Comment en finir avec l'auto-sabotage au travail ?

May 12, 2022

6 mins

Comment en finir avec l'auto-sabotage au travail ?
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Aurélie Cerffond

Journaliste @Welcome to the jungle

Arriver une heure en retard à un entretien d’embauche, écrire son discours 20 minutes avant de le prononcer ou encore boire un verre au déjeuner juste avant un rdv client important… ça vous est déjà arrivé ? Comme si face à un moment décisif, au lieu de tout mettre en œuvre pour réussir, on se tirait nous même une balle dans le pied. Un comportement inconscient qui nous joue des mauvais tours et peut nous empêcher de nous accomplir professionnellement. Mais comment faire pour arrêter de s’auto-saboter ? La psychologue clinicienne Johanna Rozenblum nous éclaire sur le sujet.

L’auto-sabotage : un mécanisme inconscient

Imaginez : il est 4 heures du matin, dans quelques heures vous devez monter sur scène pour présenter l’éminent projet sur lequel vous planchez depuis trois mois, le genre d’événement qui peut littéralement changer votre carrière. Et pourtant vous êtes là, au bar, en train de refaire le monde avec un ami de comptoir rencontré une heure plus tôt. Oui bien sûr, on a tous droit à des petits moments de lâcher prise (pas de jugement), mais s’infliger une nuit blanche alcoolisée la veille du big day n’était-il pas évitable pour se mettre dans de meilleures conditions ? Comme une envie de se mettre au contraire des bâtons dans les roues semble t-il…

Si ce genre de situations vous est familières, c’est peut être que vous souffrez du syndrôme de l’auto-sabotage, comme le diagnostique la psychologue clinicienne Johanna Rozenblum : « L’auto-sabotage est un mécanisme inconscient de mise en échec par des comportements et des actions de l’individu qui en souffre. Comme par exemple, se présenter sale et mal habillé à un rendez-vous important alors que d’habitude, on est toujours tiré à quatre épingles. » Pire, ces attitudes nocives se manifestent à la faveur des moments importants de notre vie, précise la thérapeute : « Ces comportements se mettent en place dans les situations qui impliquent de grands enjeux, des grands tournants dans notre vie, que ce soit professionnellement ou personnellement. C’est typiquement l’exemple de l’étudiant qui a travaillé toute l’année mais qui ne se met pas à son réveil le jour de ses examens et ne se présente pas à ses partiels. » En sabotant ces moments décisifs, on fait ainsi soi-même barrière à l’accomplissement de ses objectifs. Mais comment se fait-il qu’on en arrive à agir ainsi ? Pour le comprendre, il faut revenir à la source de nos maux.

Des causes liées à l’enfance

Ce syndrôme repose sur nos peurs et nos doutes, et ces derniers ne surviennent pas du jour au lendemain mais se construisent dans notre histoire. Comme la peur de ne pas répondre aux attentes sociales, professionnelles, familiales… « Tout part de croyances négatives comme : ne pas mériter la réussite, ne pas être suffisamment aimé, légitime, etc. Et comme c’est souvent très fortement ancré en soi depuis l’enfance, on a encore plus de mal à faire le lien. D’ailleurs, la personne qui s’auto-sabote s’en défend toujours en accusant des circonstances extérieures : “oui mais on ne m’a pas laissé suffisamment de temps pour accomplir mon projet”, “oui mais si vous organisez un pot de départ avant que je prenne la parole en public aussi…”, etc. Il y a toujours une bonne raison qui évite à la personne de réaliser qu’elle se met elle-même en défaut », analyse la psychologue.

Peur du changement, difficulté à sortir de son quotidien et/ou de sa zone de confort, troubles anxieux, phobies etc. Souvent, ces peurs sont liées à des situations ayant abouti à des échecs non digérés : « Ces échecs n’ont pas été compris dans l’enfance par une discussion avec les parents, par du réconfort, de la motivation… et ils sont devenus des règles, analyse l’experte. Une blessure profonde qui refait surface dans la vie adulte. » Par exemple, si un professeur nous a envoyé au tableau et nous a humilié devant les autres élèves de la classe, on peut éprouver beaucoup de difficultés à s’exprimer devant une assemblée, même quinze ans après les faits. Et pour éviter de raviver la blessure on va alors mettre en place ces mécanismes inconscients d’auto-sabotage pour ne pas avoir à se confronter à la difficulté et au risque d’échec mais du coup, on se protège aussi de réussir.

Cousin du syndrome de l’imposteur ?

