Travail : pourquoi chercher à être « parfaite » peut jouer contre vous !

10 feb 2021

5 min

Travail : pourquoi chercher à être « parfaite » peut jouer contre vous !
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Lucile QuilletLab expert

Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes

BADASS - Vous vous sentez illégitimes, désemparées, impostrices ou juste « pas assez » au travail ? Mesdames, vous êtes (tristement) loin d'être seules. Dans cette série, notre experte du Lab et autrice du livre de coaching Libre de prendre le pouvoir sur ma carrière Lucile Quillet décortique pour vous comment sortir de la posture de la "bonne élève" qui arrange tout le monde (sauf elle), et enfin rayonner, asseoir votre valeur et obtenir ce que vous méritez vraiment.

Je me souviens de la période où j’ai décidé d’utiliser Instagram pour parler de coaching pro sauce féministe. Pendant un mois, j’ai fait rivaliser des typographies, composé des palettes de couleurs, échafaudé tout un programme éditorial avec différents types de posts et stories, séquencé selon les jours de la semaine. Je voulais que cela soit beau, fort, pratique, pro, calé, et qu’une fois que l’éternelle indécise que je suis ait tout validé, il n’y aurait plus qu’à appuyer sur le gros champignon.

Bref, pendant un mois, je n’ai rien posté sur Instagram. (Et évidemment, rien ne s’est passé comme prévu après.)

Était-ce une perte de temps ? Sans doute pas totalement. Mais pour sûr, j’ai expérimenté ce « mantra » anglophone un brin agaçant : « Done is better than perfect ».

La honte comme vigile

Pourquoi ne me suis-je pas spontanément lancée la fleur au fusil, curieuse et confiante ? Je pense que, comme beaucoup d’autres femmes qui s’exposent volontairement, j’avais peur d’avoir honte, d’être jugée, pointée du doigt. C’est le risque : celles qui ont confiance en elles et n’attendent la validation de personne, on les attend toujours un peu plus au tournant. « Si tu avances par toi-même sur scène, c’est que tu dois être béton. » Je devais pouvoir défendre, justifier et assumer tout ce que je faisais sans faillir. Une simple erreur me couvrirait de honte jusqu’à m’enfoncer dans les entrailles de la Terre (rien que ça). Ainsi, pendant longtemps, par peur de “perdre”, je ne prenais pas le risque de gagner.

Je crois que c’est en partie cette crainte de la honte qui intimide, dissuade et rend beaucoup de femmes perfectionnistes. Sinon, pourquoi seraient-elles plus enclines à se décourager et trouver des raisons de ne pas postuler à une offre d’emploi que les hommes (le fameux « je n’ai pas 100% des critères »), comme le souligne l’étude Gender Insight Report de LinkedIn ? C’est ce mélange curieux de manque de confiance en soi et d’orgueil qui fait de la peur de l’échec l’un des grands freins à notre vie professionnelle.

Circuit fermé

La conséquence face à tant de pression, c’est que beaucoup sont paralysées, repoussent, procrastinent, angoissent et pinaillent. Ce sont les « Je n’ai pas rendu le dossier car ce n’était pas parfait », « j’ai du mal à choisir car j’ai peur de ne pas prendre la bonne décision », « je ne veux pas demander de l’aide », « je dois gérer seule », « ce n’est pas assez bien »… Comme s’il fallait défendre son honneur non stop. Quitte à être contre-productif. Une abonnée me racontait : « Quoi que l’on fasse, ce ne sera pas à la hauteur alors… À quoi bon se mettre au travail ? »

Qui aurait cru que ce perfectionnisme aurait l’effet inverse : la fuite, le déni ou la dévalorisation de ce que l’on est capable de faire. Rien que le mot « perfectionnisme » est un piège. On le pense comme le plus haut degré d’exigence, la boussole des addicts du boulot, des grands de ce monde (et de Beyoncé). En réalité, il est un handicap au travail. Il nous rend rarement parfaite mais nous complexe, nous met en retard, nous fait minimiser nos réussites (“ c’est normal, je n’ai fait que mon travail”).

Surtout, il nous isole dans un fonctionnement en circuit fermé : nous sommes la juge et la jugée en même temps. En laissant trop de place à ce tribunal fictif qui loge dans notre esprit, nous excluons les collaborateurs qui nous entourent : nous anticipons leur regard, nous nous passons de leur aide et de la possible synergie de groupe. Nous prétendons tout savoir, tout faire, être auto-suffisant en somme. Alors que le droit à l’erreur que l’on se refuse est celui-là même qui permet de valoriser notre travail.

