Imane Bounouh, la « ministre des 18m2 » qui lutte contre la précarité étudiante

21 abr 2021

8 min

Imane Bounouh, la « ministre des 18m2 » qui lutte contre la précarité étudiante
autores
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Hélène Pillon

Journaliste freelance.

Quand elle était petite, Imane Bounouh voulait être astronaute. Finalement, elle est « redescendue sur Terre pour faire de la communication » et a transformé ses réseaux sociaux en outils d’ascension sociale collective. Après avoir partagé des conseils culinaires pour boursiers en galère sur Instagram et créé un groupe d’entraide Facebook pour ses abonnés, l’apprentie de 22 ans a lancé le compte Instagram Grimpe afin d’aider les jeunes à gravir les sommets des études supérieures.

Mars 2020, la France est plongée dans la stupeur du premier confinement. Pour les étudiants, la possibilité de cours en présentiel s’éloigne un peu plus, et le risque de perdre son job alimentaire se précise. Les 175 000 résidents des cités U du territoire voient se profiler à l’horizon un quotidien incertain contenu dans l’espace restreint de leur chambre universitaire. Alors, peu de temps après les annonces d’Emmanuel Macron, une ministre d’un nouveau genre prend la parole pour rassurer la génération Z. L’instagrameuse Imane Bounouh à la tête de l’autoproclamé « Ministère des 18m2 » en référence à la taille de son studio Crous, s’adresse ainsi à ses 100 000 abonnés : « Ne vous inquiétez pas, vous n’êtes pas tous seuls, je suis là pour vous accompagner. »

Posts de secours

Tandis que le pays traverse son troisième confinement, depuis son logement étudiant de Bobigny, la sarthoise de 22 ans se souvient de cette « prise de fonction » : « C’était le début, personne ne comprenait trop ce qui allait se passer. On ne voyait pas encore les longues files d’attente devant les points de distribution alimentaire, mais je me doutais que les gens qui me suivaient - boursiers, pour la plupart - allaient être particulièrement touchés. » Alors Imane tient sa promesse d’assistance à jeune en danger. Au fil des posts et stories, elle épaule sa communauté estudiantine et diffuse les infos qui pourraient lui être utiles : des aides sociales et publiques, aux différentes actions de soutien mises en place dans les écoles et les institutions.

Si la pandémie a accru les souffrances des plus précaires, Imane n’a pas attendu 2020, pour comprendre qu’il est parfois dur d’avoir 20 ans. « On parle beaucoup de la jeunesse en ce moment, la crise sanitaire a mis un coup de pied dans la fourmilière. Les gens se sont rendus compte que des étudiants vivaient dans des conditions intenables, des conditions qui sont une honte pour nous tous », explique la jeune femme dont les comptes Instagram et Facebook sont truffés de commentaires de jeunes en galère. Simple reflet numérique d’une France où 12,6% des 18-29 ans vivent sous le seuil de pauvreté.

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C’est aussi à l’université qu’Imane originaire de Vauguyon, un « quartier populaire classique » du Mans, a fait l’expérience de cette précarité. Quatre ans et demi plus tôt, sur un quai de gare, la voix trop pleine de sanglots, elle disait au revoir à ses parents dont les yeux débordaient également, mais de fierté. Direction Paris, ou plutôt Bobigny faute de logement accessible sur la capitale. « C’était super pour moi… C’est comme le Mans, ce n’est pas trop grand et il y a tout ce qu’il me faut ici », précise celle qui vit toujours dans le 93. En licence de communication à la faculté de Saint-Denis, elle reçoit un enseignement « d’une qualité rare, avec des profs qui prennent le temps pour toi et une diversité de profils qui permet plein de rencontres passionnantes. » Mais sortie de son cocon familial, l’aînée d’une fratrie de deux doit aussi se « serrer la ceinture ». « J’ai dû travailler direct », se souvient celle qui a enchaîné un service civique pendant trois ans, du babysitting, plein de petits boulots dans la vente et quelques « périodes de flottement ». Avec les 550 euros de sa bourse, son budget hebdomadaire avoisine alors les 20 euros.

