Quatre enfants nous donnent leur vision du travail “des grands”

20 oct 2020

7 min

Quatre enfants nous donnent leur vision du travail “des grands”
autores
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Anais Koopman

Journaliste indépendante

Aristote

« Qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand·e ? » Cette question, on nous l’a tant posée enfants, qu’on en a parfois oublié la réponse. Certain·e·s sont sûre·s d’eux·elles et ne changeront jamais de trajectoire. Ce sont les passionné·e·s, ceux qui ont une vocation, une destinée toute tracée. D’autres changent tellement de fois d’avis, qu’ils·elles se surprennent eux·elles-mêmes du tournant que prend leur vie professionnelle, une fois adulte.

Cependant, on a tendance à penser que la vision que portent les enfants sur le monde du travail se limite au métier de leurs rêves, mais il n’en est rien ! Ils se forgent aussi leur opinion sur des sujets comme l’importance de la hiérarchie, l’égalité hommes/femmes, le bien-être et la liberté au travail, la sédentarité, l’utilité du travail, et même sur le télétravail qu’ils ont observé pendant le confinement et vivent plus régulièrement depuis… Nous avons donc sondé quatre enfants pour qu’il nous raconte le travail « des grands ».

Un monde du travail sans dessus dessous

Forcément, la façon dont les enfants voient le travail évolue avec l’âge, mais aussi avec le contexte. Une pandémie accompagnée d’un confinement peut jouer dans leur perception de la réalité professionnelle.

C’est notamment le cas de Victoria, neuf ans. Au départ, elle pensait que sa maman, Office Manager, était « toujours en mouvement. » Selon elle, son travail consiste à « faire des aller-retours, récupérer des documents ou du matériel. » Une fois confinée, elle a découvert une autre dimension de son travail. Victoria a compris que sa maman travaillait aussi beaucoup sur un ordinateur (à son grand désarroi), et qu’il était possible de travailler depuis la maison. Pendant ses réunions, elle tendait l’oreille mais « ne comprenait rien. »

De son côté, Aristote, huit ans, a soudainement vu sa maman, dont le travail est d’organiser des salons professionnels, réinventer son travail à cause du Covid-19. Ce qu’il retient de la période de confinement, c’est qu’il a été un peu frustré « de ne pas pouvoir faire de bruit » et surtout de ne pas pouvoir parler à sa maman quand il le voulait.

Romain, huit ans, aussi a trouvé ça bizarre : « je ne voyais plus mes parents, mais au fond, ça n’a pas changé grand-chose car ils étaient très occupés. C’est la nounou qui s’occupait de nous. » Ce qui l’a plus frappé lui, ça a été de voir ses parents masqués, et parfois “en visio”. Mais cette vision ne lui a pas coupé l’envie de travailler pour autant. Il enviait même à sa maman sa « signature en dessin », aka sa signature électronique.

Patron ou patronne ?

Comment est-ce que les enfants voient les patrons·nes ? Pour Nolan, qui va sur ses six ans, la réponse est claire, limpide : « un patron, c’est quelqu’un qui décide pour les personnes qui sont au travail. » Un peu comme la maîtresse, le patron « crie quand personne n’écoute. » Il·elle adapte son comportement à celui de ses interlocuteurs, qui lui doivent obéissance. Une vision donc très horizontale du management.

Aristote est du même avis. Il pense que les chefs d’entreprise doivent être stricts, « surtout en période de Covid : ils doivent tout faire pour ne pas décevoir leurs clients. » Il fait référence à sa maman, qui, pour rappel, organise des salons professionnels et a dû s’adapter pour ne pas tout annuler tout en respectant les mesures sanitaires. Pour lui, le patron est d’ailleurs plutôt un garçon. Un homme lui inspire « plus d’autorité » qu’une femme. Il affirme quand même qu’il ne serait pas choqué s’il avait une patronne un jour. Mais bon. Ce ne serait pas sa préférence.

Romain, huit ans, considère aussi que les hommes sont « plus toniques », ont « plus d’énergie » et sont donc plus enclins à « donner des ordres »… C’est pour ça qu’il préfèrerait nettement avoir une patronne : selon lui, « les femmes sont plus douces ». Même si, dans tous les cas, il n’apprécie pas vraiment qu’on lui donne des ordres toute la journée.

