Quitter le marketing pour devenir pilote, la reconversion de Clément

12 oct 2020

5 min

Quitter le marketing pour devenir pilote, la reconversion de Clément

Après cinq ans d’études, plusieurs stages et un CDD dans le marketing, Clément a décidé à 26 ans d’écouter la voix qui, depuis longtemps, lui murmurait de devenir pilote. Son rêve s’est réalisé en pleine pandémie et malgré la crise du secteur aérien. Témoignage.
 
Le décollage, c’est un moment unique. On est à l’arrêt, puis d’un coup on se lance à plein gaz, le dos collé à son siège, et on se dit, « ça y’est, ça part ». Je n’oublierai jamais ma première fois seul dans un cockpit. Il faisait un temps magnifique, la météo était parfaite pour voler. Après un vol ensemble, mon instructeur me dit « gare l’avion, moi je descends et tu repars seul ». Je ne m’y attendais tellement pas que je n’ai même pas eu le temps de stresser. C’était un Beechcraft 77, un tout petit avion d’école deux places. Ce n’est pas le plus beau, ni le plus grand qui soit mais j’aurai toujours une affection particulière pour cet avion. En l’air, j’étais très concentré, j’ai pas vraiment réalisé, mais après l’atterrissage je me suis dit « waouh, tu viens de voler tout seul. » 

Certains enfants rêvent de devenir pilote, d’autres pompiers, je crois que moi je n’ai jamais eu ce genre de grands rêves. Je me souviens seulement de mes vols avec mon oncle qui était pilote amateur. On survolait la région grenobloise et ses montagnes, on apperçevait le Mont-Blanc au loin. J’avais douze ans. J’ai toujours aimé l’aérien, peut-être à cause de ses souvenirs-là, mais au moment de faire des choix après le Bac en 2010, le secteur se portait très mal, les compagnies ne recrutaient pas, Air France avait arrêté de former des pilotes. Ce n’était pas du tout le moment de se lancer ! Comme j’étais aussi attiré par l’informatique et la création de contenus, j’ai donc choisi de faire un DUT en marketing digital. 
 
J’ai fait deux stages, le premier dans une agence digitale et l’autre chez L’Oréal en marketing. À chaque fois, je me demandais : « quand est-ce que ça devient cool ? » En fait, ça n’est jamais arrivé. À ce moment-là, j’ai mis ça sur le compte de mon statut de stagiaire, de l’impossibilité de se projeter dans l’entreprise. En parallèle, je me suis tout de même intéressé aux différentes manières de devenir pilote, mais c’était plutôt par curiosité que par réelle motivation pour une reconversion ! J’avais déjà fait quatre ans d’études, je n’allais pas tout lâcher pour devenir pilote de ligne…

J’ai fait deux stages, le premier dans une agence digitale et l’autre chez L’Oréal en marketing. À chaque fois, je me demandais : « quand est-ce que ça devient cool ? » En fait, ça n’est jamais arrivé.

Après mon Master 2, je suis parti en Nouvelle-Zélande pour voyager et faire des petits boulots. Et sur place, encore une fois, j’ai fait des recherches pour devenir pilote. Surtout, je me suis rendu compte que chaque année, depuis trois ans, je faisais ces mêmes démarches à la même période. Mais je n’en parlais pas trop autour de moi, de toute façon je n’étais pas du tout prêt à sauter le pas.
 
Au bout de huit mois, je repars en France et je trouve un CDD en tant que responsable des opérations commerciales internationales, à Lille. À 26 ans, j’avais un poste avec un salaire correct, dans une ville que j’adorais et où j’avais tous mes amis. Je n’avais aucune raison de me plaindre… Mais au bout de trois mois, j’avais du mal à me lever le matin pour aller bosser. Je ne croyais déjà plus en ce que je faisais. On peut mettre des jolis mots sur le marketing, créer des histoires magnifiques autour d’un produit, le but final est de créer du besoin et de vendre.  Je ne trouvais pas mon métier très utile à la société. Toutes ces réunions, ces brainstormings avec cette nébuleuse de mots qu’on invente pour parler de choses simples, ce n’était pas mon truc. 

