Avoir un profil atypique : un atout ou un frein aux yeux des recruteurs ?

11 feb 2021

9 min

Avoir un profil atypique : un atout ou un frein aux yeux des recruteurs ?
autor
Olivia Sorrel Dejerine

Journaliste indépendante

Après votre diplôme, vous n’avez pas suivi la voie classique ? Vous avez enchaîné différents jobs sans jamais être vraiment satisfait.e.s ? Et voilà que vous tombez sur une annonce qui vous fait totalement vibrer. Sauf qu’avec votre profil atypique, vous doutez de votre succès lors de votre prochain entretien. Pas la ‘bonne’ expérience, pas le diplôme qu’il faut… Difficile d’avoir confiance en soi quand votre profil ne colle pas parfaitement à l’annonce ! Mais de nos jours, les recruteurs attendent-ils que l’on coche toutes les cases pour les intéresser ? Ou est-ce finalement une bonne chose d’être un peu différent ? Pour en avoir le cœur net, nous sommes allés à la rencontre de personnes qui se présentent comme des profils atypiques pour voir quel avait été l’impact de leur singularité dans leur parcours professionnel et de spécialistes des ressources humaines.

Un profil atypique, de quoi parle-t-on au juste ?

On dit d’un profil qu’il est atypique dès lors que le parcours scolaire et professionnel sort un peu de l’ordinaire. « Il peut s’agir d’une personne qui n’a pas le cursus académique ou les expériences qui collent avec le poste pour lequel il postule, mais cela concerne aussi ceux qui ont eu plusieurs vies professionnelles », explique Margaux Léo, responsable des ressources humaines dans le secteur de l’industrie. Concrètement, une personne qui a fait des études de sciences politiques et qui a finalement décidé de se tourner vers une carrière de graphiste, ou une autre qui a occupé des postes dans des disciplines diverses et variées telles que le notariat, la restauration puis la communication ! Dans tous les cas, cette personne n’a pas suivi le parcours classique qui mène à un poste ou à un domaine d’activité bien défini. Et selon les disciplines ou les secteurs d’activité, se présenter avec cette différence peut être un frein. « Disons qu’il est bien plus facile de trouver un poste en ayant un parcours atypique lorsqu’on souhaite travailler dans l’événementiel, le tourisme, la restauration, détaille Margaux Léo. Cela sera en revanche impossible ou presque en médecine, dans l’ingénierie, ou dans le droit qui nécessitent des diplômes bien spécifiques. » Une observation que partage Sophie Bellec, consultante en ressources humaines : « Les métiers qui requièrent de connaître et d’appliquer précisément des normes ou des techniques ne sont pas très ouverts aux profils qui n’apportent pas strictement la formation et l’expérience attendues, note la spécialiste. À l’inverse, les fonctions qui nécessitent des compétences comportementales et non techniques auront plus de chances de présenter une opportunité pour un profil atypique. »

« Dans les grandes boîtes, il y a un système très hiérarchique qui reste attaché à l’idée de choisir des candidats sortis des grandes écoles », Margaux Léo, responsable des ressources humaines dans le secteur de l’industrie

Par ailleurs, selon les secteurs et le type d’entreprise - start-up, PME/TPE ou grand groupe - les processus de recrutements diffèrent et les profils atypiques ne seront pas accueillis de la même manière. « Dans les grandes boîtes, il y a un système très hiérarchique qui reste attaché à l’idée de choisir des candidats sortis des grandes écoles, explique Margaux Léo. C’est dommage parce qu’un profil peut sortir du lot sans avoir suivi la voie royale. » Tout dépend aussi de la personne qui recrute. « Les managers sont attachés à certains profils, ils sont plus craintifs, car ils ont une vision précise de ce dont ils ont besoin sur le moment, constate la spécialiste. De mon côté, comme je ne recrute pas pour mon équipe directe, j’ai tendance à voir plus large. C’est plutôt le feeling, la personnalité et l’expérience de la personne qui comptent. »

Avoir un profil ou un parcours atypique est-il plutôt un atout ou une tare aux yeux des recruteurs ?

Des profils parfois plus déterminés à y arriver

Passionné par la musique et l’événementiel, Armand a toujours vu ce secteur comme un « rêve de gosse inaccessible ». Par défaut, il intègre une école de commerce. Même s’il garde toujours un attrait naturel pour le monde du spectacle, il n’arrive pas à le formuler ni à imaginer pouvoir y travailler un jour. Puis, tout finit par basculer. Le déclic se fait pendant un entretien pour son stage de fin d’études : « Le recruteur m’a dit : ’vu ce que tu me racontes et tes envies, ce poste n’est pas du tout fait pour toi en revanche on a une filiale spécialisée dans l’événementiel, postule là-bas’ », se souvient le jeune homme. Il décroche un stage et décide de se lancer en freelance.

