Le mobbing, quand on devient le souffre-douleur au travail

09 mar 2020

8 min

Le mobbing, quand on devient le souffre-douleur au travail
autor
Elsa Andron

Psychologue du travail et psychologue clinicienne

Un nouveau mot commence à voir le jour, notamment en entreprise : le mobbing. Du verbe anglais “to mob” qui signifie “attaquer” ou “assiéger”, ce nouveau mot couvre une réalité à laquelle de nombreuses personnes sont malheureusement confrontées dans leur vie professionnelle : le harcèlement moral ou psychologique.

Le mobbing renvoie en effet à des comportements nuisibles voire violents d’une ou de plusieurs personnes, dirigés directement ou indirectement, et ce de façon volontaire contre un individu, faisant de lui une véritable cible systématique. Dans le langage courant, on dirait qu’il est “pris en grippe” ou qu’il est “la tête de turc”… Quelles sont les conséquences du mobbing sur la personne qui le subit ? Est-ce une forme de harcèlement ? Quelles sont les issues possibles pour les victimes ?

Le mobbing, qu’est-ce que c’est ?

Difficile à ce jour de trouver une définition claire et unanime du mobbing car le “harcèlement” est un mot recouvrant plusieurs réalités qui se distinguent toutes. La notion de “mobbing” est apparue la première fois en 1996 sous la plume de Heinz Leymann, docteur en psychologie du travail d’origine germano-suédoise, qui le définit comme une forme de harcèlement moral spécifique au lieu de travail. Dans ses travaux, il met en évidence différents comportements constitutifs selon-lui du mobbing. Ainsi, le mobbing n’est pas de l’ordre du conflit interpersonnel ou de la divergence d’opinions mais bien une forme systématisée de harcèlement. Pris indépendamment les uns des autres, les comportements décrits peuvent paraître anodins, mais ils constituent une véritable menace pour le bien-être psychologique voire somatique de la victime lorsqu’ils sont répétés sur une longue période de temps (au moins six mois).

En France, c’est le livre Le Harcèlement Moral de Marie-France Hirigoyen, médecin psychiatre, publié en 1998, qui mettra le phénomène en lumière. Dans son ouvrage, elle démontre les mêmes types de comportements nuisibles qui constituent selon elle le harcèlement moral. Mais demeure une bataille pour définir le phénomène ; pour d’autres sources en effet, le mobbing se caractérise par l’aspect groupé des agressions.

Mélissa, 26 ans, a elle-même été prise en grippe par sa supérieure. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Elle explique : « Au début, ma manager me complimentait beaucoup sur mon travail mais une de mes collègues “prenait très cher”. Ma boss se moquait d’elle, elle lui mettait une pression de dingue, elle reprenait tout son travail et supprimait ses congés. Elle en arrivait à lui dire des choses comme « je ne vois pas pourquoi tu mériterais un week-end de quatre jours alors que moi je n’en ai pas ». Ma collègue a alors mis fin à sa période d’essai car elle n’en pouvait plus et c’est là que j’ai pris davantage de responsabilités. Pendant un an on vit une sorte de lune de miel car je travaille sur les deux postes, le mien et celui laissé vacant par ma collègue. Ça se passe toujours aussi bien avec ma supérieure et elle m’implique même dans le recrutement de la personne qui s’apprête à remplacer ma collègue. C’est à l’arrivée de cette nouvelle personne que le vent a tourné et que ma manager m’a prise pour cible… »

Quatre formes d’actes qui constituent le mobbing selon Heinz Leymann

Pour Leymann, le mobbing se définirait par quatre formes d’actes :

Les atteintes à la bonne communication

Via des comportements mesquins voire agressifs, le harceleur porte atteinte à la possibilité de communiquer de la victime mais coupe aussi celle-ci de la communication de groupe. Cela peut passer par le fait de ne plus lui dire bonjour, d’empêcher la personne de s’exprimer en lui coupant la parole de façon systématique, de crier sur elle ou encore de faire de la rétention d’information qui pourrait nuire à la victime comme ne pas prévenir d’un changement dans l’organisation d’une réunion par exemple. La supérieure de Mélissa a été jusqu’à dire à un prestataire devant Mélissa et sa collègue : « Mes filles ne diront bonjour que si je les y autorise car je suis la chef ».