 
À cette époque, l’aérien se portait très bien, on parlait même d’une pénurie de pilotes… J’ai donc décidé de passer une visite médicale dans un centre spécialisé à Bruxelles, avant de m’inscrire dans une quelconque école. J’appréhendais beaucoup : et si jamais j’avais un problème de santé que j’ignorais ? J’ai stressé pendant plusieurs jours en attendant le résultat d’une prise de sang, mais finalement tout allait bien. Et donc rebelote, j’ai recommencé à faire mes recherches pour devenir pilote. Puis j’ai contacté des aviateurs sur Instagram pour leur demander leur avis. Tous m’ont dit : « vas-y lance toi, c’est le moment ! » Mes parents m’ont, eux aussi, encouragé et j’ai fini par contracter un crédit étudiant de 65 000 euros pour faire une école privée à Valenciennes (Nord) et passer ma licence en deux ans. J’ai commencé la formation le 13 mars 2018, je finissais mon CDD deux jours après.  
 
Ces deux années d’études ont été très différentes de mes cinq années de marketing car cette fois-ci, je savais pourquoi je les faisais. Ayant déjà travaillé, j’avais une maturité que l’on a rarement en sortant du bac. Lors des moments difficiles, comme la formation théorique, je pouvais plus facilement m’accrocher. Jour pour jour deux ans plus tard, le 13 mars 2020, j’ai été diplômé. En pleine pandémie. Et là, ça a été la catastrophe : non seulement personne ne recrutait mais des pilotes avec de longues heures de vol derrière eux se retrouvaient au chômage. Quant à moi, je sortais tout juste d’école… J’ai très vite compris qu’il fallait que je fasse le deuil de ma casquette de pilote pendant un moment…

Ca a été la catastrophe : non seulement personne ne recrutait mais des pilotes avec de longues heures de vol derrière eux se retrouvaient au chômage.

Je me suis alors dit que j’allais miser sur ma double formation : me faire embaucher au service marketing d’une compagnie aérienne, et le jour où ils auraient besoin de pilote, je serais là. J’ai envoyé des candidatures spontanées jusqu’à ce jour de fin mai où, sur LinkedIn, je tombe sur une offre de commercial chez Valjet, une société de jet privé, avec possibilité de devenir pilote. C’était tombé du ciel. J’ai passé toute une matinée sur ma candidature et le recruteur m’a appelé une demi-heure après avoir reçu mon CV.

Ensuite, tout est allé très vite. J’ai été embauché début juin et je suis parti à Dubaï fin juillet pour passer ma licence sur le Hawker 800XP que je devais piloter. Tout le monde perdait son travail et moi j’étais en train de passer une formation à l’étranger. C’était surréaliste.

Aujourd’hui, je viens juste de recevoir ma licence, je vais très bientôt voler. En attendant, je continue mon activité de commercial et tous les matins je suis content d’aller travailler. Je sais que je suis à ma place. Aujourd’hui, l’évolution du secteur m’inquiète avec les fermetures de frontières, et autres restrictions pour raisons sanitaires. Je suis conscient de la chance que j’ai eu de trouver du travail malgré le contexte. Mais je ne regrette pas de ne pas m’être lancé plus tôt. J’ai fait cette reconversion quand j’étais assez mature pour la faire. C’est drôle, mes anciens collègues m’ont beaucoup dit que devenir pilote était une décision courageuse. Je ne crois pas que c’était courageux, c’était presque un besoin. Il n’y a pas de courage à quitter quelque chose qu’on n’aime pas, si c’est pour aller dans une voie qui nous rendra heureux.

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Photo d’illustration by WTTJ

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