Flaneurz, rêve sur roulettes

19 may 2017

4 min

Flaneurz, rêve sur roulettes
autor
Clémence Lesacq Gosset

Editorial Manager - Modern Work @ Welcome to the Jungle

Duo atypique, Arnaud Darut-Giard et Florian Gravier réalisent depuis juin 2016 le songe un peu fou de commercialiser des patins à roulettes détachables.

C’est presque un vieux rêve usé. Une idée que tous ceux qui ont, ne serait-ce qu’une fois, enfilé des rollers, ont forcément eue. La vision de notre paire de baskets préférée, montée sur roulettes. Clic on grimpe et on glisse ; clic on en descend et on marche. On saute. On court. Sans entrave ni coupure. Le genre de fantasme enfantin qu’on a tous finalement rangé dans l’armoire avec nos vieux patins. Tous, sauf Arnaud Darut-Giard et Florian Gravier. Depuis 2013, les deux adultes jouent au Petit prince de Saint-Exupéry. Après trois ans de R&D et un impressionnant crowdfunding en mai 2015 (près de 100 000 euros récoltés quand ils en attendaient 30 000, un objectif initial atteint en 8h seulement), les cofondateurs de Flaneurz ont inauguré leur e-shop en juin 2016. Depuis, leur système On Wheelz (pour l’instant disponible sur quatre paires Adidas et Nike) a séduit plus de 600 clients dans une trentaine de pays.

Pépinière d’entreprises de La Courneuve, début janvier. Arnaud, le benjamin du binôme, nous emmène dans l’espace alloué à son équipe. Le regard s’attarde sur l’atelier, avant de découvrir la Clique » de cinq convaincus. La haute silhouette de Florian vient saluer. Face aux deux trentenaires, un coup d’oeil et les différences sont évidentes. La complémentarité naturelle. Pull zippé - chemise sage chez Arnaud ; blazer sans manche décalé pour Florian. Mâchoire carrée contre visage allongé. Le cartésien aux côtés du créatif. Les deux font la paire.

Pr**ofessionnaliser le fun**

Le Il était une fois… Flaneurz _s’écrit le 19 février 2013, à la Junior entreprise (JE) de l’ENSAM (École Supérieure des Arts et Métiers). Hissé sur des quads fait-maison (_« Tu perces quatre trous dans la semelle d’une chaussure, tu mets des vis avec des rondelles sur la partie roulante et voilà poum, en une heure et demi c’est fait. »), Florian présente au Directeur de l’atelier le projet de toute une vie : des patins à quatre roues détachables. Et pas n’importe lesquels. De belles baskets ciglées, capables de devenir, en un mouvement, objets roulants._ _« _L’équipe va encore me charrier, mais tant pis, je le répète : c’était vraiment un rêve de gamin. _» À la JE, le quadeur passionné, baroudeur invétéré, vient trouver des ingénieurs pour « mettre du concret dans son rêve ». L’oreille d’Arnaud, étudiant en dernière année, accroche au récit. «_Je me suis dit : ce projet est trop drôle. C’est du pur fun. Il faut que je travaille avec ce mec. _»

« _L__’équipe va encore me charrier, mais tant pis, je le répète : c’était vraiment un rêve de gamin. _»

Avant l’amitié, c’est un contrat de création qui liera Arnaud et Florian (ça, et un vouvoiement qui durera des mois !). Un premier prototype platine-basket sort à l’été 2013. Le pro du roller tente d’embarquer le diplômé comme associé. Hésitations. « _Je ne voulais pas créer mon entreprise à la sortie de l’école. Et puis, même si c’était l’éclate de bosser sur des patins détachables, je n’étais pas sûr que ça pouvait être viable. _» Attiré par le luxe, Arnaud assure un remplacement de sept mois chez Guerlain, tout en travaillant le week-end avec Florian. Il faudra qu’Yves-Saint Laurent sortent ses premiers Roller Quad pour que l’amoureux des beaux objets décide de s’investir à temps-plein aux côtés de Florian. Décembre 2014 : Flaneurz naît officiellement, soutenu par deux autres associés, David Brun et Walid Nouh.

