Le phénomène du ghosting : quand les candidats ne répondent plus...

Feb 11, 2020

7 mins

Le phénomène du ghosting : quand les candidats ne répondent plus...
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Cécile Nadaï

Fondatrice de Dea Dia

Quiconque a déjà cherché un emploi s’est probablement retrouvé confronté au silence douloureux d’un recruteur après avoir postulé à une offre ou même passé un entretien. C’est ce qu’on appelle le ghosting. Mais ce phénomène touche désormais également les recruteurs, de plus en plus souvent victimes de candidats qui disparaissent dans la nature… Comment expliquer ce nouveau phénomène ? Quelles sont ses conséquences ? Que risquent les candidats qui s’y essaient ? Comment faire autrement ?

Le ghosting, une définition

Le terme ghosting est tiré de l’anglais ghost, fantôme. L’équivalent français de ce terme pourrait être l’expression “faire le mort” à prendre au sens figuré et qui signifie “disparaître sans un mot”.

En matière de recrutement, cela désigne le fait, pour un candidat, de ne plus donner suite au cours d’un processus de recrutement. Recruteur et candidat s’échangent des messages, se rencontrent lors d’un entretien, définissent même parfois une date de prise de fonctions, tout se passe bien jusqu’à ce que le candidat cesse de répondre aux messages et ne donne plus signe de vie. Le recruteur s’est fait “ghoster”. Or, le cabinet de recrutement international Robert Half a constaté une augmentation de 10 à 20% de cette pratique au cours de l’année 2018. Alors, comment expliquer cette tendance ?

Les causes du phénomène

L’embarras du choix

Ce sont dans les domaines et secteurs où les entreprises peinent à recruter que le ghosting est le plus courant. C’est le cas par exemple des métiers du “data-scientisme” ou du développement informatique. D’après Pôle Emploi, le développement et la maintenance informatique sont les 2 secteurs qui recrutent le plus, avec des embauches qui ne cessent d’augmenter : d’ici à 2022, on estime à 191 000 le nombre de postes qui seront à pourvoir contre 88310 en 2019. C’est bien plus que dans les autres secteurs d’activité.

Kilian, 29 ans, développeur, raconte : « Quand j’ai débuté, je passais 5 ou 6 entretiens par semaine facile, j’avais l’embarras du choix et c’est vrai que je ne prenais pas forcément la peine de répondre à toutes les boîtes qui me rappelaient. Je n’avais pas le temps ! »

C’est aussi le cas dans le secteur du bâtiment, qui a bien du mal à attirer de nouvelles recrues, comme l’indique la fédération française du bâtiment. Gabriel, artisan ébéniste, explique : « J’ai un mal fou à recruter ! Et même quand j’y parviens, je ne suis jamais à l’abri de me faire planter du jour au lendemain. C’est arrivé à plusieurs reprises que de nouveaux employés travaillent avec moi 2 ou 3 jours d’affilée, tout se passe bien et puis, un matin, ils ne viennent pas et je n’ai plus jamais de nouvelles. Quand j’arrive finalement à les joindre, ce qui est rare, leur réponse est toujours la même : trop difficile, il fait froid, on se lève trop tôt, etc. Pourtant, je leur propose un CDI et je suis super-sympa comme patron » ajoute-t-il en riant. Dans les secteurs où les candidats sont rares, ces derniers peuvent donc se permettre d’être exigeants… et pas toujours respectueux.

La quête de sens et l’exigence

Les nouvelles générations ne perçoivent pas le travail comme les précédentes. D’après une étude du cabinet Mazars, pour les générations Y et Z (si vous êtes né après 1980, vous en faites partie !) les éléments déterminants de bien-être au travail sont la rémunération, la convivialité au sein de l’entreprise et l’intérêt du poste. Et les candidats n’hésitent pas à disparaître s’ils sentent que ces conditions ne sont pas réunies. Kilian confirme : « Si je sens que ça ne va pas le faire, j’arrête tout. Une fois, c’était parce que le recruteur était super rigide sur les horaires, j’ai senti que l’ambiance n’allait pas me plaire alors j’ai décidé de ne pas donner suite. Et j’avoue, je n’ai pas prévenu. »

