Mobilité domicile-travail : quelles tendances pour demain ?

Jan 05, 2021

10 mins

Mobilité domicile-travail : quelles tendances pour demain ?
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Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Claire Kadjar

Rédactrice

Avec la généralisation du télétravail, la crise sanitaire a-t-elle définitivement mis fin au vieux triptyque « métro-boulot-dodo » ? Une chose est sûre, la pandémie a accéléré certaines tendances préexistantes, soulevant de nouveaux enjeux pour les entreprises en matière de mobilité. Engouement des salarié.e.s pour le télétravail, abandon des transports publics en faveur des mobilités douces, migrations des villes vers « la campagne »… Des changements qui s’ancrent durablement et que les entreprises se doivent de prendre en compte, pour s’adapter au monde post-covid.
Tour d’horizon des nouvelles tendances de la mobilité, ainsi que des solutions qui s’offrent aux managers et leaders RH pour imaginer une politique de mobilité plus en phase avec les attentes de leurs collaborateurs.trices.

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Comment appréhender le futur de la mobilité post-Covid-19 ?

Souvenez-vous de l’avant-covid. Le télétravail se développait progressivement, les mobilités douces gagnaient du terrain (ex : vélos et trottinettes électriques), l’environnement était une préoccupation majeure des Français.ses, le flight shaming était en vogue… Loin d’avoir disparues, ces tendances de fond n’ont fait que s’exacerber avec la crise.

S’il est encore trop tôt pour dessiner précisément les contours de la mobilité post-covid, il est possible d’identifier quelques quasi-certitudes structurantes pour l’avenir du secteur afin de permettre aux entreprises d’adapter dès aujourd’hui leur politique mobilité. En voici 4 :

Il faudra s’adapter au duo « présentiel- distanciel »

Rappelons qu’avant la pandémie, seules 8% des entreprises françaises avaient instauré le télétravail pour plus du quart de leurs salarié.e.s. Pendant le confinement, ce sont 45% d’entre elles qui l’ont développé à temps plein pour la quasi-totalité de leurs équipes. Un basculement qui a été quelque peu difficile au début de la crise sanitaire, du fait de son adoption dans l’urgence et de la fermeture des écoles. Mais, par la suite, l’expérience s’est globalement bien déroulée. Les entreprises se sont réorganisées et ont déployé des outils digitaux pour faciliter le travail à distance (ex : Zoom et Klaxoon) ; ce qui indique qu’elles ont durablement franchi une étape clé dans le déploiement de ce mode de travail.

Côté salarié.e.s, l’expérience a aussi été plutôt bien accueillie. Selon un sondage réalisé en avril dernier par Deskeo, 62% des Français.ses souhaitaient faire plus de télétravail après le confinement, citant comme raison principale « gagner du temps dans les transports » (38%).

Cependant, comme on a pu le constater lors du déconfinement (de mai à octobre), où il y a eu un retour massif et soudain des salarié.e.s au bureau, de nombreuses entreprises sont encore attachées au concept de présentiel, pour des raisons de contrôle mais aussi pour préserver leur culture d’entreprise. Par ailleurs, on a pu se rendre compte que le full-remote ne convenait pas à tous/toutes les salarié.e.s. Certain.e.s ont souhaité revenir d’eux/elles-mêmes au bureau en mai pour retrouver un cadre de travail et des interactions sociales, comme les fameuses conversations à la machine à café.

Si le travail à distance va indéniablement davantage s’imposer à l’avenir, le présentiel ne va sans doute pas disparaître de sitôt. D’après la 2e édition de l’enquête “Work Reworked” publiée en octobre, 90 % des dirigeant.e.s se disent prêt.e.s à adopter durablement le “travail hybride”, un mode de travail à mi-chemin entre le travail présentiel et celui à distance. C’est notamment la direction que souhaite prendre BlablaLines, l’appli de covoiturage domicile-travail de BlaBlaCar. Selon Adrien Tahon, Directeur Général chez BlaBlaLines : « Tout l’enjeu pour nous est de garder une culture d’entreprise forte, avec des moments en présentiel, tout en proposant plus de télétravail aux métiers qui le permettent. »

Vers une mobilité choisie, frugale, individuelle et active

Dans une enquête de Forum Vie Mobile en avril 2020 (Think Tank de la SNCF), 53% des personnes interrogées acquiesçaient à un « rationnement des déplacements » ; un terme fort, selon Bruno Marzloff, sociologue et prospectiviste français spécialisé sur les questions de mobilité, qui dit bien cette volonté de vouloir réduire ce qui est obligatoire. Maintenant que la crise et le télétravail ont rendu cette réduction des trajets domicile-travail possible, il est probable que les salarié.e.s soient plus réticent.tes à l’avenir à se déplacer. Ils/elles souhaiteront sûrement être plus maîtres/maîtresses de leur mobilité ; choisir quand se rendre au bureau, à quelle fréquence et comment.