Atteintes aux relations sociales et à la réputation

Les agissements répétés et systématiques ont pour objectif de nuire à la réputation de la personne attaquée, à l’exclure ou à l’isoler du groupe. L’agresseur va par exemple : refuser tout contact avec la personne, l’ignorer, l’exclure de moment d’équipe comme les déjeuners ou afterwork, l’humilier publiquement sous couvert de blague, propager des rumeurs à son égard ou encore faire des remarques blessantes ou insultantes.

Comme en témoigne Mélissa : « Ma manager a commencé par me faire des blagues racistes sur mes origines et sur mon poids. Les remarques grossophobes ont commencé sur mes seins, puis elle me faisait tout le temps des réflexions sur mon poids. Puis c’est parti très loin : elle me disait que je me vexais pour rien et elle ne cessait pas de me faire des remarques sur mon mauvais caractère et mon manque d’humour. Lorsque je lui ai demandé d’arrêter, elle m’a dit : “À partir de maintenant, je vais faire de toi une personne meilleure.” Le lendemain, elle est arrivée avec ce qu’elle a appelé “un bocal à tares”, et m’a alors dit : “dorénavant à chaque fois que tu te vexeras, tu devras mettre de l’argent dans le pot. » Mélissa, s’opposera d’abord à une telle pratique mais sous la pression de sa supérieure et de ses collègues spectateurs, elle finira par accepter et mettra régulièrement de l’argent dans ce pot.

Atteintes à la qualité de vie et à la situation professionnelle

Ces atteintes visent à attaquer la personne dans sa confiance en elle au travail, à remettre en question ses capacités et compétences. L’agresseur va par exemple lui demander d’exécuter des tâches absurdes qui ne sont pas de son ressort, formuler des critiques sans arguments valables sur la qualité de son travail, l’éloigner des tâches importantes et stratégiques.

« Ma boss s’est ensuite mise à me reprendre sur le fait que je disais mal bonjour et que je faisais mal mon travail. Mais quand je lui demandais ce qui n’allait pas dans celui-ci, je me rendais bien compte qu’elle n’était pas capable de me donner des arguments et des pistes pour m’améliorer. Puis un matin, elle est arrivée en me disant que nous avions une grosse urgence. Je me suis donc installée à côté d’elle à son poste de travail pour que nous puissions en discuter. C’est là qu’elle m’a montré un mail qui nous avait été envoyé la veille. Rien de particulier, je l’avais déjà lu et j’allais y répondre avant son arrivée. Ma boss, m’a alors dit qu’elle allait me dicter la réponse à envoyer. Elle s’est alors mise à me dicter mot à mot le mail que je devais rédiger, comme si j’étais une enfant et que je n’en étais pas capable seule. Elle a même rajouté à la fin : “ça va tu vas réussir à gérer ?” »

Atteintes à la santé

Il s’agit de menaces sur la vie ou de violences physiques.

Tous ces comportements hostiles sont alors répétés et peuvent varier d’un jour à l’autre. Il n’est pas rare que dans un premier temps la victime ne puisse discerner une intention négative dans le comportement de l’agresseur. La prise de conscience venir après coup…

Harcèlement moral et mobbing : quelles conséquences pour la victime ?

Les conséquences du harcèlement moral ou du mobbing peuvent être graves pour la victime. Et pour cause. Ces comportements constituent des attaques qui viennent atteindre la personne visée dans son intégrité personnelle, son estime d’elle même, sa confiance en elle et sa dignité.

La victime se sent alors seule et se remet constamment en question. Elle se retrouve ainsi en position d’infériorité et son sentiment de honte peut-être si fort qu’il l’empêche de demander de l’aide.

Mélissa nous dira : « Au début je n’en parlais à personne parce que je pensais que ce que je vivais était normal et surtout que c’était moi le souci, que le problème venait de moi. Et un jour, j’ai explosé et ma psy avec qui j’avais débuté une thérapie sans rapport avec ce qui se passait au travail, elle m’a alors dit, “si vous écriviez tout ce que vous vivez à un inspecteur du travail, vous pensez qu’il vous dirait quoi ?” Cette intervention m’a ouvert les yeux sur ce que je vivais et m’a permis de poser des mots dessus : j’étais manipulée. J’avais fini par croire à tout ce ma boss me disait au quotidien. »

Comme nous le voyons avec le témoignage de Mélissa, il n’est pas toujours facile de prendre conscience des comportements nuisibles, constitutifs du harcèlement. Il peut être très difficile de les admettre mais aussi d’agir. Si vous êtes victime, des outils et recours sont possibles.

