Camille Étienne, la militante écolo de 22 ans qui a secoué le Medef

Sep 30, 2020

8 mins

Camille Étienne, la militante écolo de 22 ans qui a secoué le Medef
authors
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

Dans un paysage médiatique saturé de débats autour de la situation sanitaire et la crise économique qui en découle, une jeune activiste de 22 ans a réussi à se trouver une place et se faire entendre. Son discours engagé pour la sauvegarde de la biodiversité n’est pas nouveau, mais il résonne différemment après que la planète s’est pour un temps mise sur pause afin de lutter contre le virus. La première fois que nous l’avons vue dans une vidéo, Camille Etienne parlait face caméra, débardeur et cheveux aux vents depuis son village natal de Savoie et expliquait pourquoi la situation actuelle menaçait la survie de notre espèce. Visionnée plus de 15 millions de fois, cette pastille l’a propulsée sur la scène médiatique jusqu’à être invitée à débattre à l’Université d’été du Medef. Loin de se démonter face aux ricanements de certains chefs d’entreprise présents ce jour-là, la jeune femme n’a pas eu peur de dire que pour sauver la planète, « il fallait travailler moins. Question de bon sens. » Mais qui est-elle ? Nous avons essayé d’y voir un peu plus clair.

Au départ, l’écologie ce n’était pas vraiment son truc

Veste bleue de travail, maillot de corps, pantalon en laine, Camille Etienne est trempée. Après les 30 °C de la mi-septembre, elle s’étonne encore de la brutalité du changement climatique. Et tant pis pour son imperméable qu’elle a hésité à prendre ce matin, elle a plus important à faire que réfléchir à ses tenues. Porte-parole et dénicheuse de talents d’On est prêt, mouvement à vocation internationale créé en 2018 à l’initiative de la youtubeuse Magali Payen, la jeune activiste de 22 ans diffuse des récits sur les réseaux sociaux, organise des rassemblements pour le climat et défend l’idée que la transition écologique est à la portée de tous. Un travail à temps plein qui ne lui laisse d’autres choix que de mettre entre parenthèses ses études de philosophie à Sciences Po. Comment en est-elle arrivée là ? « J’ai grandi dans un petit village de Savoie où il n’y a pas de route goudronnée, explique-t-elle. Le premier supermarché est à 45 minutes et l’hiver on a besoin d’une luge pour rentrer à la maison. On vit en quasi-autonomie. Là-bas, la nature est hyper forte, elle m’a toujours semblé indestructible, et pourtant, elle n’a jamais été plus vulnérable. » Son père, guide de haute montagne recherche régulièrement des alpinistes ensevelis par des avalanches et sa mère, ancienne de l’équipe de France de snowboard et d’escalade, s’est passionnée pour la médecine douce après un accident qui a précipité la fin de sa carrière. L’importance de l’environnement et de l’alimentation sur la santé, c’est sûrement ce qui a poussé ses parents à s’installer dans un endroit préservé, où seul le fruit de ce qu’ils avaient fait pousser se retrouvait au menu. Si la jeune femme a toujours eu un mode de vie décroissant, elle assure qu’au départ l’écologie ce n’était « pas vraiment son truc. »

« J’ai grandi dans un petit village de Savoie où il n’y a pas de route goudronnée […] Là-bas, la nature est hyper forte, elle m’a toujours semblé indestructible, et pourtant, elle n’a jamais été plus vulnérable. »

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Besoin de s’engager sur le terrain

« L’intellote de service » comme ses camarades de classe la surnomment alors, se passionne d’abord pour la délinquance juvénile. Après un stage de 3ᵉ dans une structure spécialisée, elle fait son TPE sur ce qui mène certains enfants de son âge à sombrer dans la violence et les moyens efficaces pour les aider à s’en sortir. Elle n’a pas encore passé son bac, mais ressent déjà le besoin de s’engager sur le terrain. Être déléguée de classe, membre active de l’UNL (union nationale lycéenne) et gérer l’antenne d’Amnesty International de sa région, ne lui suffit plus. Avec une amie, elle propose son aide aux associations installées dans la jungle de Calais. « En 2015, on parlait tous les jours du camp, se souvient-elle. Je voulais comprendre de l’intérieur ce qu’il se passait. J’ai harcelé tout le monde pour venir aider. On m’a dit “écoute louloute tu n’es pas avocate, médecin, tu vas être dans nos pattes’”. J’avais renoncé quand le secours Catholique m’a dit ok. J’ai vite compris pourquoi les autres m’avaient déboutée : en découvrant la situation, j’en ai vomi. » À l’école, dans sa classe aux horaires aménagés qui forme l’élite du ski français, la bonne élève passionnée de lecture fait déjà un peu tâche. Quand la mononucléose l’a fait dégringoler dans le classement en ski de fond et biathlon, elle se concentre sur les études. Après avoir un temps hésité entre un double cursus en philosophie à la Sorbonne et Sciences Po Paris, elle intègre la prestigieuse école de la rue Saint-Guillaume.

