« En chômage partiel de longue durée, je me sens seule et inutile »

16 sept 2020

5 min

« En chômage partiel de longue durée, je me sens seule et inutile »
autor
Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

La crise sanitaire que nous traversons a fait entrer dans le langage commun des termes utilisés dans le droit du travail, jusqu’alors inconnus du grand public. Cela a commencé avec le « droit de retrait » pour les salariés exposés au virus dans le cadre de leur activité professionnelle, puis le « chômage partiel » pour ceux qui étaient temporairement empêchés de travailler… Et depuis le 1er juillet dernier, le gouvernement parle même de « chômage partiel de longue durée », un dispositif né au cœur de l’été et qui permet de maintenir le niveau d’aides aux entreprises si elles s’engagent à maintenir leurs emplois. La société d’événementiel qui a embauché Louise il y a un peu plus de trois ans, a choisi de rejoindre le dispositif en septembre. Si la jeune cheffe de projet au chômage partiel depuis le confinement est soulagée de ne pas se trouver sur la sellette, elle vient d’apprendre qu’elle ne retournera pas au bureau avant… janvier 2021 ! Et seulement si la situation sanitaire s’améliore. Entre sentiment de ne servir à rien et impossibilité de se projeter, Louise a accepté de nous raconter son quotidien.

Le syndrome de l’imposteur

Avant même que le confinement généralisé ne soit annoncé, mon entreprise a pris les devants en conviant tous les salariés à une réunion exceptionnelle quelques jours avant. Nous savions tous que le virus était déjà là, nous avions regardé les images des rues désertes de Pékin, de Rome, de Tokyo… La tension était palpable. C’était une évidence : le week-end des élections législatives qui s’approchait allait changer nos vies. Mais naïvement, je pensais que nous allions simplement passer en full-remote, c’est-à-dire en 100% télétravail. Bien sûr, je me trompais. Dès le début de la réunion, mes patrons avaient presque les larmes aux yeux. À la vue des annonces à faire ce jour-là, je ne peux que les comprendre. En une journée, c’est plus d’un employé sur huit qui a dû faire ses adieux à l’entreprise. Mon équipe a été réduite de moitié en un claquement de doigts. Ce n’était pas tout : à partir du lundi suivant, je ne travaillerais plus qu’une seule journée par semaine. Mon activité, étroitement liée aux lieux de rassemblement comme les bars ou les restaurants, était réduite à néant avec le confinement. Tout de suite, j’ai ressenti ce que certains ont théorisé comme « le syndrome de l’imposteur ». Certes, je gardais mon travail, mais pas parce que j’étais meilleure qu’un.e autre, simplement parce que j’étais en CDI, que j’avais validé ma période d’essai et grâce aux aides de l’État. Puis, il y a eu le départ de nombreux collègues, dont des membres de mon équipe. C’était un peu comme une énorme gueule de bois, sans avoir fait la fête la veille.

Tout de suite, j’ai ressenti ce que certains ont théorisé comme « le syndrome de l’imposteur ». Certes, je gardais mon travail, mais pas parce que j’étais meilleure qu’un.e autre, simplement parce que j’étais en CDI, que j’avais validé ma période d’essai et grâce aux aides de l’État.

« Je régressais ou j’avais 99 ans, au choix »

Le lundi qui a suivi, je suis passée au bureau ranger mes affaires et prendre mon ordinateur. Mes collègues s’affolaient dans les couloirs. Avant de claquer la porte, on s’est tous regardés une dernière fois et l’émotion était visible sur nos visages. On ne savait pas quand on se reverrait, ni si la boîte allait survivre à cette épreuve. Quand j’ai retrouvé le calme de mon studio avec mon copain, je me suis tout de suite dit : « Fais comme si tu étais en vacances et profite de ce temps pour toi. » Cela faisait plus trois ans que je bossais dur pour faire partie des murs de la boîte et évoluer au sein de celle-ci, cette pause de deux semaines - même si je savais déjà qu’elle durerait plus longtemps - devait m’aider à revenir plus forte. Aussi, je ne devais pas oublier de prendre soin de mon équipe à distance. Pour ne pas rester totalement inactive, je me suis lancée dans la réalisation de deux grands puzzles de 1000 pièces et dans des coloriages minuscules, censés détendre les grands enfants. Je régressais ou j’avais 99 ans, au choix. L’entreprise nous faisait souvent des points sur son état et sur l’évolution de sa stratégie. Régulièrement, elle nous demandait des nouvelles pour vérifier que nous vivions bien notre chômage partiel. Peu à peu, j’ai commencé à avoir le sentiment de ne servir à rien pendant que les autres trimaient et sauvaient des vies.