Je pense être victime de harcèlement ou de mobbing : que faire ?

Il est bon de rappeler que toutes les entreprises doivent protéger la santé physique et psychique de chaque salarié. Il est ainsi de leur ressort de veiller à ce que les agissements constitutifs de harcèlement ne perdurent pas sans conséquence pour l’agresseur. Si vous êtes victime de harcèlement au travail quel qu’il soit, vous êtes donc protégé par la loi, que vous soyez salarié, stagiaire ou apprenti.

Si vous pensez être victime de harcèlement moral, ne restez surtout pas seul face aux agissements que vous subissez. Il est important que vous puissiez en parler avec un professionnel ou une personne de confiance. Cela vous permettra de prendre conscience du fait que ces agissements ne sont pas normaux ou justifiés. Avant d’intenter une action en justice, il vous faudra commencer à monter un dossier permettant de prouver les actes de votre ou vos harceleurs. Gardez toute trace écrite qui permettront de démontrer les agissements nuisibles que vous subissez, mais aussi d’argumenter et de prouver la situation de harcèlement, en justice mais aussi auprès de vos responsables RH. Vous pouvez également vous tourner vers vos collègues qui ont déjà assisté à certains échanges et comportements déplacés, ils peuvent potentiellement témoigner en votre faveur et appuyer vos arguments.

Des personnes et services peuvent vous venir en aide :

  • Votre supérieur si ce n’est pas celui-ci qui agit en harceleur
  • Votre responsable des ressources humaines. Il peut vous aider à trouver des solutions, à organiser une médiation ou encore à prendre des mesures contre votre harceleur
  • Vos responsables du personnels
  • Votre médecin du travail
  • Un juriste spécialisé en droit du travail. Certaines associations telles que France Victimes, proposent d’accompagner les victimes de harcèlement via une ligne d’écoute mais aussi un accompagnement pluridisciplinaire constitué de juriste spécialisés, de psychologues et de travailleurs sociaux
  • Un.e psychologue ou un.e psychothérapeute.

Pour Mélissa, mettre des mots sur ce qu’elle vivait, a provoqué une soudaine prise de conscience qui a rendu l’ambiance de travail infernale pour elle. Un jour, sans comprendre ce qui se passe, elle explose puis rentre précipitamment chez elle. À son retour, elle avertit ses RH. « Rien ne s’est passé et ma responsable a toujours le même fonctionnement. Alors certes elle me parle moins, mais, il n’y a eu aucune conséquence pour elle. » Elle ajoute : « J’ai peur de l’après. J’ai peur que ma boîte ait un meilleur avocat, j’ai peur de ne pas avoir le courage de tenir tout le long de la procédure. J’ai tellement peur. Ça fait deux ans que je vis ça mais, je sais que ça pourrait être encore pire. » Mélissa vit donc dans la peur et pense sérieusement aujourd’hui à quitter son entreprise. Aucune procédure judiciaire n’a, à ce jour été lancée.

En dernier recours, les salariés victimes peuvent intenter une action en justice auprès du conseil des Prud’hommes pour faire cesser ces agissements et demander réparation du préjudice subi. Le salarié doit alors présenter des éléments laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Ces procédures sont malheureusement longues et éprouvantes pour les victimes, mais peuvent être nécessaire pour la victime, car une condamnation permet la reconnaissance des faits par la justice.

Il est bon de savoir que « les mêmes dispositions sont applicables aux candidats à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise. Selon la loi, est victime de harcèlement moral toute personne ayant fait l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. » (Source : travail-emploi.gouv.fr)

Si vous souffrez de harcèlement moral ou de mobbing sur votre lieu de travail, ne restez pas seul. Il est important de pouvoir réaliser que ce que vous vivez n’est ni normal, ni de votre fait. Parlez-en autour de vous et n’hésitez pas à solliciter vos proches et des professionnels pour vous aider dans cette période difficile.

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Photo d’illustration by WTTJ

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