Amédéo ABELLO ©

Complémentaires

Dans une salle aux murs plus blancs que blancs, Arnaud, 30 ans, revient sur les années pré-Flaneurz. L’enfance se déroule non loin de Saint-Germain. Père Ingénieur, mère Professeure de dessin, il grandit au milieu des crayons, des feutres et feuilles blanches, et se rêve Designer. Adolescent, l’atterrissage en filière pro est un peu forcé mais colle finalement à son besoin de concret. Travailleur, Arnaud parviendra à intégrer l’école d’Ingénieurs de son choix : l’ENSAM.

Côté Florian, autant de surprises. L’homme cumule Master en conception culturelle et CAP cuisine, a bourlingué aux quatre coins du monde en assurant des petits boulots dans des hôtels et restau. « _Ça m’a appris la rigueur, mais la hiérarchie ce n’était pas fait pour moi. En fait, j’ai toujours su que je voulais devenir mon propre patron. _» Il fallait juste que le rêveur rencontre un esprit logicien… « _Avec Arnaud on est vraiment complémentaire : on ne sait pas faire la même chose lui et moi. Il apporte une rigueur, c’est le gestionnaire qui s’assure que tout se passe bien à l’intérieur de l’entreprise : c’est pour ça qu’il est le DG ! Moi, je suis Président : comme c’est moi le patineur et que je communique mieux à l’oral, je représente un peu plus Flaneurz à l’extérieur. _»

« Avec Arnaud on est vraiment complémentaire : on ne sait pas faire la même chose lui et moi. »

De leur dichotomie, une qualité commune s’impose, celle des débrouillards issus des chemins de traverse, des touche-à-tout agiles de leurs mains : une incroyable capacité à apprendre. Et à se remettre en cause. S’ils avaient du temps pour eux, une même réaction : prendre un billet pour un pays lointain. Pas pour écumer les musées poussiéreux ou contempler les paysages, mais pour rencontrer des gens, découvrir la culture locale. Florian : « _C’est quelque chose que j’ai toujours fait grâce à la banlieue : je faisais Shabat, le Nouvel an chinois, Ramadan, toutes les fêtes, tout le temps. _»

Street et bitume

En s’installant à La Courneuve fin 2014, les Lauréats national « Talents des Cités » 2016 Catégorie Création tentent de rendre au bitume tout ce qu’il leur a donné. Florian a grandi à Villiers-le-Bel, Arnaud a passé son bac entre les tours de Saint-Germain-en-Laye. Vers sept ans, tous deux ont chaussé leurs premiers patins pour suivre les frères et sœurs ; ados, tous deux se sont usés les genoux en pratiquant le roller agressif. Florian, lui, n’a juste jamais quitté les rampes. Il s’est même mis à la danse. Aujourd’hui, il est un accro reconnu de la pratique et s’affiche jusque dans le RER avec ses produits. « Normalement, je devrais ôter la partie roulante dans les transports. Mais je suis l’homme sandwich de la marque : les gens m’arrêtent pour me demander d’où viennent mes patins ! Si je ne les porte pas, personne ne saura qu’ils sont magiques… » Un contrôle dans le wagon ? Clic, le voilà en règle.

« _Les gens m’arrêtent pour me demander d’où viennent mes patins ! Si je ne les porte pas, personne ne saura qu’ils sont magiques… _»

_Leur culture street a fait d’eux des fans de baskets. Désormais, ils les subliment. « _On est les rois de la transformation de la chaussure. Aujourd’hui c’est les baskets et les patins à roulettes, mais il y a d’autres transformations possibles… On a développé un savoir-faire unique, avec l’Institut de podologie notamment, et il faut l’exploiter sur de futurs marchés. Flaneurz, c’est une fabrique à rêves. _» La boîte dans dix ans ? On a résumé : voyages pour le biz’, chaussures et fun. Surtout du fun. _« Gérer une boîte, bien sûr que c’est énormément de boulot et de fatigue. Mais clairement, le but est de continuer à s’amuser. »

Amédéo ABELLO ©

“Flaneurz, c’est une fabrique à rêves…”

Flaneurz, rêve sur roulettes