Un juste retour des choses

Pour certains candidats fantômes, les recruteurs ne font que recevoir la monnaie de leur pièce. Assez froidement, Sophie, 28 ans, data scientist dans une agence parisienne, rappelle : « J’ai vu ma grande soeur, au chômage durant 8 mois, pleurer parce qu’après plusieurs entretiens, les entreprises ne la rappelaient tout simplement jamais. Elle attendait, attendait… et rien. Un vrai manque de respect particulièrement destructeur pour l’ego quand on est déjà fragilisée par plusieurs mois de chômage. C’est monnaie courante dans leur métier donc qu’ils ne s’étonnent pas de subir le même traitement. Personnellement, je trouve que ce n’est qu’un juste retour des choses. Faut pas s’attendre à recevoir du respect quand on n’en donne pas. »

Des processus de recrutement trop longs

Dans d’autres cas, c’est la longueur du processus de recrutement qui est en cause. Ce dernier est d’ailleurs en moyenne en France, selon une étude de MichaelPage réalisée en 2019, de 5 semaines et représente 2 à 3 entretiens en moyenne. Pour Sophie, c’est une évidence : « Si une entreprise convoque un candidat jusqu’à 5 ou 6 fois pour des entretiens avec, entre chaque entretien, plusieurs jours voire quelques semaines de délais, il n’est pas étonnant que les candidats s’impatientent. C’est aussi une question de respect. Un recruteur qui sait ce qu’il veut devrait être en mesure de choisir un candidat plus rapidement. Sinon, il s’expose à voir ses candidats favoris s’impatienter ou tout simplement être recrutés par une autre entreprise, plus rapide à faire son choix. »

Quitter sans quitter

Mais pourquoi ne pas prévenir ou tout simplement répondre au téléphone quand le recruteur appelle ? Pour Kilian, l’explication est simple : « Il faut bien l’avouer, c’est plus facile. En fuyant, on s’épargne une conversation difficile au cours de laquelle on doit s’expliquer, se justifier, répondre à des questions auxquelles on n’a même pas forcément de réponses. On ne répond plus parce qu’on n’a pas envie de bosser pour cette boîte. C’est tout. Pas besoin d’explications supplémentaires. »

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Et si les causes étaient plus profondes ?

Mais pour certains, loin d’être uniquement lié à une conjoncture favorable aux candidats, le ghosting serait le symptôme d’un mal plus profond qui ne toucherait pas seulement le marché de l’emploi mais toutes les sphères de la société.

Quitter son job comme un “date

Un article du Washington Post de décembre 2018 estime qu’en matière d’emploi « les travailleurs commencent à se comporter comme sur Tinder : ils quittent leur emploi comme un mauvais rendez-vous. »

L’analogie avec les ruptures amoureuses n’est pas un hasard. Le terme ghosting, apparu pour la première fois dans un dictionnaire américain en 2016, vient précisément du monde des rencontres en ligne, où ghoster signifie ne plus donner signe de vie après un premier rendez-vous. La seule étude concernant le ghosting sur les sites de rencontre date de 2014 et a été réalisée aux Etats-Unis par YouGov et The Huffington Post. Elle révélait que 11% des personnes interrogées avaient déjà été ghostées et 10% d’entre elles avaient déjà eu recours à cette méthode pour quitter quelqu’un.

Bien qu’elle ne soit pas nouvelle, cette méthode de rupture s’est donc généralisée sur les sites de rencontre et s’étend aujourd’hui au secteur du recrutement, avec des candidats qui cessent tout simplement de répondre aux messages de leur recruteur après un premier entretien. Est-ce le signe que cette manière de faire devient tout simplement la norme ?

Un phénomène qui se généralise

Bénédicte, qui tient un restaurant avec son mari à Bordeaux, en est certaine : « Bien sûr, on a déjà été ghosté par des employés après un premier entretien mais pour moi, le plus gros problème au quotidien, c’est le ghosting des clients ! Ce qu’on appelle le NoShow. Des gens qui réservent une table mais ne viennent jamais et ne prennent pas la peine de prévenir. Et ça, ça nous arrive tous les jours ! C’est un vrai problème pour nous et pour tous les restaurateurs. »

Mickaël, dermatologue, fait le même constat : « c’est incroyable le nombre de personnes qui prennent des rendez-vous et ne viennent tout simplement pas, sans prendre la peine de prévenir pour libérer le créneau pour un autre patient ! »

Individualisme, inconséquence ou nouvelle manière d’envisager les rapports humains ? Difficile à dire mais pour certains, les coupables sont tout trouvés : « ce sont LES JEUNES ! »

Un problème générationnel ?