L’événementiel reste un domaine plutôt fermé qui requiert de la pratique et un certain carnet d’adresse. Pour s’imposer malgré tout, il propose ses services à des agences de production d’évents. « Je me suis dit que j’allais me créer une expérience tout seul, et me constituer un réseau ce qui me permettrait ensuite de prendre du gallon », explique-t-il. Une agence finit par l’embaucher. « Ils se sont brièvement intéressés à mon parcours, ça les rassurait de savoir que j’avais fait des études, précise Armand. Mais ce qui leur plaisait surtout, c’était le réseau que je m’étais constitué et ma détermination à vouloir percer dans ce secteur. » Dans son cas, l’ambition et la persévérance ont davantage joué que les études. Et de manière générale, prouver sa détermination lors d’un entretien est indispensable pour un profil atypique. « Une personne ayant ce profil devra davantage argumenter pour démontrer sa capacité à pourvoir un poste, détaille Sophie Bellec. C’est à elle de décrypter et de transposer son expérience et traduire ses compétences au regard du profil attendu. »

« Je pense qu’on peut réussir à vendre à un employeur plusieurs expériences qui n’ont rien à voir, dès lors qu’on raconte une histoire cohérente », Armand, en poste dans l’événementiel

Après cinq ans au sein de la même agence, Armand songe de nouveau à changer de secteur. Et s’il lui arrive de se demander si son profil atypique sera un obstacle, il préfère rester optimiste : « Je pense qu’on peut réussir à vendre à un employeur plusieurs expériences qui n’ont rien à voir, dès lors qu’on raconte une histoire cohérente. » En effet, la cohérence rassure le recruteur et les explications du candidat auront un impact décisif, selon Sophie Bellec. « Si un candidat a changé de trajectoire, s’il s’est arrêté un moment, il faut qu’il puisse expliquer pourquoi. Soit c’était volontaire et il y avait une motivation claire derrière ce choix, soit c’était un concours de circonstances malheureux (échec entrepreneurial par exemple) et il faut pouvoir en parler, précise la spécialiste. Sinon la personne qui recrute aura l’impression d’un parcours chaotique, peu rassurant en termes de comportement, et peut-être prédictif d’une faible pérennité dans le poste. »

Souvent un gage de qualité pour les entreprises

Romain a été consultant, chef de projet dans une très grande entreprise d’assurances jusqu’au jour où… il a claqué la porte. Fossé générationnel, process trop lents, manque de sens. Il se rend compte que ce monde du travail ne lui correspond pas et qu’il s’est embourbé dans cette voie par pression familiale. « Je viens d’un milieu où faire des études est une obligation, j’ai donc choisi d’aller à l’université, mais finalement ma matière, l’économie, était le cadet de mes soucis », raconte-t-il. Il postule à une annonce pour devenir vendeur dans un magasin de fruits et légumes en circuit court où il a l’habitude de faire ses courses. Contre toute attente, il réalise que son profil atypique est plutôt recherché. « Je n’ai pas eu besoin de CV ni de lettre de motivation, explique le jeune homme. Une fois embauché, je me suis aperçu qu’on avait tous entre 25 et 30 ans, que nous avions tous fait des études, et que personne n’avait le profil classique du ‘vendeur’. Il n’y avait que des surdiplômés, sans doute une manière pour l’entreprise de s’assurer qu’on serait efficaces. »

« De plus en plus de personnes osent se reconvertir et les profils atypiques en quête de sens et qui ont à cœur de s’investir sont un bon vivier pour certaines entreprises », Romain, vendeur en épicerie

Pour lui, ce type de profil serait même « un phénomène de mode » qui plaît à certains employeurs. « De plus en plus de personnes osent se reconvertir et les profils atypiques en quête de sens et qui ont à cœur de s’investir sont un bon vivier pour certaines entreprises », explique-t-il. Certaines organisations sont en effet plus enclines à embaucher des personnes au profil non conventionnel. « Les personnes en reconversion sont bien accueillies par tous les secteurs confrontés à des pénuries de compétences et de candidats : l’artisanat, le bâtiment ou encore le numérique sont de bons exemples », détaille Sophie Bellec.

Attention, en misant sur un profil atypique l’entreprise prend plus de risque

Si le changement de voie promet toujours une dose d’excitation, il peut également être déceptif. Dans son magasin de fruits et légumes, Romain s’est heurté à la désillusion de certains de ses collègues qui ont eu du mal à s’adapter au fonctionnement de ce type de structure. « On était loin de la grande entreprise où l’on est promus plus régulièrement, explique-t-il. Le travail est assez répétitif, c’est plus dur physiquement, et l’argent ne compense pas forcément les efforts fournis. » Une limite que Margaux Léo a également bien identifiée. Si le candidat vient d’un tout autre secteur, « il peut avoir des difficultés à s’intégrer et à s’adapter car il n’aura pas forcément les codes de l’entreprise », explique-t-elle. Un point qui préoccupe les RH lorsqu’ils se retrouvent face à un CV original, note Sophie Bellec. « Lorsqu’on mise sur un candidat qui vient d’un univers différent, on prend un risque plus grand car on mise sur un potentiel et non sur quelque chose de démontré par l’expérience passée », explique-t-elle.

