Bureau du futur : « Le télétravail est injuste à tous les niveaux »

Aug 31, 2021

authors
Camille RabineauLab expert

Consultante spécialiste des nouveaux modes d’organisation et de l’aménagement des espaces de travail

Jérémy ClédatLab expert

Cofondateur et CEO de Welcome to the Jungle, spécialiste de la marque employeur et du recrutement

Ariane Picoche

Journaliste et responsable de la rubrique Decision Makers @ Welcome to the Jungle

Bienvenue dans le futur du bureau. Vous savez, cet endroit où vous passiez un tiers de votre temps, autrefois… À cause de la pandémie, vous avez pris vos distances avec lui et vos collègues. Le télétravail et les gestes barrières se sont généralisés, et vous avez même expérimenté la réunion Zoom en charentaises. Du coup, maintenant qu’il faut y retourner, vous êtes nombreux·ses à vous dire que ce bureau mériterait un bon lifting. Eh oui, les habitudes ont changé et les entreprises s’interrogent plus que jamais sur l’avenir de l’espace de travail.

Pour vous éclairer sur ce sujet d’actu et marquer le lancement de notre ebook, Le bureau : un espace en voie de disparition ?, trois experts ont pris la parole lors d’une table ronde placée sous le signe de l’innovation… Camille Rabineau, fondatrice de l’agence Comme on travaille et experte du Lab ; Jérémy Clédat, CEO de Welcome to the Jungle ; et Nada Abou Naccoul, chargée du Programme NEO (Nouveaux Environnements et Organisation du travail) chez Swiss Life France. Morceaux choisis.

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Le Covid, ce moteur des mutations du bureau

La crise a changé notre rapport au bureau en un rien de temps. Selon Camille Rabineau, celui-ci n’est plus essentiel pour beaucoup d’activités. « Mais après un an de télétravail généralisé, la majorité des salarié·e·s et des entreprises ne souhaite pas s’en débarrasser totalement. Il faut donc recréer l’envie. Le bureau doit monter en gamme et trouver son nouveau modèle économique alors qu’il est moins fréquenté. » Chez Swiss Life France, le Covid a accéléré des réflexions en cours. « Il y a trois ans, nous avons lancé un projet visant à rééquiper nos locaux et nos équipes pour faciliter la collaboration à distance et la mobilité. Les grèves des transports fin 2019, suivies de près par la pandémie, ont permis d’adopter ces nouveaux outils. On s’est retrouvés du jour au lendemain en 100% télétravail, sans nuire à notre niveau d’activité et de performance », raconte Nada Abou Naccoul. Mais toutes les entreprises n’en sont pas là, les facteurs culturels et financiers pesant dans la balance.

En creux, une grande question philosophique et sociétale a émergé : pourquoi allons-nous au bureau ? Jérémy Clédat rappelle que la nécessité du présentiel a été conditionnée par les habitudes pré-Internet. « On allait au bureau parce que c’était là qu’on avait accès aux outils pour faire notre boulot. » Or avec un laptop et une bonne connexion Wifi, on retrouve le b.a.-ba d’un espace de travail, la mobilité en plus. Ainsi, tout·e·s les employeur·e·s devraient prendre du recul et se demander : « Pour quelles raisons dois-je faire venir les gens ? ».

« La promesse de convivialité vendue avec le retour au bureau est loin de la réalité »

Si les pauses café nous ont manqué, confort, verdure et bien-être sont devenus les hashtags préférés des salarié·e·s. Comment peut-on recréer le « bureau cocon » que certain·e·s avaient aménagé – contraint·e·s et forcé·e·s, certes – en télétravail, à la maison ? Camille Rabineau insiste sur l’importance de prolonger cette bulle, d’autant plus que « la promesse de convivialité vendue avec le retour au bureau est loin de la réalité ! Les salarié·e·s trouvent des espaces vides, la marque des précautions sanitaires est encore présente. En l’absence de chaleur humaine, les codes corporates très froids, moquettes gris bleu et aménagements standardisés sautent au yeux. » La solution pour instaurer une ambiance rassurante ? Miser sur l’archi d’intérieur et la déco. « Concrètement, c’est répondre à l’aspiration au confort, phonique et visuel, l’envie de naturel et de couleurs, le rejet de la promiscuité, le besoin de se sentir accueilli·e… » Camille invite à s’inspirer des coworkings, experts en design et petites attentions.