Le secret des pyramides

« Être étudiant en fait, c’est comme la pyramide de Maslow. D’abord, il faut répondre aux besoins primaires : manger et être en sécurité », analyse-t-elle à quelques mois de la fin de son master. C’est pour répondre au premier besoin qu’en septembre 2019, la future ministre des 18m2 prend sa première mesure : le lancement du compte Recettes échelon 7. Un nom qui fait référence à la dernière catégorie sur le barème de l’aide sociale estudiantine, celle avec le moins de ressources, à laquelle Imane appartient à ce moment-là. Pour se nourrir, la mancelle débrouillarde élabore des plats adaptés à son porte-monnaie et à l’équipement culinaire de base des résidences universitaires - des plaques de cuisson et un frigo - dont elle partage les secrets sur le réseau social. Sans four, mais avec le large sourire qui quitte rarement son visage, Imane explique ainsi en image comment faire une tartiflette, une pizza ou des lasagnes à la poêle. En quelques semaines, elle gagne des dizaines de milliers d’abonnés, boursiers en majorité.

Un succès qui la pousse à étoffer son programme « d’utilité publique ». Au bout de quelques mois, elle décide de s’attaquer à une autre des fondations de la pyramide des besoins : le logement. « Durant ma deuxième année à la fac, j’ai habité pendant trois mois dans une résidence très insalubre avec beaucoup de soucis de sécurité, de saleté, d’équipements… Et l’administration restait sourde à toutes nos plaintes. Comme le statut étudiant est très instable, mes voisins avaient peur de se faire virer s’ils râlaient, s’ils faisaient valoir leurs droits », se souvient-elle. Mais la jeune-femme « têtue » ne s’est pas laissé abattre par ce silence, elle a envoyé un mail « salé » au directeur et menacé d’alerter les médias avant d’être changée d’appartement. Pour éviter à d’autres de se retrouver dans ce type d’habitats et de procédures, elle a ensuite créé et mis en accès libre une « liste noire des résidences Crous ». Le fichier Excel, régulièrement alimenté par les internautes, compte désormais 511 noms de résidence classés par ordre alphabétique allant d’Aix-en-Provence à Villeurbanne, et des problèmes de cafards et punaises, à ceux de chauffage ou de vols.

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Ce précieux listing cohabite avec d’autres documents concernant la santé, la gestion du budget ou l’orientation dans un Drive accessible à tous. Car le déficit d’informations fait partie des discriminations indirectes que subissent les élèves de milieux populaires. « Quand je suis arrivée à la fac, je me suis retrouvée avec des gens qui avaient déjà passé un an à Londres, Montréal ou qui avaient fait des prépas… Moi, je n’avais jamais entendu parler d’Erasmus, de khâgne ou d’hypokhâgne, s’amuse-t-elle avant de reprendre plus sérieusement. En France, il existe pas mal de dispositifs, de structures pour aider les étudiants, mais souvent on ne le sait même pas. » Elle a donc compilé ces ressources de première nécessité dans cette « boîte à outils » virtuelle.

Aller plus haut

Aujourd’hui en Master 2 à la Sorbonne – « l’université qui faisait rêver ses parents » – et en alternance dans une société qui s’occupe de logements sociaux en Seine-Saint-Denis, Imane s’est extirpée de ses problématiques de survie. « Maintenant, j’ai des galères… Mais des galères d’adultes comme une voiture qui tombe en panne, remarque-t-elle en riant. J’arrive à la fin de ma scolarité et je n’ai fait que monter. Je partais de l’échelon 7, puis j’ai fait une alternance, une deuxième, jusqu’à gagner des prix… (Ndlr. prix de la personnalité la plus inspirante d’Instagram d’après Diversidays, et palmarès Vanity fair des 30 de moins de 30 ans qui vont changer la France). »

Pour que la pente leur semble moins raide, Imane a ouvert le 26 février 2021 un nouveau compte Instagram au nom explicite : « Grimpe » auquel elle consacre 2 heures par jour et parfois une soirée par semaine. Plus de recettes au menu, mais une formule qui regroupe à ses yeux tous les ingrédients nécessaires à « l’insertion dans le monde du travail, l’épanouissement personnel, culturel et professionnel ». Au milieu des posts de secours administratifs, se mêlent désormais des citations inspirantes, des recommandations de podcasts, des tableaux Excel pour bien gérer ses candidatures et même une master class en ligne, « L’Ascenseur », dont le premier épisode en compagnie d’une journaliste d’M6 était consacré aux entretiens, et dont le deuxième à venir portera sur la prise de parole en public avec l’expertise d’un stand-uppeur. Une transition validée par ses 126 000 abonnés et sa professeure de l’IAE de Paris 1, Géraldine Michel. « Nos apprentis sont très inquiets vis-à-vis des embauches, de leur premier emploi, ils ont besoin de soutien, de réseau », constate cette spécialiste du branding qui ne tarit pas d’éloges sur la créatrice de Grimpe.