« Lorsqu’on mise sur un candidat qui vient d’un univers différent, on prend un risque plus grand car on mise sur un potentiel et non sur quelque chose de démontré par l’expérience passée », Margaux Léo, responsable des ressources humaines dans le secteur de l’industrie

Le profil atypique peut également soulever des questions concernant l’acceptation des contraintes liées à la hiérarchie s’il avait jusqu’alors un statut d’indépendant, la fidélisation s’il a tendance à changer trop régulièrement d’entreprise, voire même susciter le doute sur sa capacité à répondre aux exigences de l’emploi s’il n’a pas le diplôme requis ou si son CV est trop éloigné du poste.

Ceux qui finissent par devenir leur propre patron pour plus de liberté

Après plusieurs années à la Commission Européenne puis à la Croix-rouge, Victoria a dû quitter l’entreprise à cause d’une limite de renouvellement de CDD. « Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai arrêté de chercher du boulot dans ce secteur. J’ai pensé que c’était le signe que la vie voulait m’emmener ailleurs », explique-t-elle. La jeune femme en profite pour prendre du recul sur sa vie professionnelle. Cette pause lui a fait prendre conscience qu’elle avait envie d’apprendre un savoir-faire manuel, pour exercer son métier partout et sous n’importe quelle forme.

« Je suis sûre que mes deux chefs boulangers se sont vraiment demandés ce qu’une nana avec cinq diplômes venait faire chez eux », Victoria, restauratrice

Elle intègre un CAP boulangerie. Dès le premier cours, c’est une révélation : « Pour la première fois de ma vie je faisais quelque chose sans me soucier des attentes des autres », se souvient-elle. À l’issue de ses études, Victoria travaille comme boulangère pendant un an. « Je suis sûre que mes deux chefs boulangers se sont vraiment demandés ce qu’une nana avec cinq diplômes venait faire chez eux », rigole-t-elle. Puis vient la rencontre avec Joe qui la propulse dans les cuisines d’un coffee shop, puis d’une rôtisserie-bar à cocktail à Paris. Deux ans plus tard, ils ouvrent une adresse ensemble. « Je n’avais pas pour objectif de devenir mon propre patron, je voulais juste acquérir un savoir-faire qui me donne une certaine liberté. C’est parfois très dur, mais tu ne dépends de personne », explique-t-elle.

Se lancer pour devenir son propre patron peut être bien vu par les recruteurs si l’on décide de revenir en entreprise. Pour Margaux Léo, « quelqu’un qui a tout lâché pour créer sa propre boîte pourra apporter de la connaissance de terrain, montrer son engagement et de la résistance. »

Si le candidat atypique sait argumenter son parcours et faire preuve d’intelligence sociale, la différence est un vrai plus

Autre atout de poids, une personne au CV atypique permet aux entreprises de diversifier ses profils et d’être plus compétitives, estime Margaux Léo. Une idée que partage également Sophie Bellec : « Les entreprises ont compris que la reproduction à l’identique des profils, tous formés dans le même genre d’écoles, ayant fait le même genre de stages, n’était pas forcément une bonne chose, en termes de créativité et de résolution de problèmes. L’adaptabilité, la flexibilité cognitive sont de plus en plus recherchées. Du coup, les profils originaux qui démontrent de bonnes compétences comportementales sont de mieux en mieux considérés. Par ailleurs, il est prouvé que la diversité de genre et de cultures est source de performance pour l’entreprise, dès lors injecter des profils originaux, non clonés, est source de richesse pour l’entreprise. »

« Il faut lancer le débat avec le recruteur sur le fait que la différence apporte un regard neuf », Margaux Léo, responsable des ressources humaines dans le secteur de l’industrie

Dès lors, comment faire la différence lors d’un entretien ? Selon Margaux Léo, le plus important est de se servir de ses expériences passées pour se démarquer des autres candidats : « Il faut lancer le débat avec le recruteur sur le fait que la différence apporte un regard neuf. Sans avoir le diplôme demandé, vous avez développé des connaissances fondamentales, de manière autodidacte. Cela prouve vos compétences d’autonomie et de rigueur. » C’est en tout cas un type de profil sur lequel la responsable des ressources humaines peut avoir envie de miser après s’être « assurée de sa fiabilité sur la stabilité et l’envie de construire durablement une expérience dans l’entreprise. »

Vous l’aurez compris, un profil peut être atypique pour diverses raisons, et s’il est un frein aux yeux de certains recruteurs, il reste un gage de qualité pour de nombreuses entreprises. Courage, ambition, détermination…, une personne au CV atypique présente souvent des atouts intéressants voire insoupçonnés pour les recruteurs. Pas de doute, la différence ne vous empêchera pas forcément de décrocher le prochain job de vos rêves !

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Photo d’illustration by WTTJ

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