« En 2015, on parlait tous les jours du camp [de Calais]. Je voulais comprendre de l’intérieur ce qu’il se passait, […] j’avais renoncé quand le secours Catholique m’a dit ok. J’ai vite compris pourquoi les autres m’avaient déboutée : en découvrant la situation, j’en ai vomi. »

Travailler moins, une réponse efficace à la crise environnementale

Camille Etienne n’y connaît pas grand-chose, mais Sciences Po représente pour elle l’endroit des possibles. Son manque de confiance en elle, ses lacunes en culture générale, n’empêchent pas la boursière savoyarde de faire partie des meilleurs de sa promo. Elle s’achète des vêtements seconde main ou fabriqués en France, et met un point d’honneur à remplir ses placards de fruits et légumes bio de saison. Tous ses camarades ne partagent pas son mode de vie ni son attrait pour les sujets climatiques. « À Sciences Po, les étudiants ont beau être extrêmement doués, ils ne savent pas trop comment la nature fonctionne, comment ça pousse, s’étonne-t-elle. Ils sont peut-être un peu trop déconnectés de la terre. » Cette réflexion marque le début de son engagement. En troisième année de licence, les étudiants de Sciences Po parachèvent leur cursus d’un séjour dans une université à l’étranger. Camille Etienne s’envole - elle prend encore l’avion à ce moment-là - pour la Finlande, un pays qu’elle considère comme un exemple sur les questions écologiques, mais surtout où elle peut suivre des cours de “sciences dures”. Ce voyage a aussi des vertus insoupçonnées ; après avoir vu ses amis de promos se vanter d’être exploités dans des cabinets de conseil, « c’était la course à celui qui rentrait le plus tard », elle découvre qu’un autre rapport au travail est possible. « En Finlande, quand tu as terminé ton travail plus tôt que prévu, cela veut dire que tu as été efficace, que tu vas pouvoir prendre soin de toi, t’occuper de tes enfants, ce qui tout aussi important à leurs yeux », explique-t-elle. Une révélation.

« En Finlande, quand tu as terminé ton travail plus tôt que prévu, cela veut dire que tu as été efficace, que tu vas pouvoir prendre soin de toi, t’occuper de tes enfants, ce qui tout aussi important à leurs yeux. »

Travailler moins, une solution face à l’urgence climatique ? Elle en est convaincue. Dès 2015, une étude réalisée par le think-tank Autonomy, avait démontré l’impact de notre activité professionnelle sur les émissions de gaz à effet de serre. La logique est la suivante : si le temps de travail diminue, la production et la consommation baissent. De cette façon, Camille estime qu’on se concentrerait sur l’utile, le nécessaire. Terminé aussi les gadgets et « les armées de publicitaires, communicants qui travaillent à écouler les stocks de bouts de plastique dont l’humanité pourrait se passer. » De retour en France, la jeune femme explique à ses maîtres de stage qu’elle refuse de traîner sur Facebook, à la machine à café, à des réunions « qui ne servent souvent à rien », juste pour partir à une heure “convenable”.

