Et si on s'inspirait des militaires pour gérer notre stress ?

Sep 26, 2019

8 mins

Et si on s'inspirait des militaires pour gérer notre stress ?
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Danaë Renard

Journaliste web

Panique à bord. Lèvres tremblantes, mains moites, gouttes perlant sur notre front — vous l’avez reconnu, c’est notre vieux copain des jours d’examen à l’école, des matins de réunion ou de cet entretien où vous jouez le job de vos rêves. On a nommé : le stress. On est allé demander à des militaires de terrain rompus aux agressions extérieures, comment faire la peau à ce traître qui malmène notre corps et notre esprit. Lumière sur les techniques presque infaillibles de nos troupes de défense.

Si seulement 43% des salariés se disent véritablement stressés selon une étude de Malakoff-Mederic, 67% estiment que leur travail est nerveusement fatigant. Et selon une étude de 2017 réalisée par le cabinet Stimulus spécialisé dans la santé au travail, 24% des Français souffriraient d’un état “d’hyper stress” mettant en danger leur santé. Absentéisme, turn-over, prises en charge de maladies, altération des performances… ce mal-être a même un coût économique. Au point que l’OMS (Organisation mondiale de la santé) qualifie le stress de « fléau du monde occidental ».

Méthode n°1 : différencier le mauvais stress de la bonne dose d’adrénaline

Pour Pascal, militaire retraité, haut gradé : « il faut différencier le bon stress du mauvais. Le stress en opération, c’est une bonne chose, ça aide à avoir tout le temps ses sens en éveil. Il faut qu’on soit prêts, que les capteurs qu’on a dans le corps soient en mode ON. Mais c’est davantage ce qu’on appelle l’adrénaline, et l’adrénaline peut sauver la vie. »

En effet, l’endocrinologue Hans Selye a développé le concept “d’eustress”, du préfixe grec eu- qui signifie “bon”. Dans ce cas, l’expérience est positive, il s’agit plus d’un challenge, certes difficile mais qui participe, à terme, à un sentiment de satisfaction et de bien-être. On peut même se sentir en état mental de flow (qui se traduit par flux) : une concentration maximale, une absorption intense, couramment associé à ce qu’on appelle “état de grâce”. Au contraire, la sur-vigilance, et donc le mauvais stress, survient lorsque la “capacité de demande” surpasse la “capacité de réponse” du sujet, ce qui conduit à l’anxiété. Autrement dit, notre corps ne nous dit pas si ce stress est bénéfique et une même situation peut être aussi bien vécue comme un obstacle que comme un défi.

Que notre organisme réagisse face aux difficultés a même été surnommé “sagesse du corps”. Le stress était essentiel à nos ancêtres : notre corps sécrète des hormones, les catécholamines, dont de l’adrénaline, qui augmente la fréquence cardiaque, la pression artérielle, le diamètre des pupilles, le taux de glucose et re-distribue le sang vers les muscles et le cerveau. En fait, on se prépare à fuir ou à combattre ! Certes utile face à un prédateur ou des troupes ennemies, ce processus biologique a moins de sens aujourd’hui : vous n’allez pas sauter à la gorge de votre patron ou partir en courant lors d’une présentation orale… si ?

Quoi qu’il en soit, cette réaction de notre organisme, un brin électrisante, est aussi un allié puisqu’elle convoque toutes nos ressources afin d’atteindre notre objectif. Cessez donc de vous tourmenter si vous avez les mains moites et le coeur qui bat avant une conférence ou un entretien : vous vous préparez à donner le meilleur de vous-mêmes !

Méthode n°2 : compter sur ses réflexes

C’est la perception d’une situation, le message que le cerveau envoie aux glandes endocrines, qui détermine l’intensité d’une réaction. Lucas s’est engagé il y a 4 ans et demi dans l’armée de terre. Quand il se retrouve dans un environnement hostile, il compte sur ses automatismes : « Si je me fais tirer dessus, c’est l’entraînement qui me permet de réagir. Je fais appel à ce que j’ai appris par cœur en formation. Quand on sait à quoi s’attendre, on laisse moins de chance au stress de nous freiner ou de nous paralyser. »

Benjamin, 25 ans, travaille quant à lui dans les forces spéciales. Il explique : « Nos stages et entraînements sont volontairement intenses pour que, sur le terrain, on agisse sans trop réfléchir aux conséquences et qu’on se concentre plus sur notre environnement que sur nos émotions. On bosse tellement sous pression et les entraînements se rapprochent tellement de la réalité qu’on y est finalement préparés. »

Comme en médecine, où on peut injecter un virus à faible dose pour renforcer les défenses immunitaires du corps, ce que l‘on appelle l’entraînement à l’inoculation nous fournit des défenses, des “anticorps psychologiques”, pour lutter contre le stress. Les capacités d’adaptation d’une personne sont boostées par l’exposition à des stimuli qui activent les mécanismes de défense. Une des meilleures façons d’éviter les palpitations, les contractions, les sudations… c’est donc de se préparer. Dans le monde de l’entreprise, on peut tout à fait s’entraîner au maximum avant une importante réunion, par exemple, en intégrant toutes les éventualités possibles : se faire couper la parole, être challengé sur tel ou tel sujet, ne pas retenir l’attention, être interrompu, etc.