Victoria, elle, se fiche d’avoir un patron ou une patronne. Selon elle, le degré de sévérité, ou au contraire de tolérance, dépendra uniquement de la personnalité de la personne qui manage. Le·la patron·ne est juste là pour encadrer et accompagner les employés·ées. Espérons qu’elle parvienne à convaincre ses contemporains.

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Romain

Hors les murs…

Hors pandémie, les enfants passent des années entre les murs de l’école. Même les cours de récré’ sont souvent délimitées par des barrières. Une chose qui ne plaît pas beaucoup à Nolan, petit garçon très actif. Quand on lui demande la différence entre l’école et le travail, il rétorque aussitôt que « le travail, c’est dehors », et que « l’école, c’est dedans. » Or, il en a marre de rester « assis toute la journée à écouter la maîtresse. » C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il aimerait devenir policier. Pour passer à l’action, « courir après les voleurs. » Nolan va même plus loin : il préfèrerait tourner le dos au poste tant convoité de chef de police, préférant être sur le terrain que de « rester au bureau » comme les chefs qui décident… et comme sa maman, graphiste.

Romain a la même envie de grand air. Il faut dire qu’il s’imagine bien tennisman. Pourquoi ne pas faire de son « sport préféré » son métier ? Et puisqu’il « n’aime pas trop être enfermé toute la journée », ça l’arrangerait bien.
Aristote, quant à lui, se voit bien entre les murs d’un hôpital, chirurgien. Si le métier convoité définit forcément le lieu de travail, les enfants relèvent presque à l’unanimité ce besoin d’air et d’espace qu’ils semblent envier à la vie active.

… pour gouter à la liberté

Aristote envie les plus grands. Selon lui, les adultes ne peuvent pas faire tout ce qu’ils veulent, mais ils ont quand même plus de liberté, notamment celle de « faire des pauses quand ils en ont besoin », et même de « rêver sans se faire interrompre ». À l’école, il a l’impression qu’il ne peut « pas faire grand-chose », et de se faire « gronder par la maîtresse » trop souvent. Au fond, ce que souhaite Aristote, c’est « écouter moins et faire plus ».

Romain, lui, envie autant les claviers de ses parents, que les raquettes de ses idoles du tennis : il « aime bien toucher les touches », est fasciné par le fait de pouvoir « écrire, envoyer des messages. » Pour lui, c’est ça, la liberté : pouvoir profiter des nouvelles technologies, sans avoir besoin d’une autorisation.

De son côté, Victoria, est plus catégorique lorsqu’il s’agit d’écrans : s’ils sont trop présents dans sa vie professionnelle, elle a peur de s’ennuyer. En jetant un regard à son frère, en pleine partie de PlayStation, elle rétorque qu’il y en a « bien assez comme ça. » Pas question pour elle de s’y obliger au travail.

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Victoria

La peur de l’échec

Est-ce qu’on apprend aux enfants qu’ils ont le droit de se tromper ? Mieux, qu’il y a des vertus à l’échec ? Pas sûr. Ils ont beau avoir hâte de travailler, ils ont aussi souvent peur de l’inconnu, et surtout du faux pas.

Ainsi, si Nolan a hâte de découvrir de nouvelles choses à “l’école des policiers” et plus tard en tant qu’agent, il avoue qu’il a « peur de ne pas bien faire son travail. » Il sait que parfois, il n’est « pas assez attentif ». Même chose pour Romain, le tennisman en herbe, qui a « un peu hâte et un peu peur. » Peur de « ne pas savoir », peur de « ne pas comprendre ce qu’il faut faire. »

Aristote, qui rêve d’être chirurgien, l’envie de se lancer prévaut sur la peur, même s’il s’inquiète aussi de ne « pas faire les bonnes choses », une fois au bloc opératoire. Du haut de ses huit ans, il sait qu’il n’aura « pas le droit à l’erreur. » « Comme à l’école », mais en pire. Il sait aussi que la charge de travail sera plus importante. Déjà qu’il se sent parfois débordé en classe, il a l’impression que le travail, ce sera plus difficile que l’école.

