« Avec la crise, je ne me projette plus dans un travail qui ne soit pas engagé »

Apr 22, 2020

7 mins

« Avec la crise, je ne me projette plus dans un travail qui ne soit pas engagé »
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Alexandre Nessler

Journaliste - Welcome to the Jungle

Laura se trouve à un moment charnière de sa vie. En 2019, encore étudiante et pas totalement convaincue par son Master en Intermédiation et développement social, elle cherche à voir plus clair dans son avenir professionnel. Tout ce qu’elle sait c’est que, comme beaucoup de personnes de son âge, elle souhaite changer le monde, ou du moins contribuer à son changement. Ce n’est qu’une fois diplômée, au cours d’un service civique qu’elle sent qu’elle a peut-être trouvé sa voie : le développement durable.

Si elle a peu à peu pris conscience de l’importance de mettre du sens dans son travail, c’est surtout cette expérience engagée qui a été l’élément déclencheur. Et le chamboulement que nous connaissons actuellement avec le coronavirus, n’a fait que renforcer cette prise de conscience, l’amenant même à exclure de son projet professionnel toute forme de travail non-engagé. Elle nous raconte son parcours plein de questionnements et sa soif d’engagement exacerbée par la crise.

Un projet flou mais des principes qui commencent à se dessiner

Lorsque j’ai commencé mes études, je dois avouer que je ne me posais pas vraiment de questions sur les principes que je devais défendre professionnellement ni sur le fonctionnement du monde qui m’entourait. Ce n’est que bien plus tard, et progressivement, qu’une véritable réflexion sur le sens de mon futur métier est née chez moi.

Comme beaucoup de jeunes bacheliers, je me suis lancée dans des études sans avoir de réel projet en tête… J’étais attirée par l’aspect créatif de la communication, alors je me suis inscrite dans une Licence info-com. Même si je suis allée au bout des trois années de formation, je me suis vite aperçue que je n’étais pas alignée avec le côté “savoir vendre à tout prix un produit”. Je trouvais qu’il y avait une sorte d’hypocrisie dans le fait d’inciter à acheter un produit quand il n’est clairement pas indispensable à celui qui l’achète. C’est une vision des choses que tout le monde ne partage pas, je sais, mais cela m’empêchait de me projeter dans ce milieu. En fait, j’aimais bien la communication en tant que profession, mais pas la cause consumériste qu’elle pouvait servir. Au fur et à mesure, cette incohérence entre le fond et la forme a fini par devenir flagrante à mes yeux et j’ai donc cherché à me réorienter à la fin de ma licence.

Je me suis vite aperçue que je n’étais pas alignée avec le côté “savoir vendre à tout prix un produit”.

Le seul truc, c’est que je n’avais pas de projet précis en tête. Je pense qu’à ce moment-là, déjà, se dessinaient les principes qui allaient se révéler plus tard inhérents à ma personnalité, même si je n’étais pas encore très sûre de moi. J’avais envie d’être dans l’action et d’avoir un impact, mais je ne savais pas encore comment. Je pense qu’à l’époque j’avais comme modèle mon père, qui avait monté sa propre société de conseil en gestion. Pour moi, l’entrepreneuriat offrait une liberté d’action, une autonomie, mais aussi une grande responsabilité, et c’est ce qui m’attirait à ce moment-là. Il avait aussi repris la direction du club de basketball de ma commune et je l’avais assisté dans la création d’une nouvelle dynamique autour des licenciés. J’avais vraiment apprécié la cohésion et la proximité qu’il y avait entre les membres du club et les licenciés, et je me souviens avoir pensé que c’était ce que je voulais retrouver dans mon futur métier. J’ai donc d’abord postulé à un master en Entrepreneuriat, en me disant que je pourrais, pourquoi pas, créer plus tard ma propre entreprise, mais mon dossier n’a pas été retenu car ils n’acceptaient que les personnes qui avaient déjà une idée d’entreprise à développer… Retour à la case départ.

J’avais envie d’être dans l’action et d’avoir un impact, mais je ne savais pas encore comment.

Finalement, il a suffit que ma mère me suggère innocemment un jour de chercher un cursus dans le social pour que je me dirige dans cette voie. En y repensant aujourd’hui, je me dis que c’est vraiment fou à quel point on peut être perdu au début de ses études, au point de faire des choix sur des détails comme celui-ci, presque par hasard. En tous cas, c’est comme cela que j’ai été prise dans un Master professionnel en Intermédiation et développement social. Mon objectif était alors de comprendre le fonctionnement des politiques publiques qui soutiennent socialement les Français. La société est tellement complexe je trouve, et les institutions publiques recouvrent tellement de sujets extrêmement larges, qu’il était difficile pour moi de trouver un point de départ d’où je pourrais éventuellement agir pour le bien commun. Du coup, j’ai visé large, avec l’envie de sortir de mon master avec des information utiles.

C’est vraiment fou à quel point on peut être perdu au début des études, au point de faire des choix sur des détails, presque par hasard.

Un métier utile : la condition sine qua non d’un travail qui a du sens ?

