Les mots vont-ils sauver la culture d’entreprise ?

23 jun 2020

5 min

Les mots vont-ils sauver la culture d’entreprise ?
autores
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

Pipeau ou vernis marketing, la communication interne est souvent décriée au sein des entreprises. À coup de storytelling mal ficelé et de messages « en kit », les mots semblent avoir perdu leur sens au profit des tendances et des buzzwords.

En 2018, oublier la valeur du langage, n’est-ce pas dangereux pour une marque et son volet employeur ? En effet, la porosité entre communication interne et externe poussée par le digital, l’entreprise « libérée » et les démarches d’employee advocacy forcent les entreprises à repenser la manière de communiquer avec leurs salariés. Les mots doivent retrouver leur « rôle source » selon Jeanne Bordeau, Fondatrice de L’Institut de la Qualité de l’Expression. Sa mission : accompagner les entreprises dans leur quête de langage cohérent et authentique. Selon elle, savoir parler de l’entreprise, c’est comprendre son histoire, blessures comprises, pour co-construire une culture forte… Un élément de cohésion qui favorise les échanges entre tous les salariés, quel que soit le niveau hiérarchique.

Dans quelle mesure, la communication interne, a-t-elle encore un rôle - essentiel - à jouer ?

Enjeux et pistes de réflexion.

1. En quoi le discours en entreprise est clé quand on s’adresse aux employés ? Que ce soit top down, au sein des équipes ou de manière plus transversale ?

La manière dont on s’exprime aux salariés est essentielle car c’est le socle de la culture de l’entreprise, c’est son coeur et sa source, même. Les mots sont censés donner de la visibilité en interne : les salariés s’imprègnent d’une histoire mais aussi d’une trajectoire à laquelle ils veulent participer. C’est clairement un outil d’appartenance et d’engagement car il fait partie de l’expérience collaborateur dont on parle beaucoup. Il permet aux salariés de comprendre les « codes » de l’entreprise et de s’exprimer en retour. C’est pourquoi, l’onboarding, la phase d’intégration, doit être le moment où l’on communique les bons mots, l’histoire et le patrimoine de l’entreprise.

Mais attention : les mots employés dans les différents outils de communication doivent absolument être en phase avec l’ADN de l’entreprise, sa culture et ses métiers. L’enjeu est de faire fi des mots tendances au profit d’un discours vrai et authentique. C’est cet écart qui crée aujourd’hui de la frustration car on sort de la réalité pour entrer dans de la communication factice et artificielle.

Les salariés s’imprègnent d’une histoire mais aussi d’une trajectoire à laquelle ils veulent participer.

2. Comment être sincère en entreprise à l’heure du storytelling ultra travaillé ?

Tout simplement du bon sens ! Chaque employé ressent la sincérité des entreprises comme Michelin où la dynamique humaine lancée par André et Edouard est encore perpétuée par JD Sénard ! Hermès, même chose. La clé, c’est l’harmonie : il faut dire les choses en accord avec ce que l’on fait en termes de politiques RH, de relations humaines et de réalités économiques. On préfèrera les maladresses, les erreurs avouées ou les « je ne sais pas » aux mensonges ou banalités. Il faut sortir de la posture du leader « corseté » pour tendre vers plus de pédagogie dans le discours : expliquer ce qu’il se passe avec transparence pour que les salariés comprennent leur entreprise.

J’en viens à un point essentiel : le besoin des salariés d’être écoutés. La sincérité d’un discours interne ne peut se passerd’une communication du bas vers le haut qui soit ouverte. Peu importe les maladresses du langage, on n’est pas là pour s’exprimer parfaitement mais pour faire émerger des signaux faibles et faire comprendre le quotidien.

C’est avec cette communication à sens multiples que l’on peut, ensuite, bâtir un discours cohérent. Le storytelling sera pertinent comme outil narratif car au lieu de raconter « des histoires » on raconte plutôt son histoire au service d’une vision.

Pour cela, il faut partir de 3 postulats :

  • Comprendre à qui l’on parle.
  • S’assurer que les mots sont justes et en phase avec l’histoire de l’entreprise.
  • S’il y a un passé douloureux ou des blessures, parlons-en !

