SOS Managers en détresse : « Le jour où j'ai menti à un collaborateur »

Jan 13, 2022

6 mins

SOS Managers en détresse : « Le jour où j'ai menti à un collaborateur »
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Ludovic GirodonLab expert

Consultant, auteur et conférencier spécialiste en management, spécialiste de la confiance et de l’engagement

Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

SOS MANAGERS EN DÉTRESSE - Quand vous avez été promu·e manager, vous étiez (avouez-le) loin d'imaginer ce que diriger une équipe impliquait vraiment. Car trouver le juste équilibre entre leadership, bienveillance et équité, en autres choses, relève dans certaines situations du parcours du combattant. Dans cette série, notre expert du Lab Ludovic Girodon vous offre enfin les clés pour sortir la tête de l'eau face à vos problématiques du quotidien. Managers, suivez le guide !

Augmentation, compétences, vie privée… Bien des événements peuvent conduire un·e manager à prendre quelques arrangements avec la vérité. Et si toutes les sociétés condamnent le mensonge, rares sont les personnes à pouvoir affirmer ne jamais y recourir. En réalité, la « distribution des menteurs » suit le principe de Pareto : 20% des individus disent 80% des mensonges. Et vous, vous faites plutôt partie des 20 ou des 80% ?

« Mais non, vous ne serez pas renvoyé »

À 28 ans, Ryan est responsable de secteur dans la grande distribution. À l’approche des fêtes de fin d’année et alors qu’il est en sous-effectif, un membre de son équipe tout juste embauché arrive alcoolisé au travail et tient des propos injurieux envers la Direction. « J’ai été convoqué par le Directeur du magasin. Il m’a informé que sa période d’essai ne serait pas validée… mais que nous ne pouvions pas nous permettre de lui demander de partir avant une dizaine de jours, après notre période de rush », explique-t-il. Pour Ryan, c’est la douche froide. Il sait qu’il va devoir lui mentir. « Le lendemain, il était sobre et sincèrement désolé. J’avais la boule au ventre en lui disant que cet incident ne remettait pas en cause son CDI », partage Ryan. Une quinzaine de jours plus tard - peu de temps avant la fin officielle de sa période d’essai - il lui annonce qu’il doit quitter l’entreprise : « Il n’est pas idiot, il a très bien compris la situation. Je pense qu’il a davantage été blessé par mon mensonge que par le fait d’être viré. »

  • L’œil de l’expert : Être invité·e à mentir n’est pas une situation facile à gérer. « Ici, il y a clairement une question de valeur : celles de l’entreprise, mais aussi des valeurs personnelles », observe notre expert. Pour Ludovic Girodon, mentir n’est jamais la solution, que ce soit une initiative personnelle ou que cela fasse suite à une pression de sa propre hiérarchie. Au contraire, il invite les managers à communiquer de manière franche, sans pour autant briser les espoirs du/de la collaborateur·rice : « Évidemment, il faut commencer par un recadrage car l’alcoolisme sur le lieu de travail est une faute grave. En revanche, on peut ensuite être transparent sur les conséquences probables, tout en expliquant qu’en cas de comportement exemplaire d’ici la fin de la période d’essai, on pourra s’engager à plaider en faveur du collaborateur pour lui éviter un licenciement. » Ludovic en est convaincu, c’est un devoir de préparer le/la collaborateur·rice au pire, tout en espérant le meilleur.

« Je lui cache qu’il n’est pas au niveau »

Florian est chercheur et encadre une équipe dans un laboratoire. Un universitaire étranger, qui a obtenu une bourse, rejoint son projet. Rapidement, les membres de son équipe lui font remonter qu’il n’est pas au niveau. « Il n’est pas suffisamment bon, c’est vrai. En revanche, je vois qu’il cherche réellement à progresser et à s’intégrer », explique-t-il. Alors, quand celui-ci s’inquiète de son travail lors de leurs points hebdomadaires, il cherche à le rassurer et à l’aider à progresser : « Je sais que ce n’est pas mon rôle de “faire du social”, mais je ne me sens pas capable de le briser en lui expliquant qu’il n’est pas à sa place. » Conscient qu’il ne fait que reculer pour mieux sauter, il compose avec la situation. « Sa mission se termine dans 6 mois. Il faudra que je fasse un rapport, dans lequel on verra forcément que son travail n’a rien apporté au laboratoire. On verra à ce moment-là », reconnaît-il.

  • L’œil de l’expert : « Ici, nous sommes clairement face à un manager qui fait l’autruche. Et ce n’est un service à rendre ni au collaborateur, ni à soi en tant que manager », analyse Ludovic Girodon. “Abandonner la relation” est un comportement tentant, notamment face à un·e collaborateur·rice qui reste de façon temporaire pour un remplacement, un stage… L’énergie demandée par la voie de l’honnêteté peut sembler décourageante. « Mais c’est typiquement dans ce type de situation que l’on peut progresser en tant que manager, observe notre expert. C’est le moment d’apprendre à faire un feedback constructif, nourrir la personne pour la faire progresser, lui expliquer que malgré un niveau en deçà des attentes, vous avez identifié tel et tel axe de progression », illustre-t-il. Et un feedback bien donné est souvent un feedback bien reçu. « Mentir est une solution courtermiste. Elle permet de se sortir d’une impasse relativement facilement, mais ça finit toujours par remonter à la surface », conclut-il.

