BADASS : Le factuel, l'arme fatale pour contrer les fake news sur notre travail

Jan 27, 2021

6 mins

BADASS : Le factuel, l'arme fatale pour contrer les fake news sur notre travail
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Lucile QuilletLab expert

Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes

BADASS - Vous vous sentez illégitimes, désemparées, impostrices ou juste « pas assez » au travail ? Mesdames, vous êtes (tristement) loin d’être seules. Dans cette série, notre experte du Lab et autrice du livre de coaching Libre de prendre le pouvoir sur ma carrière Lucile Quillet décortique pour vous comment sortir de la posture de la “bonne élève” qui arrange tout le monde (sauf elle), et enfin rayonner, asseoir votre valeur et obtenir ce que vous méritez vraiment.

Les fake news, ça existe en politique, sur les plateaux télé mais aussi, au bureau. Si certains ragots peuvent glisser sur votre carrière comme l’eau sur une vitre, les fake news, elles, sont graves, car nuisibles. Votre cuite monumentale à l’afterwork de Noël 2014, on l’oubliera. Le fait que vous avez truqué votre bilan, ou que Benoît clame que l’idée du siècle était la sienne (alors que c’était la vôtre), non. Les fake news nuisent à votre crédibilité et votre mérite professionnels. Ça peut finir avec votre bureau envahi par des gens en moumoute arborant des cornes de bison et des slogans antisémites sans complexe. Dans d’autres cas, on file « juste » la promotion à Benoît. Heureusement, on vous explique comment lutter contre ces fausses informations sur vous avec l’arme fatale des pros : le factuel.

« Ta parole contre la mienne »

Au départ, elles ont pourtant l’air plutôt inoffensives. On pense que “ça passera”, mais en vrai, elles deviennent le caillou dans votre chaussure qui sape votre marche sur le long terme. C’est cette rumeur sur le fait que vous avez été embauchée car vous êtes mignonne, pistonnée ou juste parce que vous êtes une femme. C’est le reproche de votre responsable sur les trois jours de retard dans le rendu de dossier qu’il vous a, en réalité, donné la veille à 18h. C’est votre collègue qui s’approprie à lui tout seul le travail réalisé à deux. C’est votre N+1 vous répétant que vous êtes “fébrile” pour vous faire plier bagage (attention, dans beaucoup (trop) d’entreprises le-harcèlement-comme-politique-de-départ-à-bas-prix is the new « rupture conventionnelle »).

Toutes ces personnes la jouent “à la Trump” : elles osent, intimident, se déchargent sur vous, avec pour seule logique : « Ta parole contre la mienne ». À la différence que la leur est clamée, répétée à l’envie avec une outrecuidance et un aplomb spectaculaires, de telle sorte que le message s’amplifie jusqu’à se positionner comme vérité générale. Et aux yeux du reste du monde, si tout cela est clamé si fort et librement, c’est qu’au fond, « ça doit bien être vrai ».

La méritocratie et la justice ne font pas loi naturellement

Le problème, c’est que pour se défendre face à ces propos aussi grossiers, nombre de femmes n’osent pourtant pas employer les grands moyens et se défendre, par manque de confiance mais aussi par peur d’être impolie, de s’abaisser à un niveau cour de récré (« Tu mens - non, c’est toi »), ou de passer pour quelqu’un de vindicatif qui “monte sur ses grands chevaux”. Car une femme qui se défend et répond est souvent caricaturée comme susceptible ou hystérique (là où la colère vaut généralement à un homme plus de crédit “autorité”). Résultat : alors que ça devrait être simple, on se trouve démunies. Alors, certaines préfèrent « rester classe » et laisser couler, persuadés que le temps leur rendra justice. En réalité, elles risquent juste d’attendre, pendant que les autres récolteront leurs lauriers.

Et quand on se défend, on le fait souvent auprès des mauvaises personnes (vos collègues impuissants) et/ou en s’appuyant sur les mauvaises notions (la confiance, la compréhension, la sympathie). Exemples : « Vous savez que je mérite cette augmentation, c’est vraiment dégueulasse » ou « Je te jure, c’est moi qui ai eu l’idée en premier, tu me crois ? » Vos collègues vous écouteront en touillant leur café dans la limite du supportable (c’est-à-dire, jusqu’à ce que vous ne soyez plus qu’une boule de seum à leurs yeux) mais en vrai, ils n’ont pas à prendre parti (ils ont leurs propres problèmes et ce n’est pas leur rôle). Ce que vous oubliez, c’est que l’entreprise n’est pas le lieu naturel de la justice, ni de la méritocratie et de la sympathie. Ou en tous cas, ces notions ne font pas loi en entreprise. Ce qui fait loi en entreprise, c’est le factuel. Ce qui vous rend justice, c’est vous-même.

Le factuel, c’est le langage qu’on ne discute pas

Pour bien contrecarrer les fake news, il ne faut pas avoir peur de balancer les « real news » : votre bilan chiffré, l’heure du mail envoyé par votre patron, le nombre de dossiers pliés ce mois-ci, vos horaires de travail… Le factuel, c’est le langage qu’on ne discute pas, il n’est pas sujet à interprétation, ni à la subjectivité. Il met tout le monde d’accord. Il ne prend personne par les sentiments. Il va à l’économie, à l’impartial, il clarifie tout, sans faire perdre trop de temps. C’est votre bouclier et surtout, un automatisme qui vous fera avancer dans votre carrière car il remet toujours au centre la réalité de votre travail.

