Réorganisation : faut-il forcément « restructurer » pour bien diriger ?

06 févr. 2024

5min

Réorganisation : faut-il forcément « restructurer » pour bien diriger ?
auteur.e
Paulina Jonquères d'Oriola

Journalist & Content Manager

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À peine sont-ils en place que les managers et dirigeants sont nombreux à initier une réorganisation, y compris dans des structures où, a priori, tout semblait jusque-là au beau fixe. Doit-on y voir une manière de « justifier » sa place, ou pire, une poussée d’égo ? Ou s’agit-il d’un passage obligé pour éviter à l’entreprise de se scléroser ? Décryptage.

« Je suis favorable au changement pour le changement. » Cette phrase, que l’on attribue à l’ancien PDG de General Electric Jack Welch, célèbre pour ses réorganisations radicales, a de quoi surprendre, voire choquer. De son propre aveu, Luc Bretones, expert en nouvelles gouvernances et membre du Lab, a mis du temps à la comprendre jusqu’à conclure qu’effectivement, « une organisation qui ne s’adapte pas régresse ». Mais l’essentiel est ailleurs selon notre expert : à quel niveau change-t-on l’organisation, et surtout… pourquoi ? « Beaucoup de dirigeants ou managers opèrent des changements tête baissée, sans être au clair sur le pourquoi », regrette-t-il, considérant alors que dans 90 % des cas, ce type de réorganisation mène à un échec cuisant. Car en face, les dommages sur les équipes peuvent être colossaux.

Vertiges de la réorganisation

Parce que par nature, aucun être humain n’aime le changement, réorganiser est toujours une tâche ardue, qui plus est quand on tombe dans certains travers.

Le risque d’une réorganisation égocentrée

Dire que les managers et dirigeants qui arrivent en poste ont tendance à réorganiser systématiquement les équipes et revoir les process n’est pas une projection fantasmée. « Comme en politique, où un nouveau ministre va rapidement faire passer “sa” loi, on retrouve ce même phénomène dans les entreprises. Quand une entreprise nomme une nouvelle tête, c’est souvent le signe qu’une transition s’amorce », pointe Alexis Eve, CEO de Yaniro et membre du Lab. Mais comment expliquer ce besoin irrépressible de tout changer ? Nul n’entend la petite voix qui assaille les dirigeants. « Chez certains, il y aura un ego surdimensionné comme pour Trump, quand pour d’autres, ce sera une névrose plus ordinaire, celle qui consiste à agir pour justifier sa place, une sorte de syndrome de l’imposteur », poursuit Alexis Eve. Dans tous les cas, là où la pente devient glissante, c’est lorsque la réorganisation est très personnifiée. « Il y a là le risque que la personne ait une idée préconçue de la réorganisation qu’elle souhaite opérer », poursuit Luc Bretones. Il estime que se fonder sur des convictions personnelles, soit l’inverse du feedback intelligence, est extrêmement risqué.

L’équation réorganisation = personnification : une question de taille ?

Il est intéressant d’observer que le risque de personnification semble amplifié par la taille de l’entreprise. « Les boîtes en croissance ont cette culture de la réorganisation permanente, qui est généralement menée de manière collective. C’est différent dans des entreprises qui dépassent le millier de collaborateurs », observe Alexis Eve. Il cite notamment le concept des organisations en T (plus on est haut dans la hiérarchie, plus on est loin du terrain). C’est ce qui explique que dans les grandes structures, les réorganisations ont tendance à être davantage portées de manière solitaire. Après avoir évolué en grand groupe, Éric, C-level dans une scale-up en pleine réorganisation, peut en témoigner. « Dans une grande entreprise, même si on consulte les dix managers en dessous, cela ne peut pas être représentatif des centaines de salariés concernés par la réorganisation, ce qui est plus facile à gérer dans une plus petite entreprise », affirme-t-il.