Pour lâcher (un peu) la bride du perfectionnisme, que faire ?

1. Cherchez Mister/Miss Perfect

Vous supposez que si l’on vous a embauchée à ce poste, vous devez exceller dans toutes les tâches dès le début, sans quoi, vous n’êtes pas « la femme de la situation » (comme vous l’avez promis) mais une arnaque. Bon. Regardez autour de vous et cherchez une personne possédant 100% des compétences et le savoir inné pour un job qu’elle n’a jamais occupé. Voilà : cela n’existe pas. Il n’y a jamais de candidat parfait : il n’y a que des gens motivés qui font ce qu’ils peuvent comme ils peuvent. L’excitation se trouve dans la potentialité plus que dans l’existant. C’est pour ça qu’il n’y a jamais de « bonnes » ou « mauvaises » réponses en entretien d’embauche : il y a votre réalité et les besoins d’une entreprise et la promesse d’une bonne collaboration. Pas besoin d’être surhumaine ou trop vertueuse : restez humaine, cela suffit. Pensez à vos idoles professionnelles : vous vous rendrez sans doute compte que vous les admirez pour le chemin qu’elles ont parcouru et non car elles ont coché toutes les cases dès le début. Nuance.

2. Échappez à l’ennui

Après chaque réussite, vient naturellement une question : « Et après ? ». Quel est le next step, l’étape, le but, l’objectif vers lequel vous allez vous tourner, ce qui sera le moteur de vos prochaines années ? Les gens parfaits n’en ont pas : ils sont parfaits, ils savent déjà tout. Et s’ennuient (et ennuient les autres aussi). Le risque de ne jamais être éclaboussé par la honte, ou l’échec ou une erreur, c’est de stagner et rester dans sa zone de confort.

3. Le plaisir est dans l’apprentissage

Prenez cette photo de vous que vous trouvez splendide. N’avez-vous pas encore plus de satisfaction à la regarder en la comparant avec ce portrait de vous, enfant, édentée avec de grosses binocles et un palmier sur la tête ? C’est un peu pareil avec la vie professionnelle : on a d’autant plus de plaisir et de satisfaction en mettant en perspective un point A et un point B, là d’où l’on part et là où l’on arrive. La vraie jouissance professionnelle vient de notre progression : de ce plaisir à apprendre, se voir grandir et arriver là où l’on aurait jamais cru. Ceux qui pensent être parfaits refusent d’admettre qu’il y a eu un point A et c’est fort dommage. Ils se privent d’un argument pour briller. N’avez-vous pas remarqué que ceux qui échouent et osent en parler se retrouvent couverts d’éloges et de reconnaissance ? Écoutez quelques épisodes du très bon podcast « La leçon » de la journaliste Pauline Grisoni et vous verrez : #Failisthenewwin.

En vous projetant en mode « apprentissage », vous vous donnez le droit à l’erreur mais surtout, vous retrouvez une forme d’humilité assumée qui donne encore plus de saveur à vos accomplissements.

4. Recommencez à jouer en collectif

En ôtant votre cape de perfectionniste, vous vous ouvrez aussi à nouveau aux autres : vous pouvez échanger sur les difficultés rencontrées, faire preuve d’esprit d’équipe, demander conseil ou de l’aide. Bref, vous leur montrez des marques de confiance et d’estime en les mettant dans la boucle. Cela vous permet aussi de tisser des liens, aborder des inconnus et réseauter plus facilement. Bref, quitter l’Olympe et se reconnecter au monde des mortels, bien plus amusant.

Si la société met en effet la barre plus haute pour les femmes, ce n’est pas une raison pour rentrer dans la combine et s’épuiser à essayer de sauter si haut. C’est une diversion qui nous empêche d’avancer normalement. Personnellement, j’ai longtemps été obsédée par l’idée de faire « les bons choix », d’avoir le parcours « parfait ». Pour ne pas rater d’opportunités, mais aussi pour dire que « j’avais raison ». Les perfectionnistes n’aiment pas avoir tort. Sauf qu’avoir toujours raison ne sert à rien. Cela revient à prétendre que l’on a toujours pu tout anticiper, tout contrôler, et attendre des félicitations. Mais de qui ? J’ai réalisé quelque chose d’absurde mais très soulageant : il n’existe pas de tribunal à la fin de ma vie qui m’attribuera un 20/20. Le plaisir est dans l’apprentissage et la progression : ce que nous sommes au temps présent et nos capacités suffisent ainsi toujours. Nous sommes “assez” comme nous sommes.

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