Recruteurs : comment décoder les attentes des candidats en entretien ?

23 oct. 2023

4min

Recruteurs : comment décoder les attentes des candidats en entretien ?
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

contributeur.e

Désalignement des attentes, discussions asymétriques, sujets survolés… La communication semble brouillée entre recruteurs et candidats. D’où viennent ces interférences ? Comment établir une meilleure compréhension et lecture réciproques ?

Le recrutement serait-il un remake de la tour de Babel ? Selon une récente étude Indeed conduite par Opinionway, 59 % des candidats sentent qu’ils n’ont pas les mêmes codes pour échanger avec les recruteurs. Et pour ces derniers, 76 % estiment que les jeunes ne savent pas communiquer avec eux. Ce hiatus engendre des effets délétères sur la qualité des recrutements : 67 % des recruteurs avouent avoir déjà fait plusieurs erreurs car le candidat n’avait pas posé assez de questions pendant l’entretien d’embauche. Et pour cause, 30 % des personnes qui postulent peinent à se montrer confiantes lors de l’entretien. Elles expriment peu leurs attentes, ni même les sujets structurants pour leur carrière, comme la rémunération. Pourquoi une telle pudeur ? Ou incompréhension ? Comment accorder ses violons pour mener un dialogue plus sain et sans parasitage ?

Recrutement : pourquoi un tel dialogue de sourds ?

Plusieurs facteurs expliquent ce décalage selon Jean Pralong, docteur en sciences de gestion et professeur à l’EM Normandie business school : « Le frein principal à une communication fluide est l’asymétrie d’informations. Par essence, l’entretien est un moment court pendant lequel le candidat ne peut exprimer qu’une infime partie de lui. Naturellement, la personne sélectionne les points les plus positifs, en phase avec le poste. Côté entreprise, idem, le recruteur est souvent peu loquace sur les attentes, la future équipe ou encore les critères de sélection. Ceci crée des frustrations de part et d’autre ». Le corollaire de cette omerta ? Les candidats finissent par craindre les questions des recruteurs et cherchent à les éviter en restant sobres en arguments. « Les personnes ont de plus en plus envie d’être écoutées dans leurs singularités, c’est une lame de fond. Or, durant l’entretien, les recruteurs se réfèrent à des grilles de compétences structurées, avec des critères à remplir. Si c’est très utile pour objectiver les résultats, ça l’est moins pour créer une connexion plus approfondie avec l’individu qui est en face », souligne Jean Pralong.

Même si les entreprises développent de plus en plus une rhétorique employeur empathique sur les sites carrière, il semble qu’en entretien, les recruteurs laissent encore peu d’espace à l’écoute des aspirations individuelles. Le soufflé retombe, ce qui alimente les injonctions paradoxales et nourrit les désillusions. Un scénario toutefois à nuancer : « Il faut distinguer l’objectif d’un recruteur de cabinet avec celui qui travaille pour l’interne au sein d’une équipe RH : le premier a pour objectif de vendre un poste. Son travail s’arrête là. Les prérogatives du second sont plus larges et engageantes pour l’organisation, ce qui l’exhorte à s’intéresser davantage à la personne », précise Jean Pralong.

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Mieux comprendre les candidats grâce au « persona »

En 2023, un candidat ne se cantonne plus à une liste de critères froids à remplir. Il faut aller un cran plus loin en plaçant la personne dans une perspective sociétale plus large, en s’interrogeant sur ses passions, ses habitudes, ses ambitions, son parcours… Cette approche s’appelle le « candidate persona » : « Il s’agit d’une étape obligatoire dans le recrutement permettant de reconnaître la personne dans sa globalité, en tant que citoyen, individu, avec des habitudes, des aspirations… Ce travail en amont est à mener avec ses équipes, par métier », souligne Florent Letourneur, cofondateur et CEO de We feel Good et Happy to meet you. Une fois les différents personas établis, les relais ou canaux de recrutement (offre d’emploi, site carrière, entretiens…) pourront s’y référer afin d’améliorer la communication et le dialogue avec les différentes cibles de candidats.

Ouvrir les portes de l’entreprise

« Les entreprises doivent s’ouvrir pour mener des visites et faire découvrir leurs métiers par les salariés eux-mêmes. Avec le moins de filtres possible », insiste Florent Letourneur. Pour briser les codes du recrutement, l’expert en marque employeur propose de « lever les barrières à l’entrée » grâce, entre autres, à la Méthode de Recrutement par Simulation (MRS) développée par Pôle Emploi. Fondée sur les habiletés requises pour occuper un poste de travail, la méthodologie consiste à repérer l’ensemble des capacités nécessaires pour réaliser un travail, puis à construire des exercices permettant de les évaluer chez les candidats. Ceci permet de les mettre directement en situation afin de démontrer concrètement leur capacité à occuper le poste. Conclusion : exit le CV et les palabres en entretien !

Réduire l’asymétrie d’informations

L’enjeu n’est pas de communiquer plus, mais mieux. Deux engagements pour s’y tenir : éviter les « tartines » sur le site carrière et s’astreindre à des informations utiles et plus sincères sur l’entreprise, le recrutement ou encore le management. En entretien, cela se traduit par quoi ? « L’idéal est de proposer de le mener sur le lieu où la personne va travailler, avec son futur manager et le RH. Pourquoi pas y inclure des membres de l’équipe », explique Jean Pralong. Réaliser un feedback formalisé auprès du candidat est aussi une manière d’amenuiser le gap d’informations, à condition d’expliquer les critères de sélection, la décision, et de partager des axes d’amélioration. Puis, pour mieux appréhender le processus de recrutement, certaines entreprises telles que Notion mettent à disposition un « kit recrutement ». Ce document a vocation à expliquer toutes les étapes et les critères d’évaluation ainsi qu’à présenter la culture d’entreprise plus quelques astuces pour préparer les entretiens.

Briser la glace pour installer un dialogue plus ouvert

Comment faire pour que les personnes se livrent davantage ? Une piste est à explorer du côté du biais de désirabilité sociale. Quésaco ? Il s’agit d’un biais cognitif incitant à vouloir se présenter sous un jour favorable. Dans le cadre d’un entretien d’embauche, un candidat ou une candidate sera tenté de mettre en lumière certains aspects de son expérience dans le but de se démarquer (expérience, formation, engagement associatif…). Le risque, évidemment, est de fausser le recrutement. Quelques idées pour limiter les biais : au sein d’une unité IKEA de Châtres (77), Olivier Bouteille, People & Culture Manager, a décidé de faire jouer une partie de ping pong aux candidats avant de débuter l’entretien. Dans la même veine sportive, « Viens en short » est la version Decathlon des entretiens collectifs : il s’agit d’une demi-journée alternant ateliers collectifs et entretiens individuels afin de détecter les soft skills et apprendre à mieux connaître les candidats au travers d’exercices ludiques.

Passer du « recruteur cueilleur » au « recruteur tisseur »

« Le métier de recruteur doit évoluer pour capter l’attention des candidats, s’intéresser réellement à eux », explique Florent Letourneur. Jean Pralong corrobore la nécessité de changement de posture et d’objectif : « Il faut passer du recruteur cueilleur, dont le seul objectif est de placer selon des critères précis, au recruteur tisseur. Ce dernier évalue, bien sûr, mais son dessein est plus large : il crée du lien entre l’entreprise et le candidat. Il nourrit la relation avec un volet émotionnel ». Les gains de productivité générés par la technologie, notamment l’IA (dépôt de CV ou assessment), devront permettre de passer plus de temps sur la relation humaine. Une stratégie RH probablement payante à long terme.


Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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