Peu à peu, j’ai commencé à avoir le sentiment de ne servir à rien pendant que les autres trimaient et sauvaient des vies.

Une impasse qui m’interdit de me réaliser

Mon mental s’est vraiment dégradé avec le déconfinement. Contrairement aux autres salariés qui exprimaient leurs peurs légitimes de retourner au travail, d’être de nouveau exposés au virus, ou qui craignaient une vague de licenciements déjà annoncée en Une des médias nationaux, moi j’avais simplement peur de tourner en rond. Ce n’est pas grand-chose, mais dans une société qui veut qu’on soit toujours en action, qu’on enchaîne les projets, c’est presque contre-nature. En juin, mon copain a repris le chemin de l’entreprise, de même pour mes amis et ma famille. Pour la première fois depuis le début de la crise, je me suis sentie en décalage. La solitude a commencé à me peser. Entre-temps, j’ai appris que je n’aurai pas la promotion que j’attendais tant. Mentalement c’était très frustrant. Comme si quelque chose m’empêchait de concrétiser mes projets personnels et de me réaliser en dehors de mes projets de couple. Même si je gardais mon poste, je l’ai un peu vécu comme un acharnement. Je n’arrivais pas à me raisonner. Aussi, l’incapacité d’agir, d’aider ma boîte, nuisait à mon équilibre personnel. Je ne peux pas dire que mon travail me définit en tant que personne, mais sans lui, tout a moins de sens. Au mois de juin, alors que j’attendais fébrilement la réouverture des lieux publics, ma boîte n’a pas pu se permettre d’attendre. Pour survivre, elle s’est tournée vers d’autres activités, modifiant totalement mon poste en m’attribuant des missions qui n’avaient rien à voir avec ce que je faisais d’habitude. J’ai pris ça comme un challenge. J’étais prête à le relever dès la fin de mon chômage partiel à la rentrée de septembre

Je ne peux pas dire que mon travail me définit en tant que personne, mais sans lui, tout a moins de sens

Sentiment de honte…

L’été m’a fait du bien et j’étais persuadée de rentrer au bureau en septembre. Un coup de fil au mois d’août a cassé mes espoirs en m’apprenant que je ne reprendrais pas avant fin décembre, enfin début janvier, et seulement si la situation sanitaire le permettait. Depuis, mes proches me demandent ce que je vais faire d’ici là : « Tu as pensé à changer de branche ou de métier ? », « Tu ne veux pas faire quelque chose qui a plus de sens ? », « Tu ne penses pas que le milieu de l’événementiel est foutu ? », « Tu passes quand ton permis ? », etc. Il est important de rappeler que je n’ai pas choisi l’événementiel seulement parce que j’aime la fête, mais parce que je m’amuse à créer des événements qui rassemblent des personnes de tous horizons. À chaque soirée, j’ai un peu l’impression que c’est grâce à moi si les gens oublient un peu leur quotidien, se déchaînent, s’embrassent, dansent… Il est vrai que j’ai pensé à me reconvertir mais dans quoi ? Je n’ai toujours pas trouvé la réponse. Et pour quoi ? La situation économique est déjà si compliquée pour les jeunes que renoncer ne m’aiderait pas plus. Aujourd’hui, je cherche un petit boulot qui m’occuperait et m’aiderait un peu financièrement. En touchant 84% de mon salaire net depuis le confinement, je compte chaque verre, je regarde les prix de chaque produit au supermarché. Disons que pour Paris, je n’ai pas assez pour « profiter », mais je m’assume. Je pense aussi m’investir dans des associations féministes. J’ai toujours passé beaucoup de temps à sensibiliser mes proches sur les violences faites aux femmes, ça aurait du sens. Tout est possible. Avoir du temps libre, c’est à la fois une richesse et un cadeau empoisonné. Aujourd’hui, une question me pèse : est-ce que je serais encore capable de travailler le jour où on aura vraiment besoin de moi ? Cela fait plus de six mois que je ne me concentre plus, je n’écris plus, je ne gère plus d’humain, que je n’ai pas tenu un stylo. Et quand on me demande le soir ce que j’ai fait de ma journée… j’ai honte.

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Photo d’illustration by WTTJ

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