Welcome to the Jungle s’inscrit dans cette démarche. Ses locaux sont répartis dans deux bâtiments ; le second a été co-conçu avec l’entreprise de mobilier suisse Vitra et inauguré en juillet 2021. Avant même la crise, une problématique s’est vite posée : « Comment peut-on créer un espace qui, quel que soit le nombre de personnes dedans, ne paraît pas vide ? C’est une question super intéressante, car on voit qu’en jonglant avec les volumes, on peut donner le sentiment que même à cinq, ce lieu est fait pour nous et que si demain on est quarante, ça marche aussi », explique Jérémy Clédat. Avec un bureau désert un jour sur deux, la chaleur et le bien-être passent par le lieu autant que par l’humain. Impliquer les salarié·e·s dans la définition des nouveaux espaces, leur personnalisation et leurs modes de fonctionnement est une stratégie gagnante.

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Quand l’hybride s’incruste dans les salles de réunion et les open-spaces

La pandémie a chahuté les modèles organisationnels de nombreuses entreprises, suivant à peu près cette chronologie… Avant la crise : 100% présentiel (ou presque). Pendant : 100% télétravail (ou presque). Et maintenant, 50/50 ? Ce modèle mixte qui conjugue présentiel et distanciel porte le doux nom de « bureau hybride ». Il se généralise et pourrait bien devenir la norme dans le secteur tertiaire. Cependant, il reste à inventer. « On n’y est pas tout à fait, mais ce bureau permettra des parcours fluides pour les salarié·e·s, et la question de qui est présent ou distant sera transparente pour l’activité, elle ne la pénalisera pas », avance Camille Rabineau.

Au-delà de notre rapport au télétravail, qui ne cesse d’évoluer, un espace cristallise toutes les problématiques de l’hybride : la salle de réunion. Organiser un meeting qui mêle des personnes rassemblées dans une même pièce et des personnes à distance est un exercice périlleux. L’expert Louis Vareille parle de « réunion asymétrique » pour souligner leur caractère bancal et inégalitaire. « C’est un cauchemar. Une réunion avec des gens sur place et à distance, c’est horrible », témoigne Jérémy Clédat. La top priorité est donc de mettre en place un dispositif technique adapté et de bonnes pratiques managériales, mais aussi d’aborder la question des interactions entre collègues, qui se joue dans la salle de réu et en dehors.

Le « bureau virtuel » : l’entreprise gamifiée pour plus de convivialité

Aujourd’hui, les salarié·e·s ne voient plus le bureau comme un simple lieu de travail, mais comme un lieu de rencontres et d’échanges où le plaisir d’être ensemble l’emporte sur le reste. Aménager des espaces de convivialité variés fait partie de leurs principales attentes, à commencer par « des espaces café ou de pause dignes de ce nom, éloignés des zones de production pour ne pas susciter de gêne mutuelle », précise Camille Rabineau. Dans les locaux actuels de Swiss Life France, les anciens espaces café ont justement été repensés et agrandis pour en faire de vrais « cœurs d’étage ». « Dans notre futur immeuble, ajoute Nada, nous prévoyons un étage de type agora, qui sera animé par des espaces de restauration, de convivialité, de co-working et de services de conciergerie. » Ce parti pris fait sens pour Jérémy Clédat, qui compare l’entreprise à une cité : « On reproduit à l’échelle d’un projet le fonctionnement d’une cité classique, avec les espaces privés qui sont nos logements, et un espace public dans lequel on peut travailler ensemble et débattre ».

Outre l’afterwork et la pause café, comment créer du lien sans passer par la case « présentiel » ? L’avenir réside-t-il dans le « bureau virtuel », cet espace digital aux allures de Sims dans lequel chacun·e peut se connecter à tout moment et rencontrer ses collaborateur·rice·s ? Oui, selon Jérémy. Welcome développe un outil de ce type et il y voit la réponse à différents défis d’égalité et d’inclusion. « Le télétravail est injuste à tous les niveaux, dans notre capacité à avoir un espace de travail confortable chez nous et un métier qui nous le permet. » Les entreprises ont tendance à tout homogénéiser, ce qui fonctionne mal avec le distanciel. Par ailleurs, les locaux physiques ont un coût et favorisent certaines personnalités, tout comme le télétravail en révèlent d’autres. Le bureau virtuel pourrait s’avérer une solution accessible, où introverti·e·s et extraverti·e·s se sentiraient à l’aise. Alors, est-on en train de donner raison aux auteurs de SF : l’entreprise de demain sera-t-elle hybride voire 100% virtuelle ? Voilà un débat tout trouvé pour votre prochain apéro entre collègues.

Envie d’aller plus loin ? Retrouvez le replay de la table ronde ici.

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Photos par Thomas Decamps / WTTJ
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