"Rockstar des ventes", "héros du contenu" : que cache un intitulé de poste foufou ?

Jan 22, 2020

7 mins

"Rockstar des ventes", "héros du contenu" : que cache un intitulé de poste foufou ?
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Coline de Silans

Journaliste indépendante

Quand, petit, vous vous demandiez ce que vous vouliez faire plus tard, vous êtes-vous déjà imaginé en « ninja de la programmation », en « héros du contenu », ou encore en « rockstar des ventes » ? Non ? Et pourtant ces postes existent bel et bien, ils font même partie des titres de jobs les plus farfelus de 2019 selon le moteur de recherche Indeed. Mais que cachent ces intitulés, aussi alléchants que vagues ? Pour le savoir, nous avons décrypté l’envers du monde merveilleux du « rebranding de poste. »

L’intitulé compte-t-il vraiment pour le salarié ?

Depuis une dizaine d’années, les titres de poste originaux fleurissent sur les jobboards, rivalisant de créativité et, parfois, d’excentricité. En cause ? L’arrivée sur le marché du travail de la génération Y, digital native, avide d’instantanéité, et, surtout, en quête de sens (selon une étude réalisée par Vivavoice, 55% des 18-30 ans verraient le travail comme une source d’épanouissement.) Pour séduire ces nouveaux profils, les employeurs rivalisent donc d’imagination dans la conception des annonces de jobs, et ce jusque dans les intitulés de poste.

Si certains peuvent parfois tomber dans l’excès, renouer avec le sens au travail à travers l’intitulé du poste peut néanmoins s’avérer bénéfique selon Dan Cable, professeur de comportement organisationnel à la London Business School. Dans une étude publiée en 2014 et relayée par la Harvard Business Review, le chercheur s’est intéressé au rôle que jouaient les intitulés de poste dans l’investissement émotionnel des salariés. Il a ainsi demandé à certains salariés de la fondation américaine Make a Wish de renommer eux-mêmes leurs postes afin qu’ils soient plus en lien avec ce qui faisait leur valeur ajoutée dans l’entreprise. Au bout de cinq semaines, les personnes qui avaient elles-mêmes renommé leurs jobs montraient « des niveaux de fatigue émotionnelle plus bas, se sentaient plus considérées, mieux reconnues pour leur contribution et ressentaient une « sécurité psychologique » plus importante, pouvant favoriser les échanges. »

En effet, en définissant leur emploi par ce qui avait le plus de sens pour eux, les salariés se sentaient ainsi plus investis et revalorisés. Or, pour notre génération qui fait de la quête de sens un véritable Graal, un intitulé de poste bien pensé peut peser lourd dans la balance.

Des titres de poste qui jouent sur la notion de bonheur

Et parce que le sens au travail est générateur de bien-être, l’émergence de la notion de “bonheur” dans les titres de postes, analysée entre autres par Nicolas Bouzou et Julia de Funès dans leur livre La Comédie (in)humaine paru en 2018, est aussi devenue clé. L’économiste et la philosophe y expliquent que l’entreprise a tout à y gagner : les candidats sont plus attirés par des postes qui renvoient l’image d’une entreprise bienveillante et seront davantage prêts à s’investir dans un job qui, sur le papier, est source d’épanouissement. Or qui dit salarié investi dit aussi salarié “rentable”… D’où la profusion de nouveaux emplois qui n’existaient pas il y a encore quelques années, comme “Chief happiness officer”, “Talent happiness manager” ou encore “Chief heart officer” (pour… directeur des ressources humaines, oui, oui). Derrière ces noms de postes donc, une idée fixe : remettre l’humain au centre et “vendre” au salarié l’image d’une entreprise soucieuse du bien-être de ses salariés, dynamique, et bienveillante.