À moins que les transports collectifs ne garantissent une meilleure protection sanitaire des usagers, il est probable que les salarié.e.s continuent de se tourner vers d’autres modes de mobilité “moins risqués”. D’après un article de Deloitte, Crise du Covid-19 : une occasion de redonner à la mobilité une orientation soutenable, « la mobilité individuelle risque, au moins temporairement, de prendre le pas sur la mobilité collective afin de perpétuer le principe de distanciation sociale institué durant le confinement. »

Si certains.nes vont inévitablement se tourner vers la voiture individuelle, d’autres, notamment dans les milieux urbains, préféreront opter pour des mobilités douces/actives et moins polluantes, comme le vélo ou la marche. D’ailleurs, le vélo a connu un essor fulgurant durant la crise sanitaire. Selon des chiffres de l’Union Sport et Cycle (syndicat professionnel des entreprises de la filière du sport, des loisirs et du cycle), entre le 12 mai et le 12 juin, les ventes de vélos neufs en France ont progressé de 117 %. Et entre mai et août, les pistes cyclables ont attiré 67% de vélos supplémentaires par rapport à 2019. Pour répondre à cette forte affluence, plusieurs municipalités ont mis en place ou étendu depuis le début de la crise Covid-19 des pistes cyclables (les “coronapistes”) et des zones de rencontre, où piétons, vélos et voitures peuvent se déplacer à une vitesse limitée à 20 km/h. D’après Deloitte, ces mesures pourraient devenir pérennes et favoriser l’essor des micro-mobilités (ex: vélo, marche ou trottinette…) dans les centres villes.

Les entreprises se relocaliseront (en partie) en province

Si pendant longtemps l’emploi avait une forte incidence sur le choix du lieu de vie des salarié.e.s, cela semble être de moins en moins le cas depuis quelques années et surtout depuis le début de la crise sanitaire et la généralisation du télétravail. Selon Bruno Marzloff : « Il y a de moins en moins de superposition du travail et du logement. » Beaucoup de salarié.e.s, notamment ceux ayant des familles, souhaitent privilégier leur qualité de vie et “se mettre au vert”, même si cela implique d’être éloigné.e.s de leur bureau.

Selon une étude réalisée par « Paris je te quitte », un média qui accompagne les Parisiens à changer de ville, ils étaient 38% à vouloir quitter Paris avant le confinement. Ils sont aujourd’hui 54%. La tendance touche surtout les cadres parisiens puisque, selon une étude Cadremploi d’août 2020, ils sont 83 % à envisager une mobilité régionale. Parmi les principales raisons invoquées : rejoindre un environnement moins stressant (59%), plus proche de la nature (59%) et accéder à une vie plus simple (57%).

Selon Bruno Marzloff, cette « démétropolisation » symbolise un rejet des grandes métropoles et de leurs excès (ex: pollution, bruit, manque de nature…) au profit d’une qualité de vie meilleure dans des villes petites et moyennes : « on veut la ville sans la ville (sans ses perversités) » ajoute-t il.

Ainsi, pour retenir leurs talents, les entreprises devront éventuellement envisager de créer des antennes régionales (et non plus un siège unique à Paris) et proposer des solutions de mobilités adaptées pour les salarié.e.s souhaitant s’installer en province.

Le covoiturage a un bel avenir devant lui

La ministre de la Transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, a annoncé en 2019 qu’elle voulait faire tripler la part du covoiturage domicile-travail en cinq ans, en multipliant les initiatives pour faire reculer « l’autosolisme ».

Un projet ambitieux qui permettrait de réduire d’un million le nombre de voitures sur les routes, et ainsi limiter les embouteillages et les émissions de CO2. Une solution de mobilité qui offre beaucoup de potentiel, d’autant que 70 % des déplacements domicile-travail se font en voiture, et le plus souvent avec une seule personne à bord. Selon Adrien Tahon : « Le trajet moyen domicile-travail sur BlaBlaLines est d’environ 30 km. Un trajet assez long, qui correspond à une réalité en dehors des centres urbains, où les gens habitent à 30, 40 voire 50 km de leur lieu de travail. Le faire tout seul dans les bouchons est souvent une source énorme de stress. » BlablaLines a calculé qu’un/une travailleur.euse français.e passait en moyenne une semaine par an dans les bouchons. En plus de réduire les embouteillages, le covoiturage est moins risqué d’un point de vue sanitaire que les transports publics (2 ou 3 personnes en moyenne par voiture selon BlaBlaLines) et permet de faire des économies en partageant le coût de la course (jusqu’à 2000€/an d’économies pour un/une conducteur.trice régulier.ère toujours selon BlablaLines). Autant d’avantages qui promettent un bel avenir au covoiturage dans les années à venir.

