master Image Programmes, Guillaume Fournie et Anthony Mulsant ne cachent pas non plus leur enthousiasme face à la reprise des activités. Basée à Boulogne-Billancourt, la boîte de production spécialisée en brand content, profite d’un joli jardin pour boire des coups après le bureau, et d’un “bar d’en face” conciliant, qui connaît bien l’équipe.

On le sent, le sujet passionne les deux boss qui participent « à 80% » aux pots de fin de journée. Niveau périodicité ? « C’est un par semaine », selon Guillaume Fournié, « enfin, plutôt trois quatre la semaine dernière », complète son associé, mutin. « Bon, en fait, y en a tous les soirs. Il faut plutôt compter les soirs où il n’y en a pas ! », charrient les deux acolytes.

Et comme Guillaume et Tristan, difficile de chiffrer le phénomène, ou de faire une moyenne nationale, car l’afterwork n’a pas attiré l’attention de l’Ifop, pour le moment. Il faut donc se tourner vers la dernière enquête d’OpinionWay (sondage OpinionWay pour J’aime ma boîte – Privateaser) réalisée en septembre 2017 auprès de 1060 salarié·e·s pour poser quelques chiffres sur le phénomène et comprendre les motivations des participant·e·s. Quelque 60% des salarié·e·s qui y participent le considèrent comme très important pour le bien-être en entreprise. Pour 70% des personnes présentes aux événements, c’est un moyen de découvrir ses collègues et de discuter avec les managers.

« On ne se parle pas comme au bureau »

Comme pour confirmer ces chiffres, toutes les entreprises que nous avons interrogées voient d’un bon œil les afterworks. Chez Karos, Olivier Binet n’hésite pas à qualifier le moment de « capital ». « On l’a vu avec le Covid. On a vraiment besoin de ces moments de convivialité, qui effacent les zones hiérarchiques. Ça nous a manqué. »

Une sensation que l’on retrouve à l’ADN. Ce média organise a minima un afterwork commun à toutes les équipes, répartis dans différents bâtiments, qui ne se croisent parfois jamais. « Forcément, on parle un peu d’histoires d’amour et de mec ou de meuf quand on se retrouve ! C’est normal. C’est un moment qui rapproche, où chacun·e peut aussi dire à l’autre “Tiens, j’ai vu que tu avais fait ça, j’ai beaucoup aimé”. À titre personnel, ça m’a souvent donné des idées de sujets pour mes articles. »

Chez Karos, on discute aussi vie perso. Mais Olivier constate que les échanges peuvent glisser vers le boulot. « Ce qui est amusant, c’est qu’on ne se parle pas comme au bureau. On se parle de la vie et de l’organisation, plutôt que du contenu et des projets concrets. » Un moyen finalement de fluidifier autant les rapports que les process dans un moment où le / la boss est un·e employé·e comme les autres. « Mais quand ça devient trop sérieux, je mets le holà. »

Olivier regrette presque le temps où la boîte ne comptait que quatre ou cinq employé·e·s. Aujourd’hui, ils / elles sont une quarantaine, alors forcément, la direction est vue comme moins accessible. « Plus on grossit, moins on me charrie ! Heureusement que les anciens nous chambrent Tristan et moi », s’amuse le boss. Quitte à jouer le boomer avec les stagiaires ? « Quand un·e stagiaire arrive aujourd’hui, on essaye tout de suite de le / la mettre à l’aise, malgré le statut, pour qu’il / elle puisse aussi faire des blagues. »

« On a une responsabilité collective, mais on n’est pas la police »

Qui dit afterwork dit… alcool. Et si elle n’a en général pas de budget spécialement alloué à ce poste de dépenses, la direction met souvent la main au porte-monnaie. Une marque de convivialité vécue comme un petit plus appréciable, et un geste de générosité à l’occasion d’événements heureux dans la boîte : pot d’arrivée ou de départ, nouveaux contrats…

« On part avant d’être bourrés », rigolent Guillaume et Anthony, qui payent souvent les deux premières tournées. « Quand on sent que certain·e·s vrillent un peu, on va dire “Prends un Uber”. Et ça arrive à tout le monde. On a une responsabilité collective, mais on n’est pas là pour faire la police ». Une nuance cependant, les patrons surveillent les nouveaux / nouvelles, surtout les plus jeunes. « Ils / elles vont être pris dans quelque chose qu’ils / elles ne connaissent pas. Ils / elles n’ont pas forcément le recul. On fait attention. »

