Prime de bienvenue : faut-il « appâter » pour mieux recruter ?

19 déc. 2023

4min

Prime de bienvenue : faut-il « appâter » pour mieux recruter ?
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

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« Golden Hello », « Welcome Bonus » ou encore « prime de bienvenue », voilà quelques appellations pour désigner une incitation financière plutôt alléchante lors du recrutement, afin d’attirer de nouveaux talents, particulièrement dans le contexte inflationniste actuel. Mais n’est-elle pas délétère pour l’interne, notamment en termes d'égalité salariale ?

Face à la guerre des talents, il est parfois périlleux d’attirer les meilleures recrues, de sorte que les entreprises n’hésitent plus à faire usage de stratagèmes pour les convaincre de les rejoindre. L’un d’eux est la prime de bienvenue : un petit « plus financier » qui vise à accélérer le processus de recrutement, particulièrement lorsque le candidat hésite à s’engager. Octroyée aux profils atypiques ou pénuriques, elle représente un moyen efficace de sécuriser et de fidéliser les nouveaux membres de l’équipe. En effet, cette prime peut être débloquée instantanément, échelonnée sur plusieurs mois ou conditionnée à une certaine période de présence.

Aux États-Unis, la pratique est monnaie courante, tandis qu’elle reste sporadique en France, avec un montant variant généralement entre 10 % et 20 % de la rémunération annuelle. Mais à qui s’adresse-t-elle au juste ? Le plus souvent, aux personnes qui se démarquent par leur expertise dans un domaine, celles qui changent d’entreprise sans percevoir de bonus annuel ou celles dont les prétentions salariales dépassent la grille en vigueur proposée par la nouvelle entreprise. Si cette démarche est parfaitement légale, il s’agit d’une prime exceptionnelle classique, négociée en amont. Alors, faut-il y penser ? Quels sont les effets attendus ? Et quid des effets de bord ?

Prime de bienvenue : une réponse (possible) à des problématiques RH ciblées

Irrijardin, entreprise toulousaine dans l’équipement de piscines et de spas, a utilisé une prime de bienvenue pour l’un de ses postes clés. « Nous sommes basés près de Toulouse : c’est donc compliqué pour recruter face aux mastodontes de l’aéronautique qui proposent des salaires très attractifs », souligne Sophie Gucciardi, DRH du groupe. Lorsqu’il lui a fallu recruter un responsable informatique, la DRH a réfléchi aux leviers d’attractivité possibles : « L’un des candidats venait du secteur de l’aéronautique : bien que très motivé, nous ne pouvions pas lui proposer les mêmes conditions salariales. J’ai donc pensé à un “golden hello” pour lui envoyer un signal positif. »

Une prime de bienvenue lui a donc été proposée avec un versement à quatre mois, lors du renouvellement de la période d’essai. Puis à la confirmation en CDI, à huit mois. Résultat ? La personne est toujours en poste après trois ans. « Ça démontre, dès l’embauche, que l’entreprise est investie sur les sujets d’évolution salariale », souligne Sophie Gucciardi. Loin de l’utiliser systématiquement, l’entreprise y a recours lors de recrutements dits « stratégiques ».

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Prime de bienvenue : 4 points d’attention à garder en tête

Léo Bernard, formateur en recrutement et expert du Lab, émet quelques points de vigilance quant à l’utilisation d’un « golden hello » :

Conseil n°1 : communiquer avec transparence

La prime peut être utilisée pour pourvoir des postes hautement qualifiés ou pénuriques. Dans tous les cas, les mots d’ordre sont communication et transparence envers l’interne pour éviter les tensions ou les mauvaises interprétations. « Il est crucial de ne pas déroger à la grille de salaires. La démarche doit être transparente, expliquée et argumentée auprès de l’équipe pour éviter toute perception d’injustice ou de distorsion d’information », argumente l’expert.

