Rebecca Amsellem : les inégalités salariales mises à mâle

03 nov 2020

6 min

Rebecca Amsellem  : les inégalités salariales mises à mâle
autores
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Cécile Fournier

Journaliste indépendante

Rien ne prédisposait Rebecca Amsellem, Docteure en Economie et qui enfant se rêvait conservatrice de musée, à devenir l’une des porte-paroles de la cause féministe en France. Pourtant, depuis 5 ans, au travers sa société Gloria Media et les actions qu’elle mène, celle qui est à l’origine de la newsletter Les Glorieuses s’est imposée dans les médias et auprès des décideurs. Le hashtag #4Novembre16h16, qui dénonce les inégalités de salaire, c’est elle. Et pour demain, elle se bat pour que les femmes soient prises en compte dans le plan de relance du gouvernement. Portrait d’une douce combattante.

« Désolée, je suis en retard ! » C’est une Rebecca Amsellem mouillée par le crachin parisien, qui déboule, deux petites minutes après l’heure convenue, dans les bureaux de Welcome to the Jungle. Masque chirurgical et bonnet de circonstance obligent, ne ressortent que ses immenses yeux bleus. Le temps pour l’activiste féministe d’enlever sa doudoune et de s’installer à l’une des grandes tables de la cafétéria déserte… « C’est bon, je suis prête », indique-t-elle d’une voix douce et posée, tout en retirant l’élastique de ses cheveux, lissant au passage quelques mèches rebelles. «Je n’ai qu’une demi-heure. C’est bon pour vous ? », interroge-t-elle en regardant son portable, visiblement ennuyée par son manque de disponibilité, « j’ai un autre rendez-vous après ».

#4Novembre16h16

Normal que la jeune femme à l’initiative du mouvement pour l’égalité salariale soit par monts et par vaux. Depuis 2016, au travers de sa newsletter Les Glorieuses, elle met en avant la date symbolique où les femmes commencent à travailler bénévolement, du fait des inégalités de salaires. Et cette date approche à grands pas. Cette année, c’est le 4 novembre, à 16h16. « À cette occasion », explique la docteure en Sciences Économiques « nous avons décidé de faire cinq propositions au gouvernement pour que le plan de relance intègre la question du genre ». Parmi elles : valoriser les salaires des métiers où les femmes sont les plus nombreuses comme les métiers du soin, et intégrer les femmes aux décisions liées au plan de relance. Ainsi, au-delà de simples médias qui traitent de questions féministes – Les Glorieuses, qui compte 150 000 abonnés, n’est qu’une newsletter parmi les quatre éditées par Gloria Média, la société fondée par Rebecca - il s’agit d’un véritable mouvement. « L’objectif n’est pas pour autant de devenir un parti », insiste la franco-canadienne, qui, gamine, se voyait pourtant bien présidente de la République, « on veut faire évoluer la société, en une société profondément égalitaire, anti-raciste, écologique, respectant chaque individu ». Dans sa besace de combattante : actions médiatiques et hashtag viral, comme le fameux #4Novembre16h16, qui change chaque année.

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À 32 ans, Rebecca Amsellem n’est plus la petite fille qui exposait ses poupées dans sa chambre pour jouer à la conservatrice de musée, ni même l’étudiante qui se disait rebutée à l’idée de monter une boîte. La voilà entrepreneuse dans les médias. Quant à sa fibre féministe, celle-ci prend ses racines dans un terreau familial. Elle grandit dans un milieu privilégié du 9ème arrondissement de la capitale, avec un père juif sépharade et une mère canadienne, protestante. « On ne parlait pas de féminisme à la maison », admet-elle « mais ma famille était structurée par des femmes très fortes ». C’est dans la cuisine de sa grand-mère, pendant les fêtes, que la fillette découvre la sororité. « Les hommes partis à la synagogue, nous, les femmes, nous restions à la cuisine à parler de nos rapports aux hommes, de nos règles, de nos aspirations ». Non contente de découvrir cette espace de liberté, elle constate pour la première fois l’inégalité de traitement entre les genres, avec ces hommes, totalement étrangers aux lois des fourneaux. En CE2, une nouvelle injustice suscite sa timide indignation. La discrète et bonne élève, peu encline à faire des vagues, ose interroger la maîtresse sur la justification de cette règle grammaticale, qui veut que le masculin l’emporte sur le féminin. Un « c’est comme ça » lancé par l’adulte satisfera alors la fillette. Mais déjà se dessine l’activiste. « Il y a une phrase qui nous résume bien toutes les deux », sourit Eva Jaureda, son amie d’enfance. « Ne prend pas un « non » pour une réponse. On a toutes les deux tendance à questionner le pourquoi d’une chose qui nous est imposée. » Vingt ans après, Rebecca pointe du doigt toutes les représentations, les dogmes, jamais remis en question qui desservent les femmes : « Avant de faire un combat politique, économique ou social, il faut qu’on fasse le combat de l’imaginaire. La grammaire, éditée par l’Académie Française forge notre imaginaire et, force les petites filles à croire qu’elles sont moins importantes que les petits garçons. »

