Métiers détestés : « J’ai toujours la pression quand je révèle ce que je fais »
28 juin 2022
5min
BA
Journaliste freelance
Policier, avocat, journaliste, mandataire judiciaire, contrôleur RATP, huissier de justice… bien qu’essentiels à notre société, certains métiers sont constamment sujets à la critique et aux jugements. Les stéréotypes et clichés rattachés à ces professions mal-aimées sont parfois durs à supporter pour les personnes qui les exercent. Notamment parce qu’ils impactent leur biais de désirabilité sociale, un processus psychologique qui traduit le besoin naturel de donner une image favorable de soi aux autres. Si certains parviennent à passer outre, d’autres semblent si impactés qu’ils préfèrent parfois cacher leur profession pour éviter d’éventuels remarques ou conflits.
Le travail est un facteur d’intégration sociale très puissant puisque c’est le biais par lequel nous prenons place dans la société. Dès lors, il devient « notre identité » et donne des repères implicites aux autres sur la nature de ce que nous sommes et de nos valeurs personnelles. Comme le soulignent les sociologues Dominique Méda et Lucie Davoine dans un article de la revue Informations sociales (2009), le travail est « très important » pour 70% des Français, contre 40% au Royaume-Uni et au Danemark. Davantage considérée comme utilitaire chez nos voisins européens, la profession exercée est très identitaire en France. Elle est si représentative de ce que nous incarnons, que lorsque nous faisons connaissance avec quelqu’un, nous lui demandons d’abord ce qu’il fait dans la vie. Et à bien des égards, cette question peut devenir gênante, voire conflictuelle lorsqu’elle est posée à une personne qui sait son métier controversé ou mal considéré. « Les gens ne comprennent pas que j’ai choisi délibérément d’être policière, explique Cindy. Ils me demandent généralement pourquoi j’ai fait ça, pourquoi je n’ai pas choisi autre chose. »
Le métier, un indicateur de valeurs ancré dans notre société
« On n’est pas aimés, appuie de son côté Alia, contrôleuse RATP. Même ma sœur m’a dit que je faisais un métier de traître, que j’étais passée du mauvais côté ». Avocat pénaliste, Baptist subit le même genre de jugement de valeurs lorsqu’il parle de son métier : « On me demande souvent comment je peux faire ça, défendre un tel. On me dit ‘Ah moi je ne pourrais pas’ comme si je leur avais demandé leur avis. » Des valeurs personnelles comme l’intégrité, l’honnêteté, la générosité, la loyauté et le sens moral des personnes exerçant des métiers « controversés » sont automatiquement remises en cause et leur travail devient un sujet de débat. « Quand je dis que je suis journaliste, on pense parfois que je suis corrompue, vendue, que les laboratoires pharmaceutiques financent l’information liée au Covid 19 ou que c’est la pub qui me dicte mes articles », regrette Stéphanie.
La publicité et le journalisme sont parmi les secteurs d’activité les moins appréciés dans l’Hexagone. Un sondage Ipsos publié en 2021 montre que seuls 16% des Français estiment les journalistes fiables et 39% les jugent même vraiment indignes de confiance. La cote de popularité des fonctionnaires n’est pas fameuse non plus : seulement un tiers de la population leur fait confiance, ce qui fait tout de même de la France « l’un des pays les plus favorables à cette profession (+9 points par rapport à l’opinion mondiale) », précise l’Ipsos. Chaque métier est porteur d’une étiquette invisible qui renvoie un message tacite sur ce que nous sommes et le rôle que nous jouons dans la société, suggérant ainsi que notre « identité professionnelle » serait le reflet de notre identité personnelle. Pour Lise Gaignard, psychanalyste et psychologue du travail, autrice du livre Chroniques du travail aliéné (Éditions d’une, 2015), « la profession signe le mode de vie et le mode d’appréhension du monde » d’une personne.
