Fiers mais stigmatisés, rencontre avec ces travailleurs "papas avant tout"

17 jun 2021

8 min

Fiers mais stigmatisés, rencontre avec ces travailleurs "papas avant tout"
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Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Anais Koopman

Journaliste indépendante

« Je ne passerai pas à côté de ma vie de père ! » Alors que les rôles traditionnels du papa et de la maman tendent à se brouiller, mais que les chiffres des congés parentaux pris par des pères stagnent à 2% depuis des années, certains hommes font des choix qui détonnent : mener de front leur carrière professionnelle, tout en assurant la responsabilité quotidienne des enfants et du foyer. Davantage que leurs compagnes. Qui sont ces « mi-travailleurs, mi-pères au foyer » ? A quelles difficultés se heurtent-ils ? Et surtout, comment vivent-ils une telle décision, socialement et professionnellement ? Entre fierté et regards de travers, cinq papas témoignent aux quatre coins de la France.

Olivier, 41 ans, influenceur, Villejuif (94)

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« J’ai passé des années à m’occuper des enfants des autres, pourquoi ne pourrais-je pas faire de même avec les miens ? »

Tout a commencé quand j’ai quitté mon dernier boulot, il y a trois ans. J’étais responsable des loisirs pour enfants à Bobigny et je bossais non-stop. Quand mon job a pris une autre direction, j’ai préféré en changer et j’ai décidé de prendre trois mois pour profiter de ma famille. Et là, tout a basculé. Mon frère m’a dit que si je comptais entreprendre un jour, Internet serait l’option la moins coûteuse et la plus lucrative. Alors, pour rire, j’ai lancé ma page Facebook @Papachouch. Je voulais voir ce que ça pouvait donner. Depuis, je gagne ma vie grâce à mes blagues destinées aux parents et j’ai la chance de profiter de mes enfants au quotidien.

Bon, au début, tout n’a pas été rose… Les réseaux sociaux, c’est tout le temps. Il m’a fallu un an pour comprendre que j’étais en train d’en faire mon vrai métier, et que ça nécessitait de faire une distinction entre ma vie pro et ma vie perso. Désormais, j’ai beau être à la maison, je m’impose des horaires de bureau pour pouvoir profiter de ma famille au maximum. Ma communauté sait qu’avant 8h30 et après 17h - horaires auxquels j’emmène et récupère mes enfants à l’école -, il n’y a plus personne ! Je veux aussi alléger ma femme : si elle a une réunion tôt le matin ou tard le soir, ça n’est jamais un problème. Quand elle rentre du boulot, les enfants ont dîné et pris leur bain. Et niveau tâches ménagères, évidement c’est moi qui lance les machines !

« Quand mon job a pris une autre direction, j’ai préféré en changer et j’ai décidé de prendre trois mois pour profiter de ma famille » Olivier, influenceur

Quand ma situation a évolué, mes proches ont été davantage surpris par le fait que je devienne “influenceur” que par ma décision de me consacrer plus à mes enfants ! Après tout, j’ai toujours évolué dans le monde de l’éducation… Et puis, j’ai passé des années à m’occuper des enfants des autres, pourquoi ne pourrais-je pas faire de même avec les miens ? Je trouve que l’égalité hommes-femmes progresse, mais pas assez vite. Les hommes sont toujours moins portés que les femmes sur l’éducation des enfants et les tâches ménagères. Mais maintenant que le télétravail s’est imposé à une grande partie de la population, il n’y a plus l’excuse de l’homme qui part au charbon et de la femme qui reste à la maison.

Olivier, 45 ans, directeur d’une agence de communication, Poitiers (86)

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« Je me bats pour mon statut de papa »

À sa naissance, ma fille est devenue ma priorité et c’est encore le cas aujourd’hui. Depuis que je suis séparé de sa maman, je m’en occupe une semaine sur deux. Quand elle est née il y a neuf ans, j’étais encore salarié. On me demandait de faire des heures supp’ la nuit, le week-end, mais c’était impossible quand je devais m’occuper d’elle. Ça a donné lieu à des discussions assez houleuses avec ma direction. Et peu à peu, j’ai été mis sur la touche. On ne me conviait plus aux pauses clope, on organisait les réunions importantes le soir après mon départ. Ça a duré jusqu’à mon licenciement économique.

