« Ma vocation : soulager les femmes atteintes d’endométriose », Hélène Antier

Jul 06, 2021

9 mins

« Ma vocation : soulager les femmes atteintes d’endométriose », Hélène Antier
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Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Déjà co-fondatrice de deux start-up, Hélène Antier vient de lancer en mars sa troisième société, Lyv, une start-up de la FemTech, contraction de « female » et « technology », anglicisme qui désigne ces nouvelles technologies dédiées au bien-être et à la santé des femmes. Si le secteur est longtemps resté confidentiel, il est ces derniers mois en plein boum, grâce notamment à une énergique communauté féministe qui agit sur les réseaux sociaux en brisant les tabous autour de la santé des femmes.

Lyv, c’est d’abord une communauté de femmes atteintes d’endométriose réunies autour du hashtag #CeQueJaiDansLeVentre, puis un média lancé en juillet 2021 pour les informer et les orienter. Une appli bien-être pour les soulager et les accompagner verra le jour d’ici la fin de l’année. Une autre doit suivre, avec l’ambition de devenir un véritable dispositif médical de prise en charge de la douleur. Première cause d’infertilité en France, à l’origine de violentes douleurs, de difficultés de mobilité, cette maladie inflammatoire chronique touche près de 10 % des femmes en âge de procréer. Alors que deux tiers d’entre elles déclarent être impactées au quotidien par la maladie, dans leur vie privée et professionnelle, il n’existe toujours aucun traitement et l’errance de diagnostic dure en moyenne 7 ans. Biberonnée à la tech, startuppeuse et endogirl, Hélène Antier, 35 ans, veut changer la donne.

À 35 ans, vous lancez déjà votre troisième boîte. Vous marchez à quoi ?

L’adrénaline bien sûr mais aussi la passion pour ce que j’entreprends. Depuis toujours, le travail fait partie de ma vie quotidienne. Faire bouger les lignes, lever des tabous, avoir un impact fort sont les points communs à chacun de mes projets. J’ai toujours pensé que c’était possible de déplacer des montagnes. Avec mon site de rencontre, aujourd’hui offline, on s’attaquait à un sujet connu mais toujours tabou dans la société. Avec Oohee (qui mettait en relation des expatriés avec des entreprises, ndlr), deux tiers des personnes inscrites sur le site étaient des femmes. Je voulais permettre à ces femmes, qui souvent avaient suivi leur conjoint, de se réaliser au travers de l’expatriation. Et Lyv, je le vois comme une mission de vie. Je veux changer le futur de l’endométriose, révolutionner la manière dont on peut prendre en charge la maladie et permettre aux femmes d’être sensibilisées, diagnostiquées et de mieux vivre au quotidien. Et notre vocation ultime, à travers la première thérapie digitale dédiée à l’endométriose au monde, c’est avant tout de soulager leurs douleurs.

Avec notre application basée sur l’IA, nous voulons devenir la première thérapie digitale (DTx) dédiée à l’endométriose au monde.

Votre start-up, une SAS, a été officiellement lancée en mars dernier, c’était le bon créneau ?

Je ne veux pas parler de créneau parce qu’on va au-delà d’une opportunité de business. Mais c’est le moment, les planètes sont alignées. Je reçois énormément de propositions d’investissements ou de partenariats. La santé des femmes a été mise de côté trop longtemps et je crois qu’il y a une prise de conscience récente. Avant, beaucoup de projets santé n’ont pas réussi à émerger parce qu’ils n’étaient pas propulsés par des personnes venues de la tech ou ne s’étaient pas suffisamment appuyés sur les communautés de patients, très puissantes, et fortes d’une grande connaissance d’eux-mêmes. Par ailleurs, j’ai moi-même fondé plusieurs start-up et je suis atteinte d’endométriose, on peut dire que je connais le sujet et cela doit rassurer.

Vous vous êtes aussi formée à l’Intelligence artificielle pour créer Lyv !

Oui, je termine un DU en Intelligence artificielle appliquée à la santé à Paris-Descartes. J’ai besoin de connaître au maximum le sujet, même si je ne vais bien sûr pas être l’experte IA de la boîte. La collecte des données, leurs traitements, leurs gestions implique une très grande rigueur intellectuelle. Je souhaite être en capacité d’expliquer mes choix et de les confronter, d’interagir avec la communauté afin de savoir jusqu’où elle est prête à aller et ce qu’elle est prête à accepter. Grâce à l’IA, plus on partage ses données, plus on apprend. Mais il faut que tout le monde participe à cet effort. Et on ne convaincra pas sans une transparence totale et une éthique irréprochable.

Je me suis dit : « Si ce n’est pas toi qui le fais, entrepreneuse issue de la tech et atteinte d’endométriose, qui va le faire ? »

On l’a compris, les données des utilisatrices sont au cœur du projet. Concrètement, c’est quoi l’idée ?