« Je leur vends du rêve car je ne peux pas laisser mon équipe se déliter »

Dans le développement web, la guerre des talents fait rage. Pour retenir les meilleurs profils, Nicolas, lead développeur dans les assurances, doit parfois arranger la vérité. « L’année dernière, de nombreux projets ont été mis en stand-by. Et un développeur web qui se tourne les pouces, ce n’est jamais bon. Il peut très vite aller voir ailleurs, car les propositions ne manquent pas », explique-t-il. Alors quand certains sont venus le voir en s’inquiétant de la suite, il décide de mentir… sans même culpabiliser : « Je ne pouvais pas laisser mon équipe se déliter. Alors je les ai fait rêver sur tous les projets que j’allais mettre en place, même si je savais très bien que moins de la moitié d’entre eux seraient validés par la Direction. » Deux mois plus tard, alors que la situation n’évolue pas, un premier développeur quitte son équipe. « Heureusement, les autres sont restés, et de nouveaux projets sont rentrés, rassure-t-il. Je ne sais pas s’ils m’en veulent aujourd’hui, aucun ne m’en a reparlé. Et si c’était à refaire, je le referais. Car de toute façon, que pouvais-je faire d’autre ? »

  • L’œil de l’expert : « On ne peut pas tromper une personne mille fois. Enfin, si on peut tromper mille personnes… mille fois. Non ! On peut tromper une fois mille personnes mais on ne peut pas tromper une fois mille personnes », n’a jamais dit notre expert. En revanche, Ludovic Girodon l’affirme : « Ces développeurs se sont laissés convaincre une fois et ils sont restés, mais ça n’arrivera pas deux fois. Il y a une citation de Sartre que j’aime beaucoup : “La confiance se gagne en gouttes, et se perd en litres” ». De nombreux·ses managers se retrouveront, un jour ou l’autre, dans cette position. Ils devront convaincre leur équipe de rester fidèle à l’entreprise, traverser une période difficile en serrant les dents. « Et c’est justement dans ces moments que l’on a besoin de courage managérial », affirme notre expert. Une situation qui est aussi l’occasion de trouver des solutions alternatives et créatives : organiser des ateliers, des formations… Garder l’équipe occupée et soudée jusqu’au retour d’une activité normale. « De manière générale, je recommande de faire des points très réguliers, en tête-à-tête, avec les membres de son équipe. C’est le meilleur rempart anti-bullshit, car c’est l’occasion de parler du quotidien, mais aussi de répondre à leurs questions et leurs inquiétudes », ajoute-t-il.

« Vous confondez, votre nouveau collègue n’a rien fait de mal »

Anaïs est directrice d’un lycée dans le Sud de la France. Dès le début de l’année scolaire, un professeur de mathématiques part en arrêt maladie et doit être remplacé. « Dans cette situation, c’est l’Académie qui nous envoie un remplaçant, sans que j’ai mon mot à dire », explique-t-elle. La personne qui rejoint l’équipe pédagogique est vite soupçonnée - par les autres professeurs - d’avoir quelques casseroles. Effectivement, celui-ci aurait été mis en examen pour incitation à la haine raciale, mais un vice de procédure lui aurait évité une condamnation. « Je sais, de manière officieuse, qu’ils ont raison. Mais ce n’est pas mon rôle de confirmer leurs soupçons », affirme Anaïs. Alors quand la pression monte dans la salle des profs, elle préfère nier : « Je ne sais pas si j’ai bien fait, peut-être pas. Mais je ne voulais pas qu’ils continuent à se monter la tête et se plaindre alors que, quoi qu’il arrive, je ne pouvais rien faire pour changer la situation. »

  • L’œil de l’expert : Il est nécessaire de faire une distinction entre “mentir” et “ne pas tout dire”. Certains sujets - parce qu’ils sont anxiogènes, comme une réorganisation, un rachat de l’entreprise… - ne doivent pas nécessairement être abordés avec ses collaborateur·rices tant que vous n’avez pas suffisamment d’informations pour les rassurer. En revanche, nier une réalité dérangeante n’est jamais la solution. Et les situations difficiles sont aussi l’occasion de renforcer les liens au sein d’une équipe. Ici, Ludovic Girodon recommande de tenir un discours transparent auprès de l’équipe pédagogique : « Effectivement, la situation est grave. Cette personne a visiblement des “casseroles”, et la justice fait son travail. Nous sommes tous dans le même bateau et nous allons devoir faire avec. Voyons comment nous pouvons rester alertes, faire en sorte que tout se passe le mieux possible et éviter les dérives. » Pour un·e manager, nier ou mentir comporte le plus grand risque de tous·tes : celui de perdre la confiance de son équipe, et de ruiner sa crédibilité à long terme.

Le/la manager est avant tout un être humain. Il/elle a des doutes, il/elle apprend, il/elle progresse, il/elle fait des erreurs. Et parfois, il/elle ment. « Mais ce qui fera la différence entre un bon et un mauvais manager, c’est ce qu’il fait ensuite : qu’en apprend-il ? Comment cherche-t-il à s’améliorer ? », explique Ludovic Girodon. Une étude de l’Université du Michigan montre que c’est notre perception de l’honnêteté qui nous conduit à choisir la voie de la vérité ou celle du mensonge. Elle dépend de l’effort que nous pensons devoir fournir pour être honnête. En bref, si nous avons tendance à mentir, nous nourrissons l’idée que la vérité coûte beaucoup d’efforts. Et si nous avons l’habitude d’être honnête, nous pensons qu’il est difficile et compliqué de mentir. Finalement, avoir le courage managérial nécessaire pour dire la vérité serait-il comme tout le reste : une question d’entraînement ?

Article édité par Mélissa Darré, Photo par Thomas Decamps
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