Incarner le changement, pour le meilleur et pour le pire

Dans les grands groupes, il existe carrément des rôles de managers/directeurs de la transition. Or, le fait que l’on retrouve des personnes dédiées aux réorganisations n’est pas vain. L’avantage ? Avoir une personne à abattre en cas d’échec. « C’est ce qui est le plus difficile quand on réorganise. Si on réussit, il est important de redistribuer le succès au sein de l’équipe. Mais si on échoue, alors on doit tout endosser », confie encore Éric. C’est ce qui provoque naturellement une forme d’isolement chez le manager ou dirigeant, qui peut parfois avoir l’impression d’être le seul à sauter de l’avion le jour J, quand bien même les collaborateurs approuvaient la réorganisation. Mais Éric ne se lamente pas. Comme le dit l’expression consacrée : « C’est le jeu, ma pauvre lucette. »

Comment réorganiser dans les règles de l’art ?

Réorganiser une entreprise est un processus naturel. Quelle équipe peut se targuer de n’avoir rien à améliorer ? Mais il existe différentes façons de le faire.

Conseil n°1 : miser sur le collectif

Avant toute réorganisation, il est essentiel de consulter au maximum son équipe pour établir un audit. C’est d’ailleurs la méthode appliquée par Éric, qui a commencé par consulter un à un les membres de son équipe, afin de récolter leur feedback sur ce qu’ils estiment fonctionner ou non. Puis, il a mené des ateliers avec les managers. Même s’il est difficile de consulter l’ensemble des collaborateurs dans des entreprises à plus grande échelle, on peut toutefois miser sur des panels représentatifs. « Quand les équipes sont parties prenantes du changement, cela donne beaucoup plus de sens et la réorganisation est beaucoup mieux acceptée », abonde Luc Bretones.

Conseil n°2 : de la méthode, beaucoup de méthode

Pour Luc Bretones, aucune réorganisation ne devrait être menée sans respecter ces différentes étapes :

  • Prendre connaissance de la raison d’être de son équipe : « Si déjà on pense qu’il y a un problème à ce niveau, il faut lancer un travail en profondeur », avance notre expert.

  • Regarder les valeurs de son équipe : celles-ci doivent être alignées avec la raison d’être. Autrement, elles doivent être rechallengées.

  • Être au clair sur les croyances, positives ou négatives : « Il est important de regarder les croyances limitantes de l’équipe qui l’empêchent d’avancer », poursuit Luc Bretones.

  • Étudier les comportements vers l’interne et les clients : soit ces derniers sont explicites et bien définis mais ne conviennent pas, soit ils sont totalement implicites et doivent être mis à jour, avec des règles connues de tous.

  • Regarder le plan stratégique : les objectifs doivent répondre à la raison d’être. Et bien évidemment, si ces objectifs diffèrent de celle-ci, il faudra faire le travail dans l’autre sens. Luc Bretones recommande à cet égard l’usage de la méthode Kaizen.

  • Établir les points à améliorer : une fois ce travail effectué, on peut travailler sur des axes particuliers. « Il s’agit en quelque sorte de retirer le mauvais cholestérol : comme des équipes qui fonctionnent en silos et dont on a pu mesurer les interactions », ajoute notre spécialiste qui insiste : « On ne change pas pour changer. »

Conseil n°3 : ne pas attendre la « Grande réorganisation »

Et si finalement, la clé véritable était de changer, en permanence ? « Se confronter régulièrement au changement, c’est une manière d’être prêt quand un vrai bouleversement arrive sur un marché. En tant que manager, c’est aussi ce que nous demande notre direction. Car finalement, nous sommes des salariés comme les autres », lance Éric. De son côté, Luc Bretones estime que les organisations qui opèrent en permanence des changements sont comme les sportifs qui évacuent au fur-et-à-mesure ce fameux mauvais cholestérol : « Je suis donc en faveur des réorganisations régulières, à condition que l’on ne sache pas par avance ce que l’on va obtenir. »

Alors, pour réorganiser sans tomber dans une crise d’ego, exit le Roi Soleil ! La connaissance fine des tâches opérationnelles et interactions au sein des équipes est la condition sine qua none pour une réorganisation réussie. « Cela est d’autant plus vrai à l’heure où les nouvelles générations questionnent le management qui prévalait jusque lors. On est beaucoup plus dans un mouvement ascendant que descendant », conclut Alexis Eve.

Le prénom a été modifié.

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps