Bienveillance en entreprise : allons-nous tous devenir des bisounours ?

01 oct 2021

6 min

Bienveillance en entreprise : allons-nous tous devenir des bisounours ?
autor
Betsy Parayil-Pezard

CEO of Connection Leadership - Coach, speaker, author of “Reawaken your life through mindfulness meditation” and “My little routines : Boost your self-confidence” (in French, published by Marabout)

Dans les médias, les articles qui décrivent la bienveillance en entreprise sont chaque année plus nombreux. Face à cette envolée, deux camps s’opposent. D’un côté, ceux qui prônent la bienveillance, de l’autre, ceux qui nous expliquent que ce n’est que pur bullshit. Pour notre experte en mindfulness et leadership, Bestsy Parayil-Pezard, CEO de Connection Leadership et Co-Présidente de Mindfulness Solidaire, il est temps de porter un regard plus nuancé sur le sujet. Elle vous invite ici à aborder la question sous un nouvel angle, à la fois dans notre cadre de vie mais aussi en tant que manager.

Lors d’une journée de formation, j’ai observé une collègue ouvrir une question au sujet de la bienveillance à un groupe de professionnels. Quelle était la place de la bienveillance dans nos environnements professionnels? La réception de ce mot par le groupe était mitigée. “C’est un mot galvaudé” a commencé une participante, “C’est censé signifier quelque chose de très fort mais il a perdu son sens à force d’être utilisé.” Une autre lance que “La bienveillance” se trouvait dans un document sur les valeurs de son entreprise, “mais je n’ai pas encore vraiment vu la preuve de la bienveillance autour de moi.” Au fil de l’échange, les participants ont souligné qu’ils trouvaient cela dommage. “La bienveillance reste malgré tout une valeur fondamentale pour moi. C’est une boussole et une source de réflexion quand nous créons des projets collectifs”, ont-ils déclaré.

Une positivité toxique ?

Mais alors, de quoi parle-t-on vraiment quand on aborde la question de la bienveillance ? Le Larousse la définit comme suit : “Disposition d’esprit inclinant à la compréhension, à l’indulgence envers autrui : Interroger des candidats avec bienveillance.” Ses synonymes sont la “bénignité” (bienveillance pleine de douceur), la “bonté” (compatissant, charitable), et la “compassion.” Ses contraires sont “l’animosité,” “l’antipathie,” “l’hostilité” et la “malveillance.” A choisir entre ces deux postures, il serait assez naturel de trouver la bienveillance préférable à son contraire. Cependant, depuis que la bienveillance a le vent en poupe, nous avons vu émerger une argumentation foncièrement opposée à son développement.

Un exemple de cela se trouve dans un article publié dans Le Monde en août 2021 : “On est en train de devenir complètement nunuche : comment l’exigence de bienveillance empoisonne les relations sociales.” L’article parle de “positivité toxique”, de ‘’ foutage de gueule”, et liste les endroits divers où nous pouvons trouver ce mot - dans les startups, la politique, la culture, le management, la communication, la santé… des domaines que la bienveillance aurait “vampirisée.” L’article présente l’idée que “ l’injonction à la bienveillance est contre-productive.” A travers les citations diverses, la bienveillance est littéralement diabolisée (“sadisme équitable,” “monde satanique”) afin de créer l’injonction opposée, citant le philosophe Philippe Murray et son concept “L’Empire du Bien”: “Il est urgent de le saboter.”

Bienvenue dans l’outrage culture

Il est difficile en lisant ce type de rédaction de se forger un avis sur le sujet, en même temps l’article est en lui-même un spécimen sociologique, que nous pouvons observer. Le ton de l’article s’approche de l“Outrage culture” qui devient de plus en plus commune dans les échanges sur les réseaux sociaux. En utilisant un langage fort, une position est établie sans que d’autres positions puissent être explorées. Ceci permet à l’article d’être davantage lu et partagé, comme avec des Tweets ou des posts sur Facebook. Le professeur de psychologie et neuroscience à New York University Jay Van Bavel l’explique : “Pour chaque mot moral et émotionnel que les gens utilisent dans un tweet, nous avons constaté qu’il augmentait le taux de retweet des autres personnes qui l’avaient vu de 15 à 20%.” Une réflexion comportant des nuances peut avoir l’effet inverse comme nous l’explique Etienne Klein : “Un propos nuancé donne l’impression de se fragiliser par la forme qu’il prend.

Cela révèle un autre thème très pertinent pour les managers : le durcissement des positions autour des sujets de société et l’évolution du langage pour exprimer ces positions, un langage qui devient de plus en plus inflammatoire. Si nous croyons les sociologues, notre culture n’est pas en danger de devenir trop bienveillante, mais plutôt l’inverse, à cause de l’utilisation des réseaux sociaux. D’après le site datareportal.com, 57% de la population mondiale utilise les réseaux sociaux, avec une croissance de 13% dans les derniers 12 mois. Une étude de Yale University analysant 12,7 millions tweets a montré qu’avec la progression de l’utilisation des réseaux sociaux, les utilisateurs sont “entraînés” à devenir de plus en plus agressifs et en colère, car les plateformes récompensent une communication de type “enragée,” en augmentant sa visibilité et en permettant d’accumuler les likes. Le plus nos communications pleines de colère sont “likées,” le plus nous aurons tendance à réutiliser les mêmes émotions pour créer les contenus suivants.

