Crise de la trentaine, a-t-on raté sa vie si on n'a pas "réussi" à 30 ans ?

23 abr 2019

5 min

Crise de la trentaine, a-t-on raté sa vie si on n'a pas "réussi" à 30 ans ?
autor
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

Non mais allô, tu as 30 ans et tu n’as pas encore changé le monde ? Respire, il te reste encore (au moins) une vingtaine d’années pour acheter une Rolex et prouver ta réussite.

La trentaine est souvent l’heure du premier bilan professionnel… et des désillusions qu’il peut entraîner. C’est le moment de faire le point : « qu’ai-je accompli ? Suis-je où j’avais rêvé d’être ? Où me conduit ma carrière ? » Des questions naturelles qui peuvent malheureusement conduire à la fameuse “crise de la trentaine”, cette impression d’avoir raté sa vie professionnelle si on n’a pas encore obtenu un poste à responsabilité, créé une start-up à la croissance extraordinaire ou tout simplement changé le monde.

30 ans, l’âge de transition entre l’innocence et la sagesse

Vous vous sentez démotivé, avez l’impression d’avoir fait les mauvais choix ou évitez de parler de votre travail avec des personnes qui vous semblent avoir mieux réussi ? Pas de doute, vous êtes dans la crise professionnelle de la trentaine.

La crise de la trentaine n’est pas un phénomène nouveau. Une étude britannique publiée en 1996 montrait déjà les premiers signes de cette tendance : en interrogeant des milliers de salariés du Royaume-Uni, les chercheurs sont parvenus à dessiner une courbe de la satisfaction professionnelle. Celle-ci prendrait la forme d’un “U” : elle débute très haut dans les premières années, chute pour atteindre un creux entre la trentaine et la quarantaine, avant de remonter en fin de carrière.

Pour les jeunes diplômés, l’entrée dans la vie active apporte des sources de satisfaction rapides et diverses : être invité à son premier afterwork, faire fonctionner l’imprimante du premier coup, se voir confier l’animation d’une réunion ou, le Graal, être félicité par un manager pour ses jolies slides. Devenus trentenaires, les individus deviennent plus exigeants et ont une définition bien plus étroite du succès. « Ils pensent tous assez directement à la niche professionnelle qu’ils peuvent exploiter et au type de réussite qui les attend », explique G. Richard Shell dans son livre Springboard: Launching Your Personal Search for Success. Le bilan est difficile et parfois douloureux. Mais heureusement, le recul et l’expérience permettent aux cinquantenaires d’apporter une définition enfin plus nuancée et plus large : « les cadres supérieurs plus avancés dans leur parcours sont davantage attentifs à l’équilibre familial, la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle ou encore au type de mentorat qu’ils peuvent proposer à des plus jeunes, en les guidant dans leur carrière et en les aidant à faire des choix qui feront sens pour eux. » Mais alors, pourquoi est-on si dur avec soi-même à la trentaine ?

Les causes d’une crise trop courante

Les dangers de la comparaison

L’humain est une créature sociale et comme tous les mammifères, il a développé des hiérarchies, des échelles de pouvoir et des statuts sociaux. Il aime mesurer, évaluer, comparer sa position dans un groupe et beaucoup se soucient (trop) de ce que pensent les autres, jusqu’à se dévaloriser. « J’ai traîné après mes études. Aujourd’hui, je réalise que j’ai pris quelques années de retard par rapport à mes amis d’école qui ont commencé leur carrière dans des grands groupes dès leur stage de fin d’études. Aujourd’hui, j’essaie de les rattraper », se confie Romain, 32 ans, consultant dans le digital.

Le référentiel biaisé des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux exacerbent la comparaison, l’envie et le sentiment d’échec social. Les informations partagées peuvent conduire à définir des objectifs peu réalistes et difficiles à atteindre, de sorte que l’estime de soi diminue lorsque l’on constate qu’on ne les atteint pas. Aujourd’hui, qui étale ouvertement en ligne la réalité des mauvaises journées, les injustices ou la pression de son quotidien professionnel ? #Nofilter, pas vraiment.