Partant du postulat (discutable certes) que notre métier nous définit en tant que personne, connaissons-nous vraiment la réalité du travail des policiers, des avocats pénalistes, des huissiers de justice, des gendarmes ou encore des contrôleurs de transports en commun ? Que savons-nous réellement de ces métiers dont il est clair qu’ils sont utiles à notre société ? Se pourrait-il que ces professions controversées soient en fait les plus méconnues ? Comme le disait si joliment William Hazlitt : « Le préjugé est l’enfant de l’ignorance. »
Loin des clichés, la réalité des métiers controversés
« L’image qu’ont les gens de nous est faussée. Ils ignorent dans quelles conditions on intervient, confirme Annah, mandataire judiciaire qui liquide entre deux et dix entreprises par semaine. Ils pensent que l’on ruine la vie de l’entreprise, qu’on arrive pour tout prendre à une boîte déjà en difficulté. Alors qu’en réalité, on intervient sur décision du tribunal parce que l’entreprise ne peut pas continuer face aux dettes qu’elle a accumulées. » Dans le secteur juridique, l’un des métiers les plus controversés demeure sans doute celui d’huissier de justice. Pourtant, la plupart de ses missions repose sur des constats et de la médiation. « Le rôle social, les gens ne le connaissent pas. On a l’étiquette de l’expulsion, alors que ça représente une toute petite part de l’activité », décrit Thomas, 34 ans. À tel point qu’un de ses confrères n’en n’a jamais fait en 25 ans de carrière.
« J’interviens beaucoup dans le cadre prud’homal ou dans les divorces. Je constate des faits de harcèlement, des insultes ou des menaces proférées par messages par exemple, afin de les présenter en justice. Y compris dans le milieu professionnel. » L’huissier de justice est avant tout un médiateur que l’on sollicite pour constater un litige ou une injustice et trouver un arrangement. « Le but, c’est de trouver des solutions à l’amiable, pas de casser des portes. » Mais, dès lors qu’un métier comporte une dimension répressive, il est courant de l’y réduire et d’occulter les aspects utilitaire, sanitaire et sécuritaire qu’il dispense. Le service qu’il apporte à la société est alors nié. « Les gens pensent qu’on est là pour mettre des PV, leur pourrir la vie, déplore Matthieu, gendarme en Normandie. Nous on a une toute autre vision : quand ils sont en état d’ébriété par exemple, ils peuvent se causer du tort à eux-mêmes ou être dangereux pour les autres. »
Même sentiment d’incompréhension du côté des avocats pénalistes, souvent perçus comme les « avocats du diable » lorsqu’ils officient du côté de la défense. Notamment parce que défendre des personnes qui ont commis des atrocités peut être perçu comme un geste d’approbation. « Dans l’inconscient collectif, l’avocat veut une relaxe pour son client et donc participe à une impunité, explique Baptist. Ce n’est pas vrai. On défend sur la base d’un dossier. S’il y a trop d’éléments contre lui, on ne va pas plaider la relaxe, mais une peine plus légère. Comme le médecin qui parfois ne peut rien faire, à part soulager le patient pour qu’il ait moins mal. On ne nie pas ce qui a été fait aux victimes. » Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’avocat pénaliste ne défend pas seulement les bad guys.
« Et toi tu fais quoi dans la vie ? », quand le métier devient tabou
Lorsque l’on exerce un métier qui ne laisse pas indifférent, en parler à des inconnus nécessite de faire de la pédagogie et d’essayer de justifier son choix devant un auditoire perplexe, ce qui peut engendrer de la souffrance et un sentiment d’injustice. « J’ai toujours une petite pression en disant ce que je fais, car je sais que la réaction ne sera pas neutre, explique Stéphanie la journaliste. Je vis les critiques comme des attaques personnelles. Un métier ça te constitue, ça fait partie de toi. Donc quand les gens me catégorisent comme une vendue, ça me blesse. » Parfois, le sujet devient tabou et certains préfèrent rester vagues ou mentir pour avoir la paix. Ainsi, lorsqu’il est invité à une soirée chez des inconnus et qu’il y a de l’alcool, Matthieu n’est plus gendarme mais commercial. Alia, la contrôleuse RATP, évite de préciser qu’elle fait « du contrôle ». Quant à Cindy, la policière, elle reste très évasive : « Je dis que je suis fonctionnaire, que je suis dans l’administration. »
En psychologie, « le concept de désirabilité sociale est souvent associé à la représentation de soi et se traduit par un ensemble de stratégies plus ou moins intentionnelles, plus ou moins contrôlées, que l’on met en place dans le but d’obtenir l’approbation des autres », analyse Michel Lemonnier, psychologue du travail. Car si l’estime de soi est fragile, cette stigmatisation sociale permanente peut engendrer un profond mal-être, du stress, de l’anxiété, un sentiment de frustration, d’infériorité et dans les cas les plus graves, conduire à l’isolement. « Il est vital de changer notre manière de percevoir les interactions peu empruntes de reconnaissance que nous propose notre environnement, continue le psychologue. Car le pire jugement est celui qui vient de nous-même quand nous sommes face au regard des autres. »
Article édité par Romane Ganneval
Photo de Thomas Decamps
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