Ceci est intimement lié à notre biologie. Le professeur Adam Alter de New York University explique qu’à chaque fois que nous recevons un like, notre cerveau se comporte d’une façon similaire à si nous buvions de l’alcool ou fumions une cigarette : il produit de la dopamine, une hormone associée au plaisir. La quête d’obtention de likes, augmentée par la colère, prend alors la forme d’une addiction.

SOS bienveillance

La prévalence de la promotion de la bienveillance dans les différents domaines de société n’est peut-être pas liée à une injonction sociétale de l’Empire du Bien, mais plutôt à un besoin réel qui émerge face à ce phénomène croissant de malveillance.

En 2013, une enquête sur un hôpital à Stafford en Angleterre a révélé que pendant plusieurs années, une situation aberrante a perduré au sein de l’hôpital. Parmi les éléments du dossier, nous lisons que les patients de l’hôpital ont été laissés dans des draps souillés par des excréments pendant de longues périodes, des personnes qui ne pouvaient manger sans aide n’étaient pas assistées, et l’eau a été laissée hors de portée. En cherchant comment une telle situation a pu durer aussi longtemps, le rapport conclut que la culture de l’organisation était fautive - un manque d’intérêt de la part du management pour le personnel prodiguant les soins, une atmosphère de peur avec une focalisation singulière sur les résultats avec une pression financière, sans s’intéresser à l’expérience des personnes. L’équipe a été décrite comme insensible et indifférente. Cette histoire est-elle une anecdote isolée ou témoigne-t-elle d’une véritable déshumanisation du monde professionnel ?

Si nous écoutons les témoignages de professionnels, les exemples sont nombreux à nous prouver que l’environnement professionnel manque de “care.” D’après un sondage de l’IPSOS, 3 salariés sur 10 ont été victimes de harcèlement, une statistique très égalitaire qui touche autant les femmes que les hommes, des ouvriers et des employés tout autant que des cadres. Et le manque de bienveillance ne vient pas uniquement de l’intérieur de l’entreprise. Dans une étude de 198 employés d’une plateforme téléphonique, 60% des salariés avaient subi des insultes et des cris de la part des clients de l’entreprise.

Un besoin physiologique

La bienveillance n’est pas un concept de “bisounours,” imposé par une guerre des cultures, afin de baisser le niveau d’exigence générale, mais un besoin, un véritable besoin qui correspond à une réalité physiologique et neurologique de l’être humain. Car les études nous le montrent : même si nous sommes câblés pour détecter et amplifier ce qui est négatif… pour nous construire, nous avons surtout besoin d’émotions, d’idées, et d’expériences qui sont d’un registre positif.

D’après l’hôpital de recherche Mayo Clinic, la bienveillance diminue la pression artérielle et le cortisol, une hormone qui impacte directement votre niveau de stress. La pratique de la bienveillance est associée à une meilleure santé physique et émotionnelle, et à une durée de vie plus longue. Elle est également contagieuse, comme nous l’avons exploré dans l’article précédent, et la bienveillance d’un manager contribuera à une augmentation de bienveillance dans un service.
Les études montrent également que la bienveillance augmente la confiance et l’empathie, tous deux étant des éléments essentiels d’une équipe performante.

Comment pouvez-vous cultiver de la bienveillance, sans en créer une injonction vide de sens ? Ma recommandation serait de commencer par soi, en approfondissant sa propre réflexion sur le sujet, en pratiquant soi-même régulièrement, et en co-créant des initiatives avec des personnes concernées.

Pour mettre en pratique

Voici 7 pistes d’exploration, pour développer votre réflexion et votre action autour du thème de la bienveillance.

  • Prendre conscience de notre biais culturel. La bienveillance est parfois associée avec des traits peu attrayants. Nous pouvons l’observer à travers des expressions communes comme : “Trop bons, trop cons” ou l’utilisation du mot “gentil” pour signifier qu’une personne n’a pas de grandes capacités intellectuelles. Nous avons également une tendance à l’opposer à l’exigence, alors que la bienveillance peut contribuer à une meilleure performance.

  • Réfléchir à votre propre relation à la bienveillance. Avez-vous bénéficié de la bienveillance d’autres personnes dans votre vie ? De qui ? A quel moment ? Qu’est-ce que cela vous a apporté ? Si ce n’est pas le cas, comment cela vous affecte-t-il ?

  • Voir si vous êtes bienveillant avec vous-même. La bienveillance commence par ces messages que nous avons internalisés à un très jeune âge, et la façon dont nous parlons intérieurement. Etes-vous très dur avec vous-même ? Que se passe-t-il quand vous utilisez un vocabulaire plus bienveillant ?

  • Ouvrir vos comptes de réseaux sociaux et analyser vos 10 derniers posts. Quel type de langage avez-vous tendance à utiliser ? Comment se situe votre communication? Quelles sont les émotions que vous passez à vos lecteurs ?

  • Etudier votre propre comportement et votre langage quand vous êtes client. Quelles attitudes adoptez-vous dans des situations difficiles ? Imaginez que votre comportement est mis à l’échelle d’une organisation ou même d’un pays. Quelles seraient les conséquences ?

  • Créer une discussion à ce sujet avec d’autres managers. Comment cultivent-ils de la bienveillance dans leurs équipes ? Qu’ont-ils/elles observé ?

  • Votre entreprise a-t-elle déjà mis en place des initiatives concernant le sujet de la bienveillance ? Portez votre attention sur ce qui a été créé et étudiez comment vous pouvez contribuer à traduire la stratégie en réalité, avec l’aide de votre équipe.

Article édité par Paulina Jonquères d’Oriola

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