Les success stories et l’asymétrie de l’information

Les histoires de grands entrepreneurs, businessmen¨et bienfaiteurs partis de rien et arrivés au sommet sont légions. Cette surmédiatisation des success stories passe sous silence les difficultés et les échecs que rencontreront la majorité des individus et tendent à faire croire qu’elles sont la norme. « J’ai longtemps regardé avec envie mes amis entrepreneurs, admiré leur capacité à s’investir à 100% dans leurs projets. Puis j’en ai vu certains faire face aux conséquences de cet investissement : ruptures, éloignement, burn-out, etc. J’ai compris que je préférais ma vie à moi, moins show-off mais plus paisible », raconte Sébastien, chargé de communication dans la santé.

Une question de culture et d’environnement familial

Les proches exercent une influence majeure sur notre proprenotion du succès. En grandissant, l’individu s’imprègne des attentes qui sont formulées pour lui par son entourage. « Je viens d’une famille très modeste. Pour mes parents, entrer à la fac représente déjà la réussite suprême, j’ai eu la chance de n’avoir aucune pression familiale et je vois la différence en termes de sérénité face à mes amis qui viennent de milieux plus aisés. Beaucoup se fixent des objectifs bien plus ambitieux que les miens. Mais au final, je pense être plus heureuse qu’eux », explique Charlotte, chef de projet dans la banque.

Le succès, c’est surfait : comment se déculpabiliser et relativiser ?

Il serait dommage de poursuivre les buts des autres plutôt que les siens. D’autant plus que plusieurs études, dont celles du psychologue Tim Kasser, montrent que la poursuite de sources de satisfactions comme l’argent, les possessions matérielles et le statut social conduisent à beaucoup de stress, des relations sociales moins authentiques et un moindre sentiment de bien-être. Pour être satisfait de sa vie professionnelle, quelques clés à garder en tête :

Faire preuve de discernement dans son appréciation des choses

Le moral au plus bas, il est facile de minimiser ses réussites et ne pas savoir les apprécier. S’il le faut, pourquoi ne pas se faire aider d’un proche pour dresser un bilan honnête de vos accomplissements ?

Cesser de se comparer

Cette impression de ne pas avoir réussi à un âge aussi précoce est directement liée à l’estime de soi. Dans leur article de recherche Cognitive-Behavior Therapy for Low Self-Esteem,” Freda McManus, Polly Waite et Roz Shafran expliquent que les approches traditionnelles qui consistent à booster sa confiance pour accomplir davantage sont vouées à l’échec pour une raison très simple : « peut-être que le problème n’est pas votre position sur la liste des gens à succès, mais la liste elle-même. » La clé de la confiance commence par cesser de se comparer aux autres. « Cultiver les sentiments bienveillants envers les autres repose l’esprit. Cela permet de supprimer les sentiments d’insécurité et la peur, et de donner la force d’avancer face aux obstacles. C’est la vraie source de succès dans la vie. »

Être moins dur avec soi-même

Dans un post Medium, Jamie Varon invite les collaborateurs à cesser d’être aussi durs avec eux-mêmes : « vous n’avez pas besoin de plus de motivation ou d’inspiration pour vous créer la vie que vous désirez. Vous avez simplement besoin d’arrêter d’écouter quand des personnes avec des vies et des parcours différents vous disent ou vous laissent penser que vous ne faites pas et n’êtes pas à la hauteur. »

La trentaine est donc le bon moment pour faire un état des lieux et mieux cibler ses propres objectifs, en cessant d’être influencé par ceux des autres. C’est un âge auquel la lucidité est meilleure et les possibilités encore nombreuses. Gardez en tête que toutes les réussites ne sont pas couvertes de paillettes. On note d’ailleurs une tendance croissante des jeunes générations à s’écarter de ce qui a longtemps été considéré comme l’unique modèle de réussite (poste à responsabilités, forte rémunération, etc.), au profit de carrières et d’objectifs qui accordent plus de place au bien-être, au développement personnel ou à des “métiers passion”, moins rémunérateurs et valorisés socialement mais qui donnent du sens à leur quotidien.

Photo by WTTJ

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