« Imane ne passe pas inaperçue, je l’ai remarquée dès le premier cours, raconte Géraldine Michel. Physiquement, elle impose quelque chose, elle sait poser sa voix et puis elle est toujours pertinente et possède un véritable esprit critique. » Plus que son charisme, c’est son « courage » que retient Achraf Manar, en Master 2 Innovation et bénévole au sein de l’association Article 1 qui lutte contre l’inégalité des chances. Récemment, les deux jeunes gens se sont mobilisés pour Noor, une étudiante boursière et mère célibataire menacée d’exclusion de l’université de Paris 1 car dans l’incapacité de payer 1000 euros de frais de scolarité. En mettant à profit le réseau d’Imane, et l’expérience d’élu étudiant d’Achraf, ils ont lancé une campagne en ligne afin de faire plier l’administration. « Dans ce genre d’actions, il faut être offensif, interpeller les politiques… Donc il peut y avoir des retombées par la suite. De par mon engagement, je suis habitué à ça, explique le militant de 22 ans, mais pour Imane cet aspect était assez neuf, et elle a quand même fait passer la justice avant les potentielles conséquences pour elle, elle a envoyé des mails à l’administration, a dénoncé publiquement la situation… Elle y est allée direct ! » Et avec force puisqu’en 24h, ils ont récolté plus de 22 000 signatures en soutien à Noor.

Nous n’avons pas les bases

« Tous les étudiants devraient être dans une situation financière stable, affirme l’ancienne échelon 7 qui veut déculpabiliser les jeunes précaires. S’ils ne le sont pas, ce n’est pas de leur faute. Ça ne veut pas dire qu’ils sont moins bien que les autres, moins audacieux, c’est simplement qu’on n’a pas suffisamment investi en eux. » Imane comme Achraf reconnaissent que récemment « des petites décisions positives » ont été prises - les repas Crous à 1 euros, l’initiative 1 jeune 1 solution, etc. - mais ils assènent qu’il faudrait surtout « s’interroger sur les bases ». Presque à l’unisson les deux militants avancent plusieurs propositions : décaler les frais de scolarité comme on a gelé certaines cotisations, revaloriser les bourses, assurer des logements dignes… « Là, j’ai peur qu’on soit en train de passer à côté du problème », s’inquiète Imane tandis qu’à la chaîne, des études alertent sur la santé mentale des moins de 30 ans.

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Pour autant, elle refuse l’expression en vogue « de génération sacrifiée ». La communicante en devenir connaît l’importance du langage et remarque : « C’est trop passif. » Or sur le groupe Facebook du Ministère des 18m2, réactivité est le maître-mot. Un étudiant ou une étudiante en détresse fait part de sa situation sur le mur, qu’il s’agisse d’un problème d’APL, d’une rupture familiale, ou d’un petit coup de mou, des dizaines d’internautes lui apportent solutions et soutien dans les heures qui suivent. « Ce n’est pas ma réussite, c’est une réussite collective, analyse avec joie l’autodidacte conseillère en ascension professionnelle. Parfois, ce sont mes abonnées qui décident des sujets, ils me posent des questions, puis on ouvre des espaces de discussion. C’est la démocratie, on est comme un petit gouvernement. Si ça pouvait être comme ça dans la vie, je pense qu’on s’en sortirait bien… »

De manière générale, Imane regrette que « quelque chose se soit cassé entre les pouvoirs publics et les jeunes ». À l’avenir, elle aimerait travailler dans une institution. « Je voudrais faire en sorte qu’on y parle de façon intelligible aux gens de ma génération, qu’on les inclue davantage dans les processus de décision », explique celle qui a toujours une oreille réconfortante ou une phrase motivante pour l’un d’eux. « On est une belle jeunesse, solidaire, assure l’insta-grimpeuse sans l’ombre d’un doute avant de conclure : Mais est-ce qu’on est assez valorisés ? Est-ce qu’on nous fait assez confiance ? Ça, je ne sais pas. »

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