Chez Karos, les débordements sont rares, nous dit-on. « Bon, une fois, la stagiaire s’est réveillée dans le canapé de sa maîtresse de stage », se souvient Olivier. « La pauvre avait été très malade. Elle venait de l’étranger et c’était l’un de ses premiers pots d’entreprise. Sa maîtresse de stage l’a hébergée chez elle. »

À l’ADN, Mélanie Roosen se souvient avoir commandé quelques taxis pour que certain·e·s de l’équipe arrivent à bon port. « Si je me rends compte qu’il y a un risque, je n’hésite pas ! » Et lors des pots en interne, elle essaye de s’assurer qu’il y ait un·e responsable en début de soirée. « C’est toujours bien de savoir qu’il y a un·e garant·e, ne serait-ce que pour savoir que les locaux vont être rangés correctement pour que ceux / celles du lendemain n’aient pas à se soucier du ménage qui n’est pas le leur. »

Mais qui dit alcool, dit aussi gueule de bois, et panne de réveil au petit matin. Et, le / la boss qui, hier encore, se laissait charrier avec plaisir doit reprendre sa place. « À partir du moment où tu es là le lendemain matin, tu peux boire autant que tu veux quand tu as fini ton travail. Si tu n’es pas là le lendemain, la première fois on rigole, la deuxième fois moins, la troisième fois… c’est un taquet », tranche Guillaume de MIP.

Alcool : quel cadre pour l’employeur·e ?

Si la plupart des entreprises, à l’image de MIP, Karos ou l’ADN, semblent gérer en bonne intelligence la consommation d’alcool, attention pourtant, il existe une loi qui l’encadre. Lorsque l’afterwork se passe sur le lieu de travail, seuls le vin, la bière, le cidre ou le poiré (sorte de cidre obtenu par fermentation de jus de poire) sont autorisés. Autrement dit, la consommation de whisky, gin ou vodka vous met hors la loi !

Et ça peut coûter très cher. Selon le Code du travail, l’employeur·e risque une amende de 3 750€ par employé·e (gloups) en cas de non-respect de la loi. Par exemple, chez MIP, qui réunit une trentaine d’employé·e·s permanent·e·s, la note pourrait monter jusqu’à 112 500€. De quoi fâcher durablement Jean-Michel de la compta.

Et ça ne s’arrête pas là. Les conséquences pour l’employeur·e peuvent aller jusqu’à la convocation au tribunal. Sur le plan civil, la direction peut être tenue pour responsable en cas de dommages causés à des tiers par des employé·e·s. Et la responsabilité pénale peut être engagée si un·e employé·e ivre cause un accident. C’est ce qui s’est passé en juin 2007. La Justice a condamné un président et plusieurs salarié·e·s pour homicide involontaire et non-assistance à personne en danger alors qu’un employé était décédé en rentrant en voiture après un pot au bureau.

Before work, murder party et pétanque

Pour éviter l’écueil de l’alcool, certaines entreprises commencent à préférer des options plus soft. « C’est bien les afterworks, mais tout le monde n’a pas la même vie », souligne Mélanie Roosen. « Pour tou·te·s ceux / celles qui n’ont pas envie de boire à cause de leur religion, par exemple, ou parce qu’ils sont parents, ou juste parce qu’ils n’aiment pas ça, l’afterwork peut être stigmatisant. » Alors, doucement, mais sûrement, la responsable a décidé de proposer des alternatives. « Notre but, c’est de renforcer la cohésion d’équipe. Donc on a varié les plaisirs. On a organisé une murder party, un escape game super effrayant – certain·e·s continuent de ne pas dormir ! – de la pétanque, un tirage de cartes spécial amour… On propose aussi des déjeuners placés pour que chacun·e puisse parler à ceux / celles qu’ils / elles n’ont pas l’habitude de croiser dans la boîte. »

Chez MIP, on aime moins l’idée d’une alternative before work, « parce qu’on a tou·te·s la gueule de bois de la vieille (rire) », s’amuse-t-il, second degré. « Plus sérieusement, on tient à la spontanéité de l’afterwork. Par ailleurs, chez nous, l’alcool n’est jamais une obligation et encore moins une religion. Certain·e·s nous accompagnent au jus de tomate. » Du côté de Karos, on aime bien l’idée de l’alternative, on organise d’ailleurs volontiers des petits déjeuners – « Il n’y a jamais de caractère obligatoire », précise Olivier Binet – mais on tient à l’afterwork. Le petit Anglo-saxon en France qui peinait à s’imposer a maintenant de beaux jours devant lui…

Photo par WTTJ

Article édité par Ariane Picoche

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