En anglais s’il vous plaît

Autre grosse tendance dans l’évolution des intitulés de poste ces dernières années : l’usage de l’anglais. “Content manager” au lieu de “Chargé de contenu”, “Business developer” au lieu de “Commercial”… Pourquoi ces noms de poste sont adaptés en anglais ? Parce que cela donnerait plus envie, tout simplement. Comme l’explique Martin Hilpert, professeur en linguistique anglaise à l’Université de Neuchâtel dans un article du magazine suisse Le Temps, « il se peut que les entreprises utilisent ces titres parce qu’ils possèdent un certain prestige souhaitable. S’il y a par exemple un CFO chez Apple et Google, nous en voulons aussi un dans notre petite entreprise, n’est-ce pas ? L’information ici ne réside pas dans le mot, en l’occurrence dans le titre, mais dans l’usage de l’anglais. Nous pouvons faire le parallèle avec une boulangerie qui a un nom français dans un pays anglophone : peu importe le sens du nom, ce qui compte, ce sont les références qui vont avec la langue. »

« S’il y a par exemple un CFO chez Apple et Google, nous en voulons aussi un dans notre petite entreprise, n’est-ce pas ? » - Martin Hilpert, professeur en linguistique anglaise

Un “Social media manager” sonnera donc beaucoup plus “Silicon Valley” qu’un simple qu’un “Responsable des réseaux sociaux”. Des titres en anglais qui revalorisent l’humain et injectent une notion de fun à des tâches qui manquent parfois de sens, voilà donc ce qui caractérise les intitulés de postes version 2020. Mais quelle réalité se cache derrière ? Les missions reflètent-elles toujours ce que le titre du poste promet ?

Des intitulés de poste décalés pour des missions mal définies ?

Premier risque lorsque l’on postule à un job à l’intitulé un peu décalé : le flou des missions qu’il recouvre. “Chief happiness officer”, ça donne plutôt envie au premier abord, mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Est-ce qu’il s’agit d’organiser des parties de baby-foot tous les jeudis ? De tenir un bureau des plaintes ? De gérer toute la logistique d’une entreprise ? De s’assurer que les paies sont gérées en temps et en heure ? Ou un peu tout ça en même temps ?

Céline, 30 ans, qui a occupé ce poste pour une start-up dans les médias s’est justement retrouvée dans une situation délicate à cause de cet intitulé bien trop flou : « Derrière mon intitulé de poste se cachait un éventail de missions bien trop large. J’étais à la fois celle auprès de qui les gens venaient pleurer quand ça n’allait pas, celle qui devait assurer l’organisation régulière d’événements internes, mais aussi celle qui devaient assurer la compta, les achats de fournitures pour la boîte, et parfois même le community management quand le CM était débordé. Résultat, je faisais tout mal et j’étais bien en peine d’expliquer à mes amis ce en quoi consistait mon job quand ils me posaient la question. » Ces titres de jobs, alléchants mais bien trop vagues peuvent donc parfois masquer un problème bien plus grave : un manque de définition claire des missions.

« Derrière mon intitulé de poste se cachait un éventail de missions bien trop large. Je faisais tout mal et j’étais bien en peine d’expliquer à mes amis ce en quoi consistait mon job. » Céline, 30 ans

Et, parfois, cela se pressent déjà dans l’intitulé. Ce fut le cas pour Caroline, qui en devenant “Coordinatrice technico-fonctionnelle informatique”, s’est retrouvée à gérer un logiciel de paie. Si cette fois le titre de poste ne paraît pas particulièrement fun, il pourrait néanmoins faire croire qu’il demande des capacités managériales pour coordonner des équipes. « Je m’étais focalisée sur le mot “coordinatrice”, et les recruteurs avaient aussi insisté dessus à l’entretien, explique-t-elle. Sauf, que très vite, je me suis rendue compte que la coordination d’équipe était inexistante, puisqu’il n’y avait tout simplement pas d’équipe et que derrière ce titre un peu technique se cachait en fait un grand vide. »

Nombre d’intitulés portent ainsi à confusion en jouant volontairement sur les mots. C’est le cas par exemple pour les postes de “Content manager”, ou “Business manager”, qui, la plupart du temps, ne contiennent pas une once de management.

« Je me suis rendue compte que la coordination d’équipe était inexistante (…) et que derrière ce titre un peu technique se cachait en fait un grand vide. » Céline, 30 ans

Il n’y a donc pas que le côté fantaisiste des intitulés de poste qui peut être dangereux, les titres trop techniques, franchement obscurs, ou tout simplement trop génériques, peuvent masquer des objectifs mal définis.