Ado puis jeune femme, Rebecca Amsellem affine sa réflexion féministe grâce à ses lectures, notamment les livres d’Audrey Lorde ou les journaux intimes d’Anaïs Nin. Après un BAC S, une prépa Sciences Po à Paris et Science Po Toulouse en économie internationale, elle a 27 ans en 2015 quand elle s’attaque à l’écriture de sa thèse. Le sujet ? « Les stratégies d’internationalisation des musées et l’impact sur leur modèle économique ». Ses aspirations d’enfant de conservateur de musée ne semblent pas si loin. Mais, comme si le travail colossal que représente une thèse, associé à un CDI dans un laboratoire d’études sur la culture et l’économie, ne suffisaient pas à rassasier l’insatiable bosseuse, poussée par son amie engagée Hannah Berkouk (la Directrice générale de Hello Asso, ndlr), elle imagine sa newsletter. « J’étais frustrée qu’en France, le féminisme soit souvent résumée à une bande de femmes qui brûleraient leur soutien-gorge ! » L’espoir : amener un autre style, inspiré de ses lectures d’articles nord-américains. « Les Glorieuses m’ont fait un bien fou », admet-elle. « J’avais besoin d’un exercice d’écriture différent de celui de la thèse, pour garder un équilibre et un lien avec l’extérieur, moi qui passais mes journées en bibliothèque. » D’idées et de pensées jetées sur la Toile à un véritable vecteur des causes féministes, il n’y a qu’un pas, ou plutôt qu’un an. Impulsée par une conseillère Pôle Emploi, lectrice de la première heure, elle décide de créer sa société. En cause, sans doute le gène entrepreneurial légué par sa maman, elle-même à la tête d’un média sur les spiritueux… En 2016, Rebecca Amsellem lance le mouvement pour l’égalité salariale, dans l’onde de proue des femmes islandaises - le 24 octobre 2016, elles avaient cessé de travailler à 13H48 pour manifester. Une injustice qu’elle avoue n’avoir jamais connue elle-même, ni au labo, ni à Science Po ou dans l’école de commerce où elle a enseigné un temps.

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Entre leadership et inspirations, un temps pour tout

Malgré sa médiatisation et ses régulières montées au front, comme en 2017 à l’Assemblée Nationale pour réclamer la légalisation des travailleurs du sexe, Rebecca Amselem fait tout pour disparaitre derrière les causes qu’elle défend. Et elles sont nombreuses : lutte contre la précarité mensuelle, pour la transparence des salaires, pour une durée équivalente du congé paternité et du congé maternité, pour une plus grande place des femmes dans le secteur du numérique… « Elle n’a pas un égo-surdimensionné, seul le projet est au cœur de ses préoccupations », atteste Caroline Prak directrice des opérations des Glorieuses. En interne, on retrouve cette bienveillance et ce respect qui la caractérise. « Elle n’a pas de leadership écrasant », analyse l’ancienne chargée de com’ à l’Oxfam, embauchée en avril dernier, « nous évoluons dans un environnement sécure. Si ça ne va pas bien, on se remonte le moral. » Ainsi chez Gloria Media, la bienveillance est de rigueur, le vendredi on ne parle pas de sujets épineux pour ne pas gâcher le week-end, week-ends systématiquement chômés tout comme les soirées. Chose rare dans une start-up en plein essor qui espère grossir ses rangs - composés de deux salariés, de journalistes pigistes - et qui lance, d’ici la fin de l’année, une cinquième newsletter, Impact, axée sur la manière dont les politiques menées à l’International affectent la vie des femmes.

Malgré ce programme chargé, Rebecca Amsellem l’assure : elle veille à s’octroyer du temps « pour aller visiter une expo parisienne en pleine journée », ou pour ce qu’elle appelle tout simplement « un vide ». « Le mardi est exclusivement consacré à la lecture et l’écriture », détaille-t-elle. « J’ai besoin de ces moments pour pousser ma réflexion. Le dimanche, je fais le bilan des rendez-vous de la semaine, et j’en annule la moitié, ceux qui peuvent attendre. » Et elle n’oublie pas aussi ses amis, parmi lesquelles la nouvelle génération de féministes, Lauren Bastide ou encore Charlotte Pudlowski, créatrice de podcasts et fondatrice de Louie Média. « Quand c’est possible, elle organise de grands dîners », confie Eva, « peu importe à l’heure à laquelle vous arrivez, il y aura toujours quelque chose à manger. Elle aime mélanger des gens d’horizons différents. » Le sien, Rebecca ne le distingue pas encore nettement : « Je n’ai pas une vision à cinq ans ou dix ans. Tout ce que je sais, c’est que toute ma vie je continuerai à me battre pour le droit des femmes. »

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Photo by Thomas Decamps for WTTJ

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