Pour Bénédicte, Michaël et Gabriel, le problème est avant tout générationnel. Bénédicte explique notamment que les candidats qui se comportent de cette façon ont tous moins de 30 ans. Gabriel fait le même constat. « Je n’ai que 45 ans mais j’ai vraiment l’impression que c’était pas comme ça avant. Moi, en tout cas, ça ne me serait jamais venu à l’esprit de faire ça à un patron. Pourtant à l’époque, on avait moins de moyens de communication qu’aujourd’hui. »

Une enquête LinkedIn semble leur donner raison en reconnaissant que le phénomène du ghosting ne concernerait que des candidats âgés de moins de 35 ans. Dans cette étude, des recruteurs d’entreprises de bâtiment ou de restauration rapide expliquent qu’il est aujourd’hui très fréquent de voir des candidats disparaître au cours du processus de recrutement ou même de ne jamais se présenter le jour de leur prise de fonction. Pour l’un d’eux, ce phénomène est « lié à l’état d’esprit des nouvelles générations qui change : moins d’engagement dans le milieu professionnel, plus d’individualisme. »

Aucune étude sociologique ne permet de confirmer ce ressenti mais ils sont nombreux à partager cet avis. Dans cette même enquête, Amanda Bradford, CEO de The League, une application de dating, explique que le ghosting est presque devenu un nouveau langage pour les jeunes générations. « Sur les applis de rencontre, “zéro réponse est la réponse” et aujourd’hui, ce comportement s’étend au marché du travail » analyse l’entrepreneuse elle-même victime de candidats… fantômes.

Quelles conséquences pour les candidats fantômes ?

Un risque pour l’e-réputation

S’il peut sembler simple de disparaître dans la nature et de ne pas répondre au téléphone pour éviter une conversation gênante, il convient tout de même de rappeler qu’aujourd’hui, l’anonymat n’existe plus. Que vous soyez en recherche d’emploi ou en activité, il y a des chances que vous soyez inscrit sur Twitter ou LinkedIn. Et si le recruteur que vous avez superbement ignoré vous y interpellait en soulignant votre manque de correction, votre lâcheté ou votre absence de fiabilité ? Un risque non négligeable qui pourrait ternir votre image aux yeux de tout votre réseau.

Le monde est petit et la roue tourne

Une carrière, c’est long. Sur le chemin, il n’est pas rare de recroiser des personnes qu’on pensait ne jamais revoir. Mieux vaut donc éviter de laisser des mauvais souvenirs derrière soi. De plus, garder le contact avec des recruteurs est un bon moyen de pouvoir rebondir quand on traverse une phase difficile. Ces personnes pourraient faire partie de votre réseau et même, qui sait, vous être d’une grande aide à l’avenir, si vous les traitez correctement. Pensez-y…

Mais alors, comment éviter de ghoster ?

« Connais-toi toi-même » disait Socrate

À priori, si vous apprenez à décrypter une fiche de poste, que vous faites des recherches sur l’entreprise avant de vous rendre à un entretien, que vous savez ce qui vous convient et ce qui est pour vous rédhibitoire, vous devriez éviter de vous retrouver en situation de ghoster un recruteur puisque vous ne donnerez de suite qu’à des offres qui vous correspondent vraiment !

Prenez vos responsabilités

Si malgré tout vous changez d’avis au cours du processus de recrutement, assumez-le et dites-le ! Cette marque d’honnêteté, de respect et de maturité ne pourra pas vous être reproché. Si vous n’avez pas le courage de le faire à l’oral, prenez au moins le temps de le faire à l’écrit, par mail par exemple. Vous pouvez également le faire directement lors de votre entretien. Certains recruteurs n’hésitent pas à faire des feedback immédiats (également appelés des feedback à chaud) aux candidats, pourquoi ne pas faire de même ? Vous verrez, vous en sortirez soulagé ! Car au fond, soyons honnêtes, on n’est jamais fier de ghoster son prochain… « J’avoue, nous dit Kilian, quand j’ai planté mon employeur sans le prévenir le jour de mon embauche, je n’étais pas fier de moi. Aujourd’hui encore, quand j’y pense, j’ai un peu honte. J’espère bien ne jamais le recroiser ! »

Photo d’illustration by WTTJ