On a aujourd’hui besoin de collecter des informations stratégiques pour gagner du terrain sur l’endométriose, c’est la puissance de la tech qui nous le permettra. L’autre grande alliée est l’intelligence artificielle. Avec notre application basée sur l’IA, nous voulons devenir la première thérapie digitale (DTx) dédiée à l’endométriose au monde. Via un algorithme de recommandations personnalisées bâti à partir des données enregistrées quotidiennement par nos futurs utilisatrices, Lyv va révolutionner la prise en charge de l’endométriose. Objectif : la diminution de la douleur et l’amélioration de la qualité de vie grâce à ces recommandations personnalisées et prédictives.

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C’est donc l’endométriose qui guide vos choix aujourd’hui ?

Aujourd’hui, oui. J’ai eu le parcours classique des femmes qui ont l’endométriose. J’ai su que je l’avais en 2019 et j’ai commencé à m’y intéresser. J’ai rejoint des groupes Facebook pour comprendre la maladie parce que celles qui la connaissent le mieux, ce sont les femmes elles-mêmes. Je cherchais des moyens de gérer mes douleurs et mes symptômes. Je me suis prise de passion pour le sujet, j’ai lu des bouquins, j’ai écouté des podcasts et les chiffres m’ont paru incroyables. Première cause d’infertilité, 10 % de femmes touchées, et pourtant si peu d’information ! Selon moi, il manquait la tech dans l’équation. Un combo tech, science, communauté était nécessaire pour pouvoir apporter une solution à ce problème de santé publique. Je me suis dit : « Si ce n’est pas toi qui le fais, entrepreneuse issue de la tech et atteinte d’endométriose, qui va le faire ? ». J’ai alors décidé de quitter l’opérationnel de mon ancienne boîte pour me consacrer à Lyv.

Vous parliez tout à l’heure d’une mission de vie… Vous réussissez à conserver une vie personnelle malgré cela ?

Durant longtemps, je n’ai pas cloisonné vie pro et vie perso et la plus grande partie de ma vie était clairement occupée par le travail. Avec mon diagnostic, j’ai commencé à voir les choses différemment et à me recentrer sur mes envies profondes et ma vie privée. Avant même de me lancer sur Lyv, j’ai pris plusieurs semaines de réflexion pour imaginer comment j’allais appréhender cette nouvelle aventure entrepreneuriale et comment j’allais organiser mon temps. J’ai pris un engagement envers moi-même : celui de réussir à garder du temps pour moi. Je compte bien structurer Lyv pour avoir ce temps pour moi car la bonne santé de mon entreprise en dépendra. Par le passé, je me suis déjà prouvée ma grande capacité de travail. Désormais, le vrai succès de cette nouvelle aventure sera de réussir à m’accorder du temps pour moi.

Alimentation, exercice physique et relaxation, ce sont les trois piliers qui m’ont permis d’être quasi-asymptomatique. Je suis tranquille aujourd’hui mais je ne sais pas si demain, ce sera toujours le cas

Je reviens sur votre diagnostic en 2019. Comment a-t-il été posé ?

J’ai un retard de diagnostic d’une quinzaine d’années. Les douleurs ont débuté dès le collège, avec des passages à l’infirmerie et aux urgences. On suspectait des crises d’appendicite mais je rentrais bredouille à la maison, sans savoir ce que j’avais. J’ai commencé à prendre la pilule au lycée et j’ai continué durant plus de 10 ans. C’est la seule façon d’apaiser les symptômes de l’endométriose. La pilule a mis un mouchoir sur la maladie, jusqu’à ce que je l’arrête. Les symptômes sont revenus très violemment et j’ai réussi à m’auto-diagnostiquer. J’ai compris sur Internet que mes symptômes correspondaient à cette maladie.

Vous avez toujours réussi à travailler malgré les symptômes ?

Quand je prenais la pilule, sans problème oui. Ensuite, comme j’ai toujours été très libre et très flexible dans mon travail, si j’avais besoin de rester chez moi, je pouvais le faire. Mais oui, il y a eu plusieurs accidents : des crises d’endométriose sur mon lieu de travail, des inondations liées aux règles hémorragiques… On se retrouve vraiment dans des situations pas évidentes à gérer. Comme quand une réunion dure plus longtemps que prévu et qu’on inonde sa chaise par exemple. L’endométriose demande énormément d’anticipation et d’organisation. Cela demande à gérer son emploi du temps en fonction des dates de ses règles, pour celles qui peuvent les prévoir, car beaucoup ont des règles anarchiques. Et l’endométriose ne fait pas souffrir que pendant les règles alors la vie se réorganise constamment en fonction de la maladie et de ses crises. Pour ma part, j’ai eu durant des années des difficultés à rester assise, je gardais les mains sous mes fesses pour calmer la douleur, je me levais très souvent. D’autres ont leur bouillotte au travail ou leur TENS, cet appareil qui permet de soulager les douleurs chroniques.