Face à ces nouvelles tendances post-covid qui semblent s’ancrer dans l’avenir, comment les entreprises peuvent-elles (re)définir leur plan de mobilité ?

Quel plan de mobilité les entreprises peuvent-elles mettre en place en 2021 ?

Si le plan de mobilité peut être une démarche volontariste, il est pour certaines entreprises une obligation légale. Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur la Transition Énergétique et pour la Croissance Verte, le 1er janvier 2018, toutes les entreprises regroupant plus de 100 salariés sur un même site doivent élaborer un Plan de mobilité (PDM) pour améliorer la mobilité de leur personnel, mais aussi pour diminuer les émissions polluantes et réduire le trafic routier. Voici quelques astuces à destination des RH pour réaliser un PDM plus en phase avec les nouvelles tendances de mobilité des salarié.e.s français.es en 2021 :

Première étape : la collecte des besoins

Pour établir un plan de mobilité en phase avec les enjeux actuels, il est avant tout essentiel d’enquêter auprès des salarié.e.s sur leurs modes de déplacement actuel, leurs besoins, leurs attentes pour l’avenir… Un travail de recherche particulièrement important à l’heure où les comportements de mobilités sont en train d’être redessinés. C’est notamment ce que fait BlablaLines. « On est actuellement en train de collecter toutes les idées, voix, contraintes, pour créer une politique de mobilité globale qui ait du sens pour tout le monde. » explique Adrien Tahon. Enfin, il est nécessaire de planifier les actions et estimer leur coût.

Définir des actions concrètes répondant aux besoins

À chaque entreprise de mettre en place les actions qui permettront d’optimiser et de rationaliser au mieux les déplacements liés à son activité. Voici quelques pistes :

  • Délocaliser les bureaux en province ou louer des espaces de coworking. Pour permettre aux collaborateurs.trices de bénéficier d’une meilleure qualité de vie, tout en gardant des “points de chute” nécessaires pour entretenir une culture d’entreprise forte en présentiel, certaines entreprises délocalisent leurs bureaux. Le confinement a été le déclic pour de nombreuses entreprises, comme Betclic qui s’est installé à Nantes, Fago à Nantes ou LiveMentor à Aix-en-Provence. LiveMentor s’est organisée pour proposer à ses salariés plusieurs possibilités : rejoindre l’entreprise dans le Sud en bénéficiant d’une prime couvrant les frais de déménagement, continuer à travailler à Paris dans des bureaux plus petits, ou opter pour le télétravail à temps-plein. Autre solution : louer des espaces de « coworking » pour ses salarié.e.s délocalisé.e.s. Des entreprises, comme WeWork, proposent des solutions pour développer un réseau de bureaux satellites.

  • “Verdir” sa flotte d’entreprise. Le volontarisme gouvernemental, les nombreux dispositifs de subventions et l’avènement de technologies innovantes en matière de véhicules électriques, incitent de plus en plus d’entreprises à « verdir » leur flotte auto. C’est le cas de Léa Nature, fabricant de produits bio (1600 salariés), qui s’est engagée à faire évoluer son parc auto avec des voitures propres. « Notre flotte est composée de 400 véhicules dont 170 sont destinés à la force de vente. Depuis 5 ans, les véhicules diesel sont peu à peu remplacés par des véhicules électriques, hybrides et/ou essence. Notre objectif est d’atteindre zéro diesel à fin 2021 », détaille Thierry Lasvergnas, directeur du Pôle Gestion Commerciale et du Facility Services, dans un article pour les Echos. En plus, pour réduire son empreinte carbone, l’entreprise a lancé un programme de formation à l’éco-conduite pour sa force de vente.[. En plus, pour réduire son empreinte carbone, l’entreprise a aussi lancé un programme de formation à l’éco-conduite pour sa force de vente.