L’éducation, la personnalité, ou encore un manque d’estime de soi à cause d’une construction narcissique qui ne s’est pas faite dans l’enfance peuvent également être à l’origine de nos croyances limitantes. Oui car derrière la mise en échec de l’auto-sabotage, se cache aussi l’idée qu’on ne mérite pas le succès, ce qui n’est pas sans rappeler un autre syndrome bien connu : le syndrome de l’imposteur. Mais la ressemblance s’arrête ici pour la psychologue qui différencie bien les deux syndromes « L’auto-sabotage est une barrière à l’accomplissement : “je ne me sens pas à la hauteur de l’événement donc je fais en sorte de ne pas l’être”, alors que le syndrome de l’imposteur, lui, n’empêche pas de faire les choses. » Souffrir du syndrome de l’imposteur, c’est garder à l’esprit en permanence qu’on ne mérite pas le poste que l’on occupe, que les RH qui nous ont recruté se sont trompés sur nous en nous attribuant des capacités que l’on n’a pas etc. C’est avoir le sentiment d’être en imposture donc, - ce qui peut être très lourd à porter - mais qui n’empêche cependant pas d’occuper ses fonctions.

Identifier l’auto-sabotage

La praticienne détaille quatre grands comportements d’auto-sabotage à surveiller de près :

  • La procrastination : des difficultés à gérer son temps, à passer à l’action, parfois un manque d’élan, de motivation. C’est commencer à travailler sur un projet la veille pour le lendemain, considérer qu’une tâche n’est pas importante alors qu’elle l’est, se mettre systématiquement en retard dans le rendu de ses dossiers etc.

  • Le perfectionnisme : devoir faire un compte-rendu, un mémoire… bref un projet à rendre avec une deadline, et considérer que notre travail n’est jamais assez bien pour être montré. Résultat, on ne rend jamais ses projets ce qui nous évite d’être évalué et de se confronter à la critique.

  • La fausse excuse : « C’est pas moi, c’est… » ou « oui, mais… », soit la tendance à toujours accuser des facteurs externes (les autres, l’environnement, les conditions etc.) plutôt que d’assumer sa responsabilité dans la mise en échec.

  • Ne jamais rien terminer : ne pas aller au bout des choses malgré le bout de chemin parcouru comme passer toutes les étapes d’un process de recrutement mais ne pas se présenter au dernier entretien.

Bien sûr, il peut arriver à tout un chacun d’adopter un ou plusieurs des comportements énumérés sans qu’il y ait besoin de s’alarmer : « L’événement isolé peut nous révéler que l’on a pris une mauvaise voie ou une mauvaise décision. Cela peut même être bénéfique de s’écouter un petit peu… », précise l’experte. On parlera alors d’acte manqué comme par exemple le fait d’avoir loupé son train et d’être arrivé une heure en retard à un rendez-vous important.

En revanche, l’auto-sabotage va s’inscrire dans un mécanisme récurrent, qui se chronicise avec le temps, par exemple : « Je veux vraiment ce poste pourtant ça fait plusieurs fois que j’arrive 1h en retard à l’entretien d’embauche ». C’est cette répétition, cette récurrence qui doit attirer notre attention.

Les solutions pour l’éradiquer

Une fois ce schéma comportemental repéré, il est possible de développer des stratégies d’adaptation pour contrer ces mécanismes d’auto-sabotage. La psychologue nous donne quelques clés pour y arriver :

  • Demander de l’aide à son entourage : Leur parler de nos difficultés et ne pas hésiter à les solliciter. Comme aller dormir chez un ami la veille d’un rdv important pour qu’il s’assure qu’on sera bien à l’heure le jour J ou pour se rapprocher du lieu de rdv et éviter de louper son train.

  • Se discipliner : S’imposer des règles de conduite pour se mettre dans de bonnes conditions psychologiques et mieux faire face aux situations à enjeux. Par exemple, s’interdire de sortir certains soirs de la semaine, préparer toujours ses entretiens d’embauche deux jours avant la date et non 15 minutes avant, caler ses rendez-vous plutôt en fin d’après-midi si on n’est pas du matin etc.

  • Anticiper : Etant donné que le syndrome d’auto-sabotage se manifeste à l’occasion d’événements décisifs dans la vie ou la carrière, à chacun de redoubler de vigilance lorsqu’ils se présentent. Au moment de changer de job par exemple, on peut consulter un thérapeute pour qu’il nous aide à poser un cadre qui va nous éviter de reproduire certains comportements nocifs.

Si ces méthodes peuvent nous aider à mieux gérer l’aspect comportemental de ce trouble, Johanna Rozenblum recommande tout de même dans tous les cas de faire une thérapie auprès d’un professionnel « On ne doit pas négliger la dimension cognitive de ce syndrome c’est-à-dire la compréhension de ces patterns bien ancrés, c’est bien ce qui va permettre au bout du compte d’arrêter de s’auto-saboter. »

Alors pour s’éviter des potentielles souffrances liées à nos mises en échec inconscientes, il ne faut pas hésiter à opérer une petite introspection pour s’assurer qu’on ne souffre pas de ce syndrome destructeur. Oui car à terme, ce dernier peut vraiment nous conforter dans l’idée que nous n’arriverons jamais à atteindre nos objectifs. Alors sus à cet ennemi intérieur, et place à notre accomplissement professionnel et personnel.

Article édité par Gabrielle Predko, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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