Pendant ce cursus, j’ai choisis de faire mon alternance à la Direction interrégionale des service pénitentiaires d’Occitanie, j’étais alors en charge du développement d’activités sportives dans les prisons de la région. J’étais ravie de découvrir la satisfaction que pouvait me procurer un métier à la fois intéressant et utile. Je croyais vraiment en ce que je faisais, car je pensais - et pense toujours - que c’est par ce type d’activités que le retour des détenus dans la société est facilité. Seul hic : cela impliquait beaucoup d’administratif… Il y avait un côté très “bureaucratique” dans lequel je ne me plaisais pas vraiment. Surtout, l’envie d’aller sur le terrain me démangeait, c’était difficile de ne pas voir le résultat de mon travail depuis mon bureau et le manque de contacts humains me frustrait. Finalement, à la fin de cette expérience et de mon Master, je n’ai pas eu encore envie de commencer à travailler pour de bon, comme si j’avais la sensation de ne pas encore m’être totalement trouvée. J’ai donc décidé de faire un service civique. Je me suis dit « C’est la transition idéale entre les études et le monde du travail. »

L’envie d’aller sur le terrain me démangeait, c’était difficile de ne pas voir le résultat de mon travail depuis mon bureau et le manque de contacts humains me frustrait.

Comme le développement durable est un des grands enjeux de notre époque et que je regrettais de ne pas avoir pu étudier le sujet en Master, je me suis tournée vers ce domaine-là pour réaliser mon service civique. J’ai fini par trouver une mission qui m’a tout de suite parlée : sensibiliser les étudiants et le personnel d’une grande école de commerce aux questions environnementales. Dès le début, j’ai compris l’importance et la noblese de ma mission. C’est là-bas que j’ai réalisé qu’en sensibilisant les futurs dirigeants de grandes entreprises au développement durable, je pourrais avoir un impact énorme sur la société. Je me suis à nouveau rendue compte de la satisfaction que pouvait procurer le fait d’être réellement utile, et découvert une passion pour le développement durable.

Je me suis à nouveau rendue compte de la satisfaction que pouvait procurer le fait d’être réellement utile.

En temps de crise, l’engagement prend tout son sens

Aujourd’hui, même si la fin de mon service civique a été précipitée par de l’arrivée du coronavirus, je sais que c’est dans cette voie que je souhaite poursuivre mon chemin. Plus encore avec la crise que nous traversons. J’interprète vraiment la pandémie comme un retour de flamme que l’Homme reçoit pour avoir porté atteinte à l’écosystème dans lequel il vit. En maltraitant la nature, en participant à l’extinction de nombreuses espèces, nous nous sommes exposés à ces conséquences malheureuses. En plus, je pense que le confinement nous a tous poussés à nous poser des questions sur notre consommation et sur la véritable nécessité des biens que l’on achète. Avait-on vraiment besoin de consommer frénétiquement comme on le faisait jusqu’à présent ? Je n’en suis pas sûre.

Pour moi, la crise nous montre aussi qu’il est peut-être temps de laisser de côté les chiffres pour remettre la vie au centre. On se rend compte que beaucoup de gens qu’on n’écoutait pas avant la pandémie occupent des postes qui se révèlent aujourd’hui essentiels au bon fonctionnement de la société. Ce sont ces mêmes personnes qui prennent des risques chaque jour et s’exposent en continuant de travailler pour que des vies soient épargnées et que chacun ait toujours de quoi se nourrir. Va-t-on repartir comme avant quand tout cela sera fini ? Je ne sais pas. Mais je suis optimiste, et je pense que cela va faire réfléchir les gens et qu’il y aura du changement, même si ça ne se fera pas du jour au lendemain. Ce qui est sûr, c’est que, personnellement, tout cela ne peut que me conforter dans mon projet professionnel et encourager mon attrait pour le développement durable. La crise a même renforcé ma détermination, à vrai dire.

Grâce à cette dernière expérience de service civique, j’étais déjà convaincue que mon avenir se trouvait dans le développement durable. Mais je n’excluais pas de commencer ma carrière dans un grand groupe, en tant que chargé RSE, par exemple. Désormais, quand je vois l’urgence de la situation, je me dis que cela ne suffit pas. À quoi bon développer des petites actions “responsables” dans son coin quand le business model tout entier d’une organisation ne respecte pas les fondamentaux du développement durable ? Pour moi, la crise a révélé le besoin immédiat de changement et la nécessité de modifier le système dans lequel on vit. La vérité, c’est qu’aujourd’hui je ne conçois plus de faire un métier qui ne soit pas engagé. Je me souviens l’avoir étudié en cours : « le travail est un élément central de la vie. Il apporte un sens et confère un rôle à chacun au sein de la société ». Pour moi, le sens dépend de l’utilité et si, par mon métier, je ne me sens pas utile à la société, je sais que je n’aurais pas assez de motivation et je ne serai pas heureuse.

Pour moi, le sens dépend de l’utilité, et si par mon métier je ne me sens pas utile à la société, je sais que je n’aurais pas assez de motivation et je ne serai pas heureuse.

À présent - enfin quand la crise sera passée, je suppose - j’aimerais travailler dans un incubateur ESS (Economie sociale et solidaire) pour accompagner les entrepreneurs dans des projets à impact social. C’est à mon sens un des meilleurs moyens de me rendre utile et de trouver de la motivation dans mon métier. Peut-être qu’un jour je serais moi-même à l’origine d’un projet d’entrepreneuriat social… Qui sait ? Mais pour cela, il faudrait que j’ai des connaissances en économie et en business. Or mon cursus ne m’a pas apporté ces notions. Peut-être devrais-je reprendre un master dans cette voie ? Je ne sais pas encore. Je n’exclue pas cette possibilité, mais j’attend d’abord de voir si je ne peux pas décrocher le poste de mes rêves avec mon background actuel. J’ai déjà envoyé quelques CV alors je serai fixée prochainement…

La crise du coronavirus, bien qu’elle me mette dans l’incertitude concernant mes chances d’être embauchée, me conforte vraiment dans mon envie de rester dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. Ça m’encourage encore plus à viser un emploi engagé aussi bien pour la planète que pour remettre l’humain au centre de notre société.

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Photo by WTTJ