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Parler devant les chefs d’entreprise pour faire bouger les lignes

Tout s’accélère en 2018. Elle est tirée au sort pour participer au débat sur l’Affaire du Siècle, une campagne de justice climatique visant à poursuivre l’État français pour son inaction en matière de lutte contre le réchauffement. Dans ce grand raout écolo-médiatique, elle fait un exposé sur les semences et rencontre la fondatrice d’On est prêt. Dans la foulée, elle anime une conférence TEDx. En plus de son nouveau rôle de porte-parole, la militante déniche pour le mouvement écologiste créé par Magali Payen, des youtubeurs et influenceurs qui souhaitent s’exprimer sur les sujets climatiques. Une sorte de talent manager pour les futures têtes d’affiches des écolos. « Il y a des militants qui manifestent devant le Parlement européen, distribuent des tracts, des personnes qui s’engagent politiquement, et d’autres qui transmettent des messages, dit-elle. Tous sont importants, c’est un équilibre. »

« Il y a des militants qui manifestent devant le Parlement européen, distribuent des tracts, des personnes qui s’engagent politiquement, et d’autres qui transmettent des messages. Tous sont importants, c’est un équilibre. »

Le confinement a été un autre moment décisif : le lien entre changement climatique et catastrophes naturelles devenait une réalité. Si depuis des décennies, les écologistes ne cessaient d’expliquer l’augmentation des risques de transmission de virus de l’animal à l’homme par les pressions exercées sur les écosystèmes, la déforestation et la diminution de la biodiversité, ils n’étaient pas vraiment écoutés. Camille a émergé au bon moment. Pendant ces deux mois où les trois quarts de l’humanité sont restés enfermés, elle a fondé le duo artistique Pensée Sauvage et réalisé la vidéo « Réveillons-nous », une sorte de manifeste pour l’engagement écologique. « On a créé une chaîne avec un nom claqué, on avait 0 abonné et ça a pris, mais ce n’était vraiment pas prévu », rigole-t-elle. Très vite, elle devient la nouvelle coqueluche écolo des médias et reçoit une invitation pour intervenir à la REF du Medef. Impossible de rater une occasion de parler devant les chefs d’entreprises réunis dans ce cœur palpitant du libéralisme français. « Ces personnes ont le pouvoir de vraiment changer les choses, explique-t-elle. Aujourd’hui, il faut aller beaucoup plus loin que changer le packaging de certains produits. » La notoriété l’amuse un peu, mais elle a aussi son revers. Sur Facebook, elle se fait souvent insulter par des inconnus, mais surtout par des militants qui lui reprochent de ne pas être assez radicale dans son message, de trop vulgariser… « Je le vis mal, mais pour eux, quoi que je fasse, ça ne sera jamais assez bien, reconnaît la jeune femme. J’ai choisi de m’adresser à des personnes qui sont au début de leur transition pour rassembler autour de la cause écologique plutôt que diviser. » Cela ne l’empêche pas de passer des journées entières à lire des rapports pointus sur les limites planétaires et rencontrer des scientifiques qui l’aident à construire son argumentaire.

« Ces personnes ont le pouvoir de vraiment changer les choses. Aujourd’hui, il faut aller beaucoup plus loin que changer le packaging de certains produits. »

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Militante, ce n’est pas un métier !

Son besoin urgent d’agir dissimule un autre trait de sa personnalité : Camille Etienne est une éternelle angoissée qui comble sa peur de la mort par son hyperactivité. « Je me demande souvent ce que je changerais si je devais disparaître dans un an », dit-elle. Aujourd’hui, elle assure être proche de son idéal. Manque peut-être un plan de carrière pour vivre de ses multiples activités. « Je ne sais pas très bien me vendre et j’ai toujours trouvé étrange l’idée qu’un patron me paie pour m’avoir dans son équipe, dit-elle. Je ne suis pas véto, ni ébéniste, qu’est-ce que je sais faire au juste ? Pas grand-chose quand on y réfléchit. Puis militante, ce n’est pas un métier. C’est une posture. » Pour Camille Etienne, les tentations sont nombreuses. Le monde politique ne cesse de la courtiser. Ce qu’elle en pense ? Son message est déjà politique et estime que sa place est encore dans la société civile : « Je n’ai pas assez vécu pour me voir en député, par exemple. Je ne me sens pas capable de gérer une campagne ni d’accepter que des personnes que je ne connais pas votent pour moi. Pour le moment, je préfère m’imaginer conférencière, gagner ma vie en faisant des vidéos qui ont du sens et intervenir le plus possible pour faire passer mes idées. » De là à travailler moins ?

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Photos par Thomas Decamps for WTTJ