3. Quels sont les outils pour libérer la parole ? Qu’avez-vous expérimenté au sein des organisations qui permettent de fluidifier la communication et rendre plus sincère ?

  • Commencer par des ateliers de paroles : en créant un espace où l’expression est libre, les salariés peuvent exprimer leur ressenti et leurs émotions. Une condition : être ouvert à la critique, aux mots parfois un peu bruts et sans filtre. Une fois libérée, progressivement la parole se délie et les échanges deviennent plus fluides.
  • Aider chacun à mieux s’exprimer : il s’agit de remettre aux salariés les outils pour communiquer auprès des autres - clients, collaborateurs, pairs… Enrichir son langage permet d’apprivoiser la parole et de structurer sa pensée. Je pense qu’il faudrait que chaque entreprise offre des cours d’expression !
  • Donner l’exemple par le haut : c’est dans la communication quotidienne que le changement s’opère réellement. Et pour cela, on a besoin d’exemples ! Les comportements des managers et des leaders au quotidien sont essentiels. Guillaume Pepy, PDG de la SNCF, ose aller à la rencontre des salariés, il entend vraiment la critique et écoute les mécontentements. Il n’y a pas de censure.
  • Transformer le rôle du manager : il n’est plus le petit chef à qui l’on obéit docilement. Coach à l’écoute de ses collaborateurs, il doit comprendre leurs besoins latents et aider certains à la reformulation si nécessaire. En agissant ainsi il gagnera en légitimité… par l’écoute.

4. Le digital, a-t-il transformé la manière de communiquer en entreprise ? Si oui, quels en sont les impacts en termes de marque employeur notamment ?

Le langage est le capital interne de l’entreprise. Il a été bouleversé par le digital car il lève la frontière entre la parole interne et externe. Les mots doivent donc être cohérents et sans cesse reformulés pour être en adéquation avec les canaux qui les diffusent. C’est l’enjeu d’une marque employeur attrayante et sincère.

En interne, le digital a lissé les échanges et à instaurer plus de collaboratif. On crée du lien par les mots car l’information circule en dehors des sphères hiérarchiques et effrite les silos. Les outils - réseaux sociaux, forum, intranet - libèrent les mots et participent au partage des compétences et à la déconstruction de la vision pyramidale.

Le langage est le capital interne de l’entreprise. Il a été bouleversé par le digital car il lève la frontière entre la parole interne et externe.

Ce qui se vit à l’intérieur se reflète à l’extérieur…C’est le grand changement opéré par le digital : il accroît la porosité entre le discours externe et le langage interne car le collaborateur devient le porte-parole de la marque. On assiste à l’autonomisation et l’émancipation de la parole du collaborateur. Cela exige une parole et des actes en phase sinon les entreprises en paient le prix sur des sites comme Glassdoor. Et cela a des impacts sur le rôle des fonctions RH et de la communication : ensemble, elles doivent co-construire non pas une stratégie de communication mais de langage déclinable et, surtout, cohérente.

5. En conclusion, une parole sincère en entreprise, n’est-ce pas une forme de courage face à la pression économique court termiste?

J’aime beaucoup ce mot : le courage. Il provient étymologiquement du « cœur ». C’est pourquoi les gens ne se trompent pas, ils sentent ce qui est faux. Communiquer sans fond ni cohérence, c’est de l’obstination perdue qui mènera inexorablement à l’échec économique. Alors que la recherche d’alignement, de sens et de sincérité dans les mots, c’est effectivement du temps d’écoute et de l’investissement humain car il faut être prêt à entendre des critiques puis reconstruire ensemble. Cela demande de la confiance et du courage.

Mais il est nécessaire de prendre ce temps et d’aller au coeur des choses pour faire vivre la culture de l’entreprise. Car ce sont ces entreprises qui attireront les meilleurs candidats, généreront de l’innovation et de l’engagement à long terme.

J’aime beaucoup ce mot : le courage. Il provient étymologiquement du « cœur ». C’est pourquoi les gens ne se trompent pas, ils sentent ce qui est faux.

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