Une promotion en titre… mais pas en salaire

Autre danger potentiel : les intitulés de poste un peu trop « waouh » peuvent parfois compenser un salaire décevant dû à un manque de moyens. Camille, recruteuse dans une start-up de la foodtech nous confirme : « Parfois, quand nous manquons de budget pour recruter sur un poste, nous mettons un intitulé un peu funky et décalé. De cette façon le candidat aura plus tendance à se focaliser sur le titre de son poste et acceptera d’avoir un salaire un peu moindre. De la même façon, un intitulé de poste alléchant peut permettre de faire passer une promotion sans passer par la case salaire : parce que nous n’avons pas les moyens d’augmenter le salarié, nous changeons son titre pour quelque chose de plus valorisant. »

« Parfois, parce que nous n’avons pas les moyens d’augmenter le salarié, nous changeons son titre pour quelque chose de plus valorisant. » Camille, recruteuse

Selon une étude américaine du cabinet de recrutement Robert Half, publiée en juin 2018, ce scénario serait d’ailleurs de plus en plus récurrent. En 2018, 39% des employeurs américains proposaient régulièrement des promotions sans augmentation, contre 22% en 2011. Une tendance qui s’opère aussi en France, notamment avec l’arrivée de la génération Y sur le marché du travail selon Gaëlle Marre Trevidic, Directrice France dudit cabinet de recrutement. Dans un entretien donné au magazine Les Echos, elle expliquait qu’ « *avant, on s’inscrivait dans un poste pour une quinzaine d’années. La nouvelle génération, elle, change d’entreprise tous les deux ou trois ans. Les jeunes actifs se lassent facilement, ils ont besoin d’avancer plus vite. Ils veulent rapidement de nouvelles responsabilités. La promotion n’est plus liée à une augmentation, c’est un moyen de rétention. »

« La promotion n’est plus liée à une augmentation, c’est un moyen de rétention. » Gaëlle Marre Trevidic, Directrice France du cabinet de recrutement Robert Half

Ainsi, la montée en “titre” permettrait de garder des candidats plus longtemps en leur donnant l’impression d’évoluer au sein de l’entreprise, l’augmentation de salaire en moins…

Ne pas se faire avoir par un intitulé de poste

Face aux titres de postes décalés, funkys, ou trop techniques, méfiance donc ! Ne condamnez pas non plus une offre pour ces raisons, mais prenez tout de même certaines précautions. En découvrant une offre d’emploi par exemple, prenez soin de lire le contenu des missions proposées, et ne vous arrêtez pas au titre de job. N’hésitez pas à poser des questions sur l’ensemble de vos missions à l’entretien. Cela peut sembler évident, mais si un titre attrayant peut en jeter sur votre CV, n’oubliez pas qu’une fois en poste, ce sont les missions effectuées qui vous permettront d’évoluer. Et ce sont ces mêmes acquis que vous devrez mettre en avant lors de vos prochains entretiens.

Le fait de bien prêter attention au contenu des missions est d’autant plus important qu’il est probable que les compétences acquises au cours de la carrière prennent progressivement le pas sur l’intitulé de poste. Une tribune de Bénédicte de Raphélis Soissan, la CEO de la start-up Clustree, allait déjà dans ce sens : elle y annonçait que plus les métiers se diversifieront, moins le titre du poste aura d’importance aux yeux des recruteurs comparé aux compétences qui ont été acquises.

D’où l’importance de valoriser l’acquisition et le développement de nouvelles aptitudes plus qu’un simple titre sur un CV. Une bonne façon de tester un job si vous n’êtes pas sûrs de ce qu’il implique peut d’ailleurs être de demander à effectuer une journée en immersion, comme le conseille Caroline suite à son expérience infructueuse de coordinatrice sans coordination. Enfin, si vous êtes déjà en poste et que vous sentez que l’intitulé de votre job ne correspond pas aux tâches que vous exercez, n’hésitez pas à en parler avec votre N+1. Peut-être que c’est l’intitulé du poste qui doit être changé, ou la nature des missions que vous effectuez. Mais, de façon générale, un intitulé de poste que l’on a du mal à assumer en signature de mail cache souvent un problème plus vaste, qui vaut le coup d’être creusé.

Quand à ceux qui estimeraient que leur titre de job est vraiment trop ennuyeux, allez donc faire un tour sur ce générateur version Silicon Valley. Vous verrez, finalement, “Responsable clientèle”, c’est bien aussi.

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Photo d’illustration by WTTJ