Conseil n°2 : éviter le côté systématique

Il faut éviter que cela ne devienne la solution de recours à toutes les embauches jugées compliquées. L’utilisation de la prime de bienvenue n’a pas vocation à devenir automatique. « Ça doit rester l’un des outils à disposition pour le recruteur, au même titre que les BSPCE (bons de souscription de parts de créateur d’entreprise), l’intéressement ou tout autre levier monétaire ou non monétaire », souligne Léo Bernard.

Conseil n°3 : rester vigilant à la paupérisation des postes

L’octroi de primes importantes au début de la collaboration peut créer une illusion de richesse… qui n’est pas garantie à long terme. En effet, une prime diffère de l’augmentation : elle ne gonfle la rémunération que temporairement, conduisant à une dévalorisation du poste à terme. « La question centrale qu’il faut se poser est plutôt celle du niveau global des salaires : pourquoi a-t-on besoin d’une prime pour attirer cette personne ? Ne faut-il pas revoir les grilles salariales afin de s’aligner sur le marché et d’éviter de surpayer une personne au risque de créer un sentiment d’injustice ? », questionne Léo Bernard.

Conseil n°4 : ne pas négliger l’aspect légal

Le versement d’un avantage de ce type se révèle avantageux pour l’entreprise, uniquement si le salarié s’engage à demeurer au sein de l’entreprise pendant une période déterminée. Il est essentiel de conditionner l’acquisition définitive de cette prime à la durée de maintien du salarié dans l’entreprise, tout en envisageant la possibilité pour l’employeur de demander le remboursement en cas de départ anticipé. « Dans un arrêt du 11 mai 2023, la Chambre sociale a jugé pour la première fois qu’un employeur peut verser au salarié une prime de fidélisation dont l’acquisition n’est pas définitive, car subordonnée à la présence du salarié dans l’entreprise. Elle devra donc être partiellement remboursée en cas de départ à l’initiative du salarié avant l’échéance prévue », explique encore le formateur en recrutement.

Les avantages non monétaires : un levier (bien) plus puissant ?

En temps de crise, les avantages salariaux sont tout aussi, voire plus, valorisables pour un candidat, selon Léo Bernard : « La période inflationniste actuelle nous rappelle que des avantages sociaux tels qu’une prise en charge la mutuelle à 100% , une aide au logement ou des places en crèche pèsent plus lourd dans l’équation. » En effet, depuis le début de l’année 2023, l’inflation oscille entre entre 7 % au premier trimestre et une projection de 4,5 %.) pour le quatrième trimestre. 49 % des salariés avouent avoir du mal à s’en sortir financièrement et 89 % souhaitent que leur entreprise les soutienne.

Le logement, particulièrement, est un poste critique pour de nombreux ménages : le taux d’effort (part consacrée au loyer) ne cesse d’augmenter depuis 2001 passant de 16,1 % à 19,7 % en 2017, et grimpe à 32 % pour les plus pauvres selon l’Insee. En tant qu’employeur, des marges de manœuvre sont possibles en s’appuyant, par exemple, sur Action Logement. Étant subventionné par la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC), l’organisme finance le logement des salariés aux revenus les plus faibles. Pourquoi ne pas faciliter l’accès au crédit immobilier ? Iroko, fintech française, subventionne le prêt immobilier de ses salariés, en payant une partie du taux d’emprunt en prenant 1 % à sa charge.

De plus, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée figure parmi les motivations principales des travailleurs, juste derrière le salaire d’après une étude Randstad de 2022. Les conditions de travail sont donc des leviers distinctifs à explorer avec diverses combinaisons possibles. Dans le package, il est possible de valoriser des congés illimités ou flexibles, une organisation du travail flexible ou encore une politique parentalité au sens large (jusqu’à l’aidance). De multiples combinaisons sont possibles pour rendre son offre plus attractive, à condition de penser en profondeur -et avec équité- sa politique de rémunération.


Article édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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