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Aujourd’hui, la maladie est moins présente pour vous. Comment avez-vous réussi à la « dompter » ?

J’ai surtout changé mes habitudes dans ma vie de tous les jours. Quand j’ai été diagnostiquée, j’ai compris qu’il fallait que je vive différemment et j’ai mis en place l’arrêt du tabac, l’alimentation anti-inflammatoire, j’ai repris une activité physique et je me suis mise à la sophrologie, au yoga… Alimentation, exercice physique et relaxation, ce sont les trois piliers qui m’ont permis d’être quasi-asymptomatique. Je suis tranquille aujourd’hui mais je ne sais pas si demain, ce sera toujours le cas. C’est une maladie qui évolue d’une manière qu’on ne maîtrise pas du tout à l’heure actuelle.

Relaxation… C’est n’est pas antinomique avec la création de Lyv, la levée de fond que vous préparez, le lancement du site, la préparation de l’appli… ?

Effectivement ! J’ai un post-it sur ma fenêtre où j’ai écrit : « Respire relax », c’est de la cohérence cardiaque. Il faut que je me rappelle régulièrement dans ma journée qu’il faut que je respire. Avant le lancement du site, j’ai fait moins de sport et j’ai ressenti davantage les symptômes de l’endométriose. Les conséquences sont directes sur ma santé. Tout est lié, je dois faire attention à moi et continuer à tenir mes trois piliers. C’est pour cela que je parlais de prendre du temps pour moi : si je ne le fais pas, ça ne marchera pas pour Lyv.

Plusieurs de mes collaboratrices ont l’endométriose. On veut prouver qu’on peut s’épanouir dans sa vie personnelle et professionnelle malgré la maladie

Jusqu’à maintenant vous étiez co-fondatrice, là vous êtes CEO. Concrètement, cela change quoi ?

J’ai pu faire des choix plus personnels et monter une équipe avec des gens avec qui je suis en totale confiance. Ainsi, je vais pouvoir déléguer plus que jamais des sujets très importants pour la société, pour les raisons que je vous ai expliquées. Ma réussite, c’est aussi cette équipe solide qui saura faire face aux multiples rebondissements que l’avenir nous réserve. L’important est de rester soudé, solide et que je reste bien dans mon rôle.

Vous faites au fil de l’eau ou vous avez pris le temps d’y réfléchir à ce nouveau rôle de CEO ?

C’est une étape pour moi, avec de nouvelles responsabilités. Je prends le temps d’y réfléchir. L’ambition de Lyv est tellement grande, qu’il est primordial de me préparer à la suite. Il faut que je sois bien sur mes appuis, sereine. D’ailleurs, je le suis, j’ai confiance en moi, confiance en mon équipe. Les différentes péripéties de mon passé entrepreneurial m’ont habituée à des hauts et des bas, je sais aujourd’hui que je suis capable de rebondir et je sais à qui m’adresser pour trouver de l’aide et des conseils. Résoudre les problèmes les uns après les autres, tout en étant sereine, c’est cela être entrepreneur.

Être source d’inspiration, je ne sais pas, mais en tout cas, il est certain que j’ai à cœur de transmettre

Avec ces nouvelles responsabilités, ambitionnez-vous de de créer aussi un nouveau modèle d’entreprise ?

Toute l’équipe est dispatchée en France, on invente un modèle qui nous ressemble. La plupart ne sera probablement jamais à temps plein pour Lyv, par choix. On bâtit notre modèle avec des slasheuses. Selon moi, ce mode de vie professionnelle nourrit les personnes, l’équipe et Lyv. L’une d’entre nous est prof de yoga, tous ont des passions et engagements forts à côté, ça me plaît beaucoup. Plusieurs des femmes qui travaillent aujourd’hui avec moi, je les ai rencontrées lors de mes interviews de préparation pour Lyv, plusieurs de mes collaboratrices ont l’endométriose. On veut prouver qu’on peut s’épanouir dans sa vie personnelle et professionnelle malgré la maladie. On met donc en place dans notre propre organisation la flexibilité et la souplesse nécessaire à la gestion de cette maladie. On va expérimenter dans notre entreprise la mise en place de nouveaux process qui permettront à chacune et chacun de s’épanouir, malgré leur pathologie ou leur handicap.

Quels sont les entrepreneurs qui vous inspirent ?

Céline Lazorthes, fondatrice de Leetchi et Mangopay, m’inspire beaucoup. C’est une femme qui a lancé jeune une entreprise qui a eu un énorme succès et le retentissement qu