Alors, j’ai monté ma propre agence pour pouvoir m’occuper de ma fille quand et comme je le voulais ! Désormais, je peux l’emmener chez le médecin en plein milieu de journée, prendre mon mercredi, quelques jours de vacancesJ’adapte mes horaires au planning de ma fille et non le contraire. Je ne veux pas qu’elle vive avec moi… sans vivre avec moi ! Quant à la garde partagée, c’était naturel : sa maman et moi n’avons jamais genré la parentalité. J’ai pourtant conscience que c’est encore monnaie courante. Dès la grossesse, j’ai compris que la place du père dans la société n’était pas du tout celle que j’avais envie de prendre ! Lors des premières échographies, la sage-femme m’indiquait le tabouret à l’autre bout de la pièce, ne répondait pas à mes questions, ne parlait qu’à mon ex-femme. Elle a dû réagir : « Ce n’est pas le chauffeur, c’est le père. » Plus tard, à l’école, j’ai fait remarquer à la directrice que 16h n’était pas uniquement « l’heure des mamans ».

En fait, l’homme est encore censé dominer professionnellement, tandis que la femme doit dominer la sphère familiale, malgré elle. C’est pour ça que je me bats pour mon statut de papa, notamment grâce à mon site internet Je suis papa, sur lequel je partage mes coups de gueule sur le sujet. J’espère que la société va se rééquilibrer. Le jour où on permettra aux mères de redevenir “simplement” des femmes dans toutes les dimensions (professionnelle, sociale, amicale, etc.), on offrira enfin le droit aux hommes de devenir pères.

Bernard, 69 ans, médecin retraité, Sainte-Foy (85)

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« Je n’avais pas une carrière classique, et alors ? J’étais fier de m’occuper autant de mes filles »

J’ai eu ma première fille à l’âge de 42 ans, en 1994, donc autant vous dire que je travaillais déjà depuis un moment. Je divisais ma semaine entre mon poste de médecin dans un centre de transfusion et mon propre cabinet de généraliste. En 1996, je n’ai gardé que mon mi-temps au centre de transfusion : adieu horaires irréguliers, bonjour vie de famille !

Cette décision, je l’ai prise alors que personne ne m’y a contraint : à l’époque, mon ex-femme, restauratrice de textile, était prête à baisser son activité pour s’occuper de nos deux filles. Moi, je lui ai dit de garder son métier, que je trouvais bien trop intéressant par rapport à mon travail au centre. Je pensais que je faisais un travail un peu bête, que je n’avais pas beaucoup de responsabilités… contrairement à mon rôle dans la famille ! Je m’occupais de tout : des courses, des repas (de la vraie cuisine !), des aller-retours à l’école, etc. Leur maman pouvait sortir à 20h de son atelier, cela ne changeait rien : je gérais. De mon côté, je pouvais à la fois préserver ma santé fragile et profiter de mes filles.

« J’étais fier de m’occuper autant de mes filles. Et puis maintenant, je sais tout faire ! Le seul domaine où je n’excellais pas, c’était le shopping » Bernard, médecin à la retraite

Socialement, je n’ai jamais eu de soucis par rapport à mon mode de vie. Au centre de transfusion, on était une trentaine de docteurs à tourner, autant d’hommes que de femmes, et chacun avait un emploi du temps bien personnel. Du coup, la composition des équipes variait, c’était plutôt agréable. Quant à mon entourage… Personne ne m’a critiqué, ils n’ont pas osé ! Ça, c’est sûrement à cause de mon caractère difficile (rires). Je n’avais pas une carrière classique, et alors ? J’étais ravi de mon choix de vie et surtout fier de m’occuper autant de mes filles. Et puis maintenant, je sais tout faire ! Le seul domaine où je n’excellais pas, c’était le shopping (rires). Bref. J’étais un vrai « père maternel »… Je ne le regrette absolument pas et si c’était à refaire, je ne ferais pas autrement. Les papas qui ne peuvent pas faire la même chose, je les plains… mais je comprends très bien que selon les boulots, ce n’est pas toujours évident, voire possible.