Et pour Pascal, le doyen, il ne faut pas non plus négliger la phase de bilan, un exercice intéressant à faire après chaque expérience stressante. « Les informations qu’on récolte lors des “retours d’expérience” (entretiens obligatoires après chaque retour de mission, ndlr) et qu’on analyse sont précieuses. Elles permettent d’anticiper les prochaines missions et de faire en sorte qu’elles se passent mieux que les précédentes. » Appliqué au travail, cela peut vouloir dire se poser après un rendez-vous stressant, un talk, son entretien annuel… et revenir sur ce qu’il s’est passé, décrypter nos réactions et en tirer des leçons.

Méthode n°3 : raisonner de façon tactique

Si vous avez à affronter une menace ou à vivre une situation de crise, vous pouvez appliquer la Méthode de raisonnement tactique (MRT) des militaires. Il s’agit d’une technique de l’École de guerre française qui aide à prendre une décision en situation de stress. En procédant ainsi, on évite de se laisser submerger par les émotions. « Elle se déroule en deux phases. La première évalue la situation, de manière très méthodique : de quoi s’agit-il ? Pourquoi ? Qui ? Avec qui ? Contre qui ? Où ? Quand ? Comment ? En fonction des réponses apportées à ces questions, on détermine un objectif », détaille Pascal.

Lorsque l’effort à fournir est trop colossal, nous ressentons un déséquilibre entre les compétences nécessaires pour résoudre la situation et nos compétences réelles… Ainsi, pour ne pas céder à la panique ou être littéralement paralysé, mieux vaut diviser le problème en sous-problèmes :

1. Situer le cadre de l’action : dans quel environnement votre objectif s’inscrit-il ? Dépend-il d’autres éléments, sous quels délais ? Par exemple, on vient juste de vous prévenir que vous devez exposer les tenants et aboutissants d’un projet sur lequel vous avez peu avancé, en réunion d’équipe et en présence de votre manager. Il est midi passé, certains pensent déjà à la pause déjeuner : il faut être concis et pourtant convaincant, surtout que vous ne voulez pas que cette difficulté ternisse votre image dès la rentrée.

2. Définir ses contraintes : quelle est la nature du rapport de force ? Quelle attitude ont les opposants ? Par exemple, vous savez qu’un de vos collègues est mécontent au sujet de ce projet ; il n’a pas eu les informations à temps, qu’importe : il va falloir éviter qu’il vous mette mal à l’aise alors qu’il semble préparé à intervenir dans la discussion.

3. Évaluer ses moyens et ses renforts et déduire le moment de l’action et sa durée. Au contraire, vous avez conscience qu’un autre collègue a eu les mêmes difficultés que vous avec ce client, vous savez qu’il va falloir l’interpeller au bon moment pour qu’il vous donne un coup de main, etc.

Méthode n°4 : recharger les batteries

Bien sûr, et vous vous en doutez, sur le long terme et à forte dose, l’afflux de catécholamines n’est pas sain : troubles du sommeil, addictions, maladies cardiovasculaires, dépression, burn-out… C’est pourquoi, avant une mission de plusieurs mois à l’étranger, mais aussi pendant et après, les militaires participent à des séances appelées “techniques d’optimisation du potentiel” (TOP). Créées pour l’armée française dans les années 1990 par Edith Perreaut-Pierre, docteur en médecine, spécialiste de la préparation mentale, elles sont inspirées de la psychologie et de plusieurs méthodes de relaxation : yoga, méditation, sophrologie…

« Ces techniques de gestion du stress c’est d’une part de la relaxation, les yeux fermés, de l’autre des exercices de respiration et de détente musculaire. On fait également de la projection mentale : on s’imagine par exemple dans un coin qu’on aime, un endroit paisible. Ces techniques nous préparent et nous motivent », décrit Lucas. Benjamin, lui, est sensible à la pensée positive : durant les séances il confie penser à sa petite amie, à des moments qu’ils ont partagés.

