Philo Boulot : la crise existentielle pendant le coronavirus

22 abr 2020

autor
Céline MartyLab expert

Investigadora en filosofía del trabajo

PHILO BOULOT - Pourquoi je me sens aliéné·e dans mon travail ? D’où vient cette injonction à être productif·ve ? De quels jobs avons-nous vraiment besoin ? Coincé·e·s entre notre boulot et les questions existentielles qu’il suppose, nous avons parfois l’impression de ne plus rien savoir sur rien. Détendez-vous, la professeure agrégée en philosophie Céline Marty convoque pour vous les plus grands philosophes et penseurs du travail pour non seulement identifier le problème mais aussi proposer sa solution.

En ces temps de confinement et de crise mondiale, notre activité professionnelle ne continue pas de façon évidente. C’est le moins que l’on puisse dire. Certains d’entre nous se demande même s’ils peuvent - ou s’ils doivent - arrêter leur boulot ou en changer. Soudainement, travailler nécessite de se poser une question : « Pourquoi je fais ce que je fais ? » Mais pas de panique, tout cela est normal. Ces interrogations correspondent à la fameuse crise existentielle dont on parle beaucoup en philosophie. Soit un moment où l’on s’interroge sur le sens de sa vie, sur ses valeurs mais aussi sur son travail. Céline Marty, professeure agrégée en philosophie, fondatrice de la chaîne YouTube META, nous explique ce processus.

Alors, qu’est-ce que le confinement va changer dans notre vie pro ?

Cette situation est l’occasion de réfléchir sur l’utilité sociale immédiate de notre métier et sur nos propres motivations. Dans cette période où notre rapport au travail est amené à complètement changer, qu’ai-je vraiment envie de faire ? Quelles sont les activités qui me font vraiment plaisir ? Quelles sont les valeurs que j’ai envie de défendre ? Autant de questions, si vous vous les posez, qui montrent que vous vivez peut-être une sorte de crise existentielle parce que vous prenez conscience que ce temps de pause est non seulement l’occasion de se réinventer, mais aussi le moment de faire des choix qui disent des choses de nous-mêmes.

Ce temps de pause est non seulement l’occasion de se réinventer, mais aussi le moment de faire des choix qui disent des choses de nous-mêmes.

Au début de ce processus et dans une situation comme celle-ci, on se questionne d’abord sur ce qu’on “doit” faire. On réfléchit à nos devoirs en tant que travailleurs vis-à-vis de notre employeur, si l’on est salarié, ou vis-à-vis de nos clients, si l’on est en libéral. Bref, on rend des comptes à ceux qui nous en demandent. Ensuite, on se demande ce qu’on a envie de faire de ce temps libéré et c’est peut-être le questionnement le plus intéressant. Qu’ai-je envie de faire dans l’immédiat ? Rattraper des séries en retard ? Faire un petit ménage de printemps ? Appeler les potes ?

On se demande ce qu’on a envie de faire de ce temps libéré et c’est peut-être le questionnement le plus intéressant.

Dès que nos journées ne sont plus organisées par notre boulot ou nos activités préférées et que nous n’avons plus à rendre de comptes, nous vivons l’angoisse de la liberté dont parle Jean-Paul Sartre dans L’existentialisme est un humanisme (1946). Si le sort de notre existence n’est plus déterminé par une religion ou des normes sociales traditionnelles, alors nous pouvons faire n’importe quoi de notre vie.

L’identification à des modèles

Mais alors dans le fond qui est vraiment ce « moi » que nous devons trouver pendant ce confinement ? En réalité, il n’y en a pas vraiment. C’est en tout cas l’avis du philosophe français contemporain Clément Rosset qui dans Loi de moi. Étude sur l’identité (1999), nous dit qu’il n’existe pas d’identité réelle intime car nous ne serions qu’ « un agrégat aléatoire de qualités qui sont reconnues ou pas au hasard de l’humeur de notre entourage ». Pour lui, ce sont les autres qui nous caractérisent : « Toi tu es une carriériste, lui il est trop suiveur ». Pour lui, non seulement l’introspection ne servirait à rien mais en plus elle serait dangereuse parce qu’elle risquerait de nous détourner de l’existence même et de nos propres activités. Pour bien vivre, il faut cultiver une certaine insouciance, qui suppose… qu’on ne se prenne pas trop la tête.

Pour bien vivre, il faut cultiver une certaine insouciance, qui suppose… qu’on ne se prenne pas trop la tête.

Mais doit-on vraiment accepter les images que les autres se font de nous ? Peut-être que vos collègues ou vos supérieurs se font une image de vous qui n’a rien à voir avec la façon dont vous vous voyez vous-même ? Peut-être même que vous cachez votre jeu au boulot ? Que vous portez un masque volontairement histoire de vous protéger ? Peut-être aussi que l’identité se fait toujours par identification à des modèles comme le propose l’anthropologue, historien et philosophe français, René Girard, auteur de La Violence et le Sacré (1972).

Peut-être que vos collègues ou vos supérieurs se font une image de vous qui n’a rien à voir avec la façon dont vous vous voyez vous-même ?

Quels seront donc les modèles pro et perso qui m’inspirerons pour la sortie de crise ? Mieux, qui est-ce que je veux être ou à qui est-ce que j’aimerais ressembler ? Prenez quelques minutes pour réfléchir aux personnes que vous admirez dans votre métier. Votre choix dira quelque chose de vous, de vos valeurs et de vos espoirs.

Cet article est issu du premier épisode de notre série qui croise philosophie et travail, Philo Boulot. Elle a été écrite et réalisée en partenariat avec la chaîne YouTube META.

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