Romain, 34 ans, coach et formateur, Nantes (44)

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« Pourquoi un enfant devrait-il être un frein pour la carrière des femmes alors que ça ne l’est pas pour les hommes ? »

Quand mon fils est né, je me suis lancé en indépendant, en tant que coach et formateur. Et depuis trois ans, j’ai toujours travaillé à mi-temps pendant que ma compagne, directrice commerciale, était à temps plein.

J’ai d’abord fait ce choix par conviction féministe : selon moi, les papas peuvent aussi se prendre en main pour que l’égalité hommes-femmes avance. J’ai aussi choisi ce mode de vie par conviction pédagogique : il a été prouvé que c’est très important pour le développement d’un enfant d’avoir une « personne référente » quasiment tout le temps avec lui les premières années. Du coup, quand j’étais avec mon fils, j’étais à fond avec lui et quand je travaillais, j’étais à fond pour lancer mon activité. Je bossais le soir, le week-end… J’ai eu de la chance que ça se soit bien passé, même si ça a été épuisant : j’ai rarement autant pleuré que ces trois années-là !

Depuis le début, j’ai toujours expliqué mon mode de vie à mes clients et reçu de la compréhension, voire même de l’enthousiasme. C’est étrange à quel point les « pères au foyer » sont bien vus, alors que les mères au foyer sont négligées, voire moquées. Les rares remarques négatives que j’entendais venaient d’autres mecs entrepreneurs, qui avaient décrété que je n’y arriverais pas. Loupé.

Pour tenter de faire évoluer les choses, je fais partie d’une association, « Parents & Féministes ». On milite pour un congé paternité égal au congé maternité. Pourquoi un enfant devrait-il être un frein pour la carrière des femmes alors que ça ne l’est pas pour les hommes ? C’est encore plus compliqué pour les indépendants : ils ne prennent pas de congé paternité car ils ont peur que personne ne puisse faire tourner l’activité à leur place. C’est pour ça que dans mon asso’ on essaye de mettre en place des mécanismes de solidarité inter-branche. À quand un vrai changement sociétal ?

Frank, 42 ans, technicien de maintenance, Kingersheim (67)

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« Dans l’entreprise où j’étais, on m’a pris en grippe dès qu’on a compris que mes enfants étaient ma priorité »

Mes deux enfants, je les ai à plein temps : j’en ai la garde exclusive depuis ma séparation. Et depuis août 2020, je suis indépendant : l’entreprise dans laquelle j’avais un CDI depuis 2017 ma prise en grippe dès qu’elle a compris que mes enfants étaient ma priorité. Pourtant, au début de mon contrat, j’avais été très clair. Ils savaient que je vivais une séparation compliquée, et que l’un de mes enfants, mon fils, était en grande difficulté. Ils m’autorisaient par exemple à arriver plus tôt, à partir plus tard. Mais lorsqu’ils ont réalisé que j’avais beaucoup de rendez-vous importants avec lui et que je ne pouvais plus assurer les astreintes en week-end, les complications ont commencé.

On me fliquait de tous les côtés, on se mêlait clairement de ma vie privée. Un samedi soir, j’ai fait garder mes enfants pour voir des amis. C’était exceptionnel. Un collègue m’a vu en ville, et en a parlé à la direction. Un autre jour, j’ai dû me rendre à un énième rendez-vous inévitable pour mon fils pendant mes horaires de boulot. Ma boss a refusé que j’y aille. Je lui ai répondu : « Qu’on soit d’accord ou pas, j’irai. » Le summum, ça a été le premier confinement : j’ai dû rester chez moi m’occuper des enfants, puisque les écoles étaient fermées. Ils ne l’ont pas compris. Quand un collaborateur m’a prévenu que j’étais « dans le collimateur », j’ai décidé de partir.

Maintenant que je suis indépendant, c’est plus facile : il n’y a plus de hiérarchie, il suffit juste de prévenir mes clients. Et puis, je ne travaille « plus qu’en » journée. J’ai les mêmes horaires que ma plus petite. Socialement, ça passe bien. Je reçois pas mal d’aide de la part d’amies femmes. C’est particulièrement utile vis-à-vis de ma fille. C’est plus compliqué quand je fais des rencontres. Au début, on me dit « ah c’est mignon » et quand on voit que je les ai H24 7j/7, ça devient vite un problème…

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Photos by Cecile Debise, Raphaï Bernus, Thomas Decamps for WTTJ ; Article édité par Clémence Lesacq

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