  • Instaurer le télétravail à la carte. Il apparaît aujourd’hui indispensable d’intégrer le télétravail dans son plan de mobilité pour offrir plus de flexibilité aux salarié.e.s. Cela étant dit, il est important de permettre à chacun.e de choisir le rythme qui lui convient le mieux, le tout en gardant des moments de team-building en présentiel. Pour cette raison BlablaLines réfléchit au fait d’instaurer le télétravail “à la carte” ; permettant soit d’être en full-remote (avec quelques jours au bureau par mois) soit de venir au bureau tous les jours, avec la possibilité de faire du télétravail ponctuellement. « Je pense qu’à l’avenir il y aura, au sein d’une même entreprise, une multitude de cas différents ; salarié.e en télétravail complet ou partiel, habitant en ville où à la campagne, étant plus ou moins proche du siège… Il faudra donc proposer des solutions qui marchent pour tout le monde. » précise Adrien Tahon.

  • Optimiser l’expérience en transports en commun. Ces actions peuvent concerner l’amélioration de la desserte en transport en commun des sites ou encore la mise en place de navettes dédiées (ex : les bus de Google). En cette période de crise, l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) recommande de moduler les horaires de travail pour privilégier les heures d’arrivée au travail où l’affluence dans les transports en commun est plus faible. « Un écart de trente minutes est suffisant pour améliorer significativement les conditions de transport. Or, un tel décalage permet de ne pas trop désorganiser la coordination des activités quotidiennes », souligne Christophe Saintillan, directeur général adjoint chargé des transports de la région Ile-de-France, dans un article publié du Monde.. Par exemple, RTE, le gestionnaire du réseau public d’électricité, a lancé un plan de déplacement d’entreprise en 2011, permettant à 65% de ses salarié.e.s franciliens d’arriver entre 8h30 et 9h30 et ce, afin qu’ils/elles se déplacent mieux et moins longtemps.

  • Impulser la “vélodynamique”. La récente enquête « vélo et employeurs » menée par Ekodev à la suite du confinement révèle que « seuls 31 % des employeurs ont mis en place une politique en faveur du vélo ». Pourtant, 39% des répondants, dont le mode de transport n’est pas le vélo, l’envisagent pour les mois à venir. Alors comment encourager la pratique du vélo ? Au centre François-Baclesse de Caen, les travailleurs.euses qui se rendent au travail en vélo électrique sont rémunérés 25 centimes au kilomètre parcouru. Quant à la société Pro BTP, elle propose à ses 800 salarié.e.s de Cagnes-sur-Mer des vélos électriques Bemobi. Des animations ont été organisées pour expliquer le fonctionnement de la station de recharge et faire essayer les vélos. Elle a aussi recruté des “transfèreurs”, des collabrateurs.trices mobilisé.e.s pour sensibiliser leurs collègues. Résultats : 2 jours après l’inauguration, une soixantaine de personnes étaient inscrites au programme.

  • Favoriser les mobilités douces. La loi LOM propose la mise en place d’un Forfait Mobilité Durable (FMD) allant jusqu’à 400€ par an par salarié.e, pour permettre aux salarié.e.s d’aller au travail en covoiturage ou en vélo. Grâce à ce forfait exonéré d’impôts et de cotisations sociales, les employeur.e.s peuvent contribuer facilement aux frais de déplacement de leurs salarié.e.s. D’après Adrien Tahon, l’avantage de ce forfait c’est qu’il permet à chacun.e de choisir la meilleure option de mobilité pour il/elle, en fonction de sa situation et de la distance qui le/la sépare du bureau. Bien qu’encore peu utilisé, le FMD séduit de plus en plus des sociétés de tailles variées. EDF, par exemple ou Naturalia, mais aussi de petites structures. Klaxit (covoiturage courte distance), PMP (conseil en stratégie) et Patchwork (espaces de coworking) l’ont ainsi adopté, via la carte de crédit dédiée à la mobilité de Betterway. Selon Adrien Tahon, le cadre législatif actuel est très favorable pour un basculement vers une politique de mobilité d’entreprise plus axée sur les mobilités douces.

  • Lire aussi : Plongée dans l’Histoire folle des déplacements domicile-travail

La crise sanitaire a accéléré certaines tendances de mobilité préexistantes faisant émerger de nouveaux comportements et attentes des salarié.e.s en matière de rythmes de travail, de mobilité géographique, de mobilités douces… Pour y répondre, mais aussi pour inciter les travailleurs.euses à revenir au bureau, les entreprises vont devoir revoir leur organisation et proposer un plan de mobilité attractif. Et quel meilleur moment que le début de la nouvelle année pour lancer une toute nouvelle politique mobilité ?

Photo par Thomas Decamps pour WTTJ

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