Et ce n’est pas seulement pendant une mission que cette boîte à outils est utile, mais aussi face à sa hiérarchie. « Au moment des évaluations intermédiaires ou à chaque début d’année, on est confrontés à un supérieur. Il y a tout un protocole très stricte, un discours à réciter droit dans les yeux, fermement. C’est très intimidant, ça peut faire paniquer. Là, je me concentre sur ma respiration, comme on peut le faire pendant les séances de TOP et j’essaye de relativiser en me disant que le mec en face de moi ne doit pas être très à l’aise non plus », explique Lucas. Pour le jeune militaire, inspirer 4 secondes par le nez et expirer 4 secondes par la bouche, en conscience et en s’efforçant de faire le vide estompe rapidement le sentiment de panique. Et sur le terrain, si les échanges de coups de feu peuvent paralyser, nos militaires recourent à cette “respiration de combat”, focalisée sur la ceinture abdominale et oxygénant rapidement le sang.

Ces techniques d’optimisation du potentiel permettent aussi d’améliorer la qualité du sommeil, la mémorisation, la concentration, la confiance en soi. Elles s’inspirent largement du secteur du bien-être, d’ailleurs très en vogue - on estime à plus de 2 millions les adeptes du yoga en France (en 2017, selon FranceInter). Si certains se sentent immédiatement mieux après la position de l’aigle, d’autres pratiques de détente peuvent être plus adaptées à vous : massage, méditation, projection mentale, hypnose, dialogue intérieur… Et si vous n’êtes toujours pas convaincus, sachez que c’est prouvé scientifiquement : lorsqu’on se relaxe, on stimule la sécrétion des endorphines, les fameuses hormones du bonheur. Euphoriques, antidouleurs et anxiolytiques, elles réduisent les niveaux d’adrénaline, et donc le stress. Magie !

Et la dernière corde à avoir à son arc pour recharger ses batteries et lutter contre le stress : une bonne condition physique. Pour Pascal : « Il faut bien manger, bien dormir évidemment, mais surtout, faire du sport. C’est ce qui m’a toujours aidé ! Même dans des zones difficiles à l’étranger, ou le danger était omniprésent, je prenais le temps de faire du sport pour me détendre. Les activités physiques au sens large et les activités manuelles permettent de vider le cerveau, littéralement. » Le sport, comme la relaxation, stimule la libération des hormones du bonheur. Pourquoi croyez-vous qu’il existe autant de ligues sportives dans la Silicon Valley ?

Méthode n°5 : miser sur l’humain et l’esprit d’équipe

Pascal insiste tout particulièrement sur la solidarité pour contrer les moments d’angoisse. Imaginez : vous vous réveillez, vous déjeunez, vous vous entraînez, vous passez vos soirées et vos nuits avec vos collègues, dans des endroits parfois hostiles, vous affrontez des dangers… Sans un minimum de relations humaines, ce ne serait pas vivable ! « On subit des phénomènes de stress très intenses dans notre métier. Après et pendant une opération, il faut éviter l’isolement. Quand on connaît son environnement humain, les compétences et les failles de chacun, on sait sur qui s’appuyer. La cohésion et le partage sont essentiels. En fait, au sein du groupe, le plus dangereux pour nous c’est celui ou celle qui intériorise, au risque que cela explose au mauvais moment et que ça mette tout monde en danger », confirme Pascal.

C’est prouvé, le relationnel est l’un des piliers de notre bien-être. En 2014, le psychologue Guillet a souligné que les relations peu amicales dans une entreprise étaient des “stresseurs”. Et qu’à l’inverse, le fait d’avoir des “relations aidantes” avec ses collègues ou sa hiérarchie était un bouclier contre le stress. Conclusion ? SO-LI-DA-RI-TE. On a tous une part de responsabilité dans le bien-être ou le mal-être des personnes que nous côtoyons au travail. Même les interactions anodines : un coup de fil à un fournisseur, un dossier à traiter en binôme, une pause-déjeuner… peuvent avoir un impact fort sur nos changements d’état d’esprit.

Nos forces armées ont recours à des méthodes connues et accessibles à tous, pourquoi ne pas nous en inspirer ? Alors vite, on s’entoure de personnes bienveillantes, on se réinscrit à ce cours de pilates qu’on a fait exprès d’oublier ou on enfile ses baskets, on visualise notre objectif et on respire par le ventre. Si nos soldats parviennent à vivre des mois de façon spartiate et sous la menace, allons-nous vraiment nous laisser dépasser par une pile de dossier et un timing serré ? Faites ressortir le soldat qui sommeille en vous.

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Photo by WTTJ

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