Surveillance des salariés : ce qui est permis (ou pas)

May 04, 2021

4 mins

Surveillance des salariés : ce qui est permis (ou pas)

UNDER THE LAW plonge dans les rouages parfois nébuleux de la loi et de la jurisprudence. Qu'en est-il de la surveillance des salariés ? L’experte Anne-Lise Puget décode le droit du travail pour vous aider à y voir plus clair.

L’affaire a défrayé la chronique en 2021 : Ikea, référence mondiale du meuble en kit, plusieurs de ses anciens dirigeants ainsi que des policiers, comparaissaient devant le tribunal correctionnel pour collecte et divulgation illicites de données personnelles et violation du secret professionnel. Pendant plusieurs années, la surveillance abusive et l’espionnage de certains salariés et clients de l’entreprise auraient été organisés, avec l’assistance de policiers. Ikea a finalement été condamné à une amende de 1 million d’euros, tandis que l’ancien PDG d’Ikea France (de 1996 à 2009), Jean-Louis Baillot, a écopé de deux ans de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende.

Ce genre d’affaires donne l’occasion de revenir sur les règles applicables à la surveillance des salariés dans le monde de l’entreprise, à une époque où les nouvelles technologies et l’essor du télétravail brouillent parfois les frontières légales.

La surveillance des salariés est-elle légale ?

Oui, l’employeur peut contrôler et surveiller l’activité de ses salariés pendant leur temps de travail. Cette surveillance est une contrepartie du contrat de travail, qui place le salarié sous la subordination juridique de l’employeur, permettant à ce dernier de donner des directives, d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner le manquement. Ainsi, la simple surveillance ou le contrôle effectué au quotidien par un supérieur hiérarchique ou un service de contrôle interne dédié à cette mission n’est pas considéré comme un dispositif de surveillance nécessitant une information préalable des salariés (Cass. Soc. 5 novembre 2014, n°13-18.427).

En revanche, les salariés doivent être informés de la vidéosurveillance, y compris lorsque celle-ci est mise en place par un tiers dans les locaux et que l’employeur n’en est donc pas responsable (Cass.soc., 2 févr.2011, n°10-23.482).

La surveillance des salariés est néanmoins soumis au respect des principes de proportionnalité et de loyauté. L’article L 1121-1 du Code du travail dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ». Autrement dit, tout type de surveillance des salariés doit avoir une utilité pratique (comme protéger les données et les ressources de l’entreprise) et ne pas être disproportionnée (on ne va pas fouiller l’historique de recherche de l’employé s’il se contente d’aller sur des sites de voyage).

Le salarié a droit, même sur le temps et le lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée (article 9 du Code civil). La surveillance, qui est susceptible d’y porter atteinte, ne peut pas avoir lieu en dehors du temps et du lieu de travail. Impossible donc de réaliser la filature d’un salarié (Cass. Civ. II 17 mars 2016, n°15-11.412), ou d’envisager « l’utilisation de stratagèmes », comme mandater des personnes pour qu’elles se fassent passer pour des clients pour le confondre (Cass. Soc. 19 novembre 2014, n°13-18.749).

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Une surveillance des salariés soumise à conditions

L’instauration dans l’entreprise de moyens ou de techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés est subordonnée à plusieurs conditions pour l’employeur.

Consulter au préalable le CSE (article L 2312-38 du Code du travail)

Cette consultation permet au CSE (Comité Social et Économique) d’émettre un avis sur la pertinence et la proportionnalité du mode de contrôle, ainsi que sur l’utilisation faite des données recueillies. Elle est indispensable, par exemple, si le dispositif mis en place pour surveiller la clientèle ou les marchandises peut incidemment être utilisé pour surveiller les salariés (Soc. 11 décembre 2019, n° 18-11. 792). Sans cette consultation, l’employeur s’expose à une condamnation pour délit d’entrave, sanctionné notamment par une amende de 7 500 euros, multipliée par 5 si ce dernier est considéré en tant que personne morale. Aussi, le CSE dispose d’un droit d’alerte et peut demander la suspension du projet jusqu’au terme de la consultation ou le retrait des éléments de preuve obtenus frauduleusement.

Informer les salariés (article L 1222-4 du Code du travail)

Dans certains cas, la surveillance des salariés doit leur être partagée. L’information portera notamment sur les moyens de contrôle mis en œuvre, leurs objectifs (potentiellement la sanction des salariés) et les garanties de protection des données personnelles collectées : base légale du traitement, durée de conservation, modalités de diffusion, droit d’accès, de rectification et de suppression, de réclamation auprès de la CNIL, ainsi que ses coordonnées.

Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui ne lui a pas été communiqué avant sa mise en place. La preuve obtenue à son insu (ou sans consultation du CSE) sera écartée par les juridictions prud’homales et des dommages et intérêts pourront être obtenus. Ici, la simple disposition d’une affichette à proximité du dispositif de contrôle est jugée insuffisante. On lui préfère un mail ou tout type de notification individualisée permettant à l’employeur d’établir que chaque salarié a bien été informé.

Surveiller ses employés par caméra : que dit la loi ?

Surveiller ses employés par caméra n’est pas interdit, mais le cadre légal est strict. La Commission nationale informatique et Liberté (CNIL) a émis **plusieurs recommandations à ce sujet.

  • La vidéosurveillance ne doit pas filmer les salariés sur leur poste de travail sauf circonstances exceptionnelles, ni les zones de repos ou les locaux syndicaux.
  • Seules les personnes habilitées par l’employeur à y avoir accès et sensibilisées aux règles applicables dans le cadre de leurs fonctions pourront visionner les images.
  • La durée de conservation des images n’excède pas un mois sauf procédure disciplinaire ou pénale.
  • Le dispositif doit être enregistré sur le registre de traitement des données, voire faire l’objet d’une étude d’impact de protection des données s’il existe un risque élevé d’atteinte aux droits et libertés et notamment chaque fois que la surveillance envisagée sera constante.
  • La capture d’écran qui fige une action isolée du salarié n’est ni pertinente ni proportionnée.
  • Le recours à l’enregistrement vidéo des écrans couplé à l’enregistrement des conversations téléphoniques dans un cadre professionnel ne peut être utilisé que pour la formation professionnelle et subordonné à de nombreuses conditions.
  • L’activation de la caméra en vidéo-conférence ne peut être exigée par l’employeur.
  • Etc.

La protection des données personnelles doit être prise en considération dès l’élaboration du dispositif de surveillance des salariés. La vérification du respect de ces normes incombe à la Commission nationale informatique et Liberté (CNIL), qui s’assure notamment que les données traitées sont « adéquates et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités » (article 5.1.c du RGPD). Il faut rappeler que la CNIL peut effectuer des contrôles et recevoir des plaintes, la violation des règles de protection des données étant sanctionnée par de lourdes amendes.

Ainsi, même si la surveillance des salariés par l’employeur est légitime, la fin ne justifie pas tous les moyens et à défaut de prêter une grande attention aux règles applicables, c’est finalement l’employeur qui s’expose.


Article mis à jour par Sylvain Guillet, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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