La conscience qu’il faut “gagner sa vie”

Quand on demande à Nolan pourquoi selon lui on travaille quand on devient grand, il répond du tac-au-tac que c’est pour gagner de l’argent. Et quand Aristote déclare qu’il souhaiterait être chirurgien, il a bien conscience qu’il gagnerait bien sa vie si la prophétie se réalisait. Avant tout, il « aime bien tout ce qui touche à la médecine et à la science », mais la sécurité financière a déjà de l’importance pour lui : « ma maman dit qu’avec ce métier, on gagne beaucoup d’argent. » Mais alors, pourquoi gagner de l’argent ? Sa réponse est simple : il veut pouvoir manger, et aussi profiter.

Victoria, elle, dissocie l’école du travail par l’argent : « l’école, c’est pour apprendre, et le travail, c’est pour apprendre ET gagner de l’argent. » Pour elle, le travail d’équipe est obligatoire : elle ne compte pas travailler que pour elle, seulement pour recevoir de l’argent à la fin du mois. Selon elle, l’argent ne fait pas tout.

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Nolan

Un travail pour aider les autres

En fait, ce que voudrait Victoria, c’est aider les autres. C’est pour ça qu’elle rêve d’être vétérinaire. D’abord, car elle adore les animaux. Mais surtout, parce qu’elle a envie de prendre soin d’eux. Elle voudrait s’engager dans son travail. Une vision partagée par Romain qui, s’il ne devient pas tennisman, aimerait aussi « aider les autres, c’est important pour moi. »

Cette idée plaît aussi beaucoup à Aristote. Il a peut-être en tête le bon salaire des chirurgiens, mais il affirme aussi avec entrain que « certains métiers peuvent rendre heureux les gens et même les sauver ». Il veut vraiment faire quelque chose d’utile. Nolan aussi. Il soulève une question d’ailleurs très juste : « sans policiers, qu’est-ce qu’on fait des voleurs ? »

Le bon et le mauvais travail

Si chacun.e a ses propres aspirations professionnelles, chacun.e a aussi ses propres critères pour définir un bon et un mauvais travail. Le rythme de travail, la difficulté ou encore l’effort à fournir semblent jouer.

Pour Victoria, un bon travail est certes utile, mais aussi « pas trop long, ni difficile. » L’idéal pour elle ? Des missions variées et courtes dans une même journée.

Aristote, lui, détesterait faire un travail qui ne le rende pas heureux. Pour lui, c’est le critère le plus important. Idem pour Romain pour qui, un métier est forcément lié à une activité qu’il aime. S’il devient joueur de tennis professionnel, c’est pour accomplir des choses qui lui font du bien, « comme gagner des matchs ». Une vision du travail de plus en plus défendue par les adultes eux-mêmes.
À l’inverse, il n’aimerait pas faire le service au restaurant, « parce qu’on te demande de dépasser la tables », et « ça l’énerve. »

Ne jamais travailler ?

Est-ce qu’ils accepteraient de ne jamais travailler ? Là, Aristote sèche. Il déclare, en riant : « Je n’ai pas de réponse, ça dépend des jours. » Sans jamais travailler, il finirait par s’ennuyer. Romain, lui, accepterait volontiers d’être payé à ne rien faire : « Je n’aurais pas peur de l’ennui ! Je jouerais quand même au tennis, mais peut-être moins que si c’était mon métier. »

À les entendre, si chacun.e a ses propres envies et craintes, certaines tendances ressortent de ces échanges. Comme un retour à l’essentiel, ils souhaitent souvent être dans “la vraie vie”, dehors, là où tout se passe, plutôt qu’enfermés devant un ordinateur, bien que les écrans les fascinent souvent. Pleins d’espoir, ils semblent sincèrement enclins à mettre leur pierre à l’édifice une fois actifs. Si l’argent leur semble important, ce n’est pas le principal. Pour eux, l’entraide et la solidarité, plus actuels que jamais, sont des caractéristiques importantes dans leurs choix de métier. Malgré ça, la peur de se louper ne les quitte pas. De quoi nous encourager à leur donner confiance, à les inciter à oser. Surtout lorsque leurs projets sont de rendre le monde meilleur.

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Photo by Thomas Decamps for WTTJ

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