N’ayez pas peur de passer pour la chienne de garde de vos intérêts : quand on empiète vos plates-bandes, vous réagissez, c’est le jeu et c’est de bonne guerre. Le problème, c’est qu’on anticipe rarement qu’on en aura besoin jusqu’au jour où l’on en a vraiment besoin. Heureusement, voici comment semer sur votre parcours de petites balises factuelles sur lesquelles vous appuyez en toutes circonstances.

1. Apprenez à penser avec le langage “factuel”

Selon les secteurs et les métiers, notre travail est plus ou moins quantifiable et « traçable ». Mais certaines choses restent immuables : votre travail (les missions sur votre fiche de poste, les moyens alloués), son contexte, vos résultats. Apprenez à les traduire en langage concret et spécifique : « Ce mois-ci, j’ai vendu tant », « J’ai X heures supplémentaires cette semaine », « J’ai rencontré X clients aujourd’hui ». Comptez, totalisez, ou du moins, gardez des traces pour pouvoir le faire (merci le reporting et les agendas pros). C’est en mettant en perspective ces éléments que vous vous défendrez le mieux. Quand Corinne vous glisse un « Tu as pris ton après-midi ? » quand vous partez à 17h, renvoyez-lui un poli « Non, j’ai rendu mes deux dossiers et passé mes trois appels, j’ai juste fini mon travail, pas toi ? »

2. Disséminez le factuel à l’écrit comme le petit Poucet

Comptez, c’est bien. Avoir une trace écrite, encore mieux, surtout quand les chefs jouent aux chaises musicales plus vite qu’avant. L’écrit fige une réalité à un temps précis. À chaque étape importante, c’est un bon réflexe à adopter. On vous a promis une augmentation dès que le dégel des finances sera acté ? Demandez à l’inscrire dans le compte-rendu de votre entretien annuel avant que le RH devienne amnésique. Vous faites des horaires largement anormaux ? Pour attester que vous partez à 23h certains soirs, envoyez des mails de clôture prétextes, le type mémo fonctionne très bien pour la jouer “l’air de rien” (« Je viens de boucler le dossier Ferrero et, au cas où j’oublie, fais-moi penser demain à ce que l’on reparle du budget, j’ai eu des idées »). Votre chef vous fait des reproches mais ne peut étayer son propos ? Faites un mail bilan de votre échange pour « avoir un pense-bête » avant votre prochain rendez-vous. Histoire que tout le monde ait la même version et ne s’égare pas sur une réalité parallèle.

Quand vous rendez un travail, (désolée pour l’image) faites « pipi dessus » : inscrivez votre nom dans le document (format pdf, immuable), ou une petite note glissée l’air de rien (« Patrick, on peut en rediscuter si tu veux mardi prochain »). Si Patrick fait un vulgaire copié-collé, ce sera touché-coulé. En travail d’équipe, toutes les remarques précieuses et autres idées du siècle vaudraient ainsi mieux d’être communiquées par mail que par oral (ce qui vole dans l’air n’appartient à personne).

3. Utilisez des témoins pour asseoir la vérité

Pour éviter qu’une subjectivité ne prenne le pas sans vergogne sur l’autre, il vous faut des témoins sur les sujets importants : des collègues ou un N+2 en copie des mails, des témoins oraux. Ça ne veut pas dire que vous allez leur demander de témoigner devant les Prud’hommes pour autant. Mais leur simple présence peut être un garde-fou. D’ailleurs, vous ne le faites pas pour être « procédurière » mais pour faciliter les échanges, bien évidemment !

Les témoins sont aussi utiles pour corriger le tir en mode lobbying discret, si vous pensez qu’une contre-attaque full frontal vous desservira plus qu’autre chose. On murmure que vous êtes la meilleure amie de la fille du boss ? Racontez donc les moments de sueur froide de votre recrutement et laissez votre récit se répandre dans les troupes.

4. Imposez le factuel à l’oral pour corriger le tir

Vous créez vos balises factuelles, mais apprenez aussi à parler factuel. Ce langage de l’objectivité assainit les conversations, surtout avec ceux qui aimeraient vous discréditer en vous traitant de paranoïaque ou d’égocentrique. Plus vous êtes précise et factuelle, moins vous « imaginez », moins on peut nier votre propos. Utilisez le modèle XYZ :

  • X : Quand il se passe ça (constat objectif)
  • Y : Cela provoque ceci (nuisance pour le travail collectif)
  • Z : Que pouvons-nous faire (solution)

« Quand vous me dites “tu ne mérites pas d’augmentation” (la fake news) alors que mes résultats sont en hausse de +20% cette année (X), je me trouve très démotivée (Y). Pourriez-vous m’expliquer ? (Z) » est ainsi plus difficile à esquiver qu’un « Mais ce n’est pas juste ! »

Parlez factuel et exigez du factuel aussi (votre milieu pro n’en sera que plus assaini). Demandez des faits concrets à ceux qui vous fournissent des explications trop floues (comme ce chef qui souligne votre “manque d’autonomie”, “déficit de proactivité” et toutes ces autres notions vaseuses), et tous ceux qui, par excès de confiance, prennent un peu rapidement leur ressenti ou leur désir pour la réalité.

Utiliser du factuel, ça ne veut pas dire être procédurier, méfiant, sur la défensive. C’est un réflexe sain, qui vous fait gagner du temps, de l’efficacité, et vous aide à comprendre et vous améliorer, loin des dynamiques d’ego et d’affect. C’est hyper pro. Il n’y a que les planqués et les lâches que le factuel n’arrange pas. Qui sait, vous pourriez bien débusquer par la même occasion les fake news que vous entretenez sur vous-même et comprendre que l’imposteur, c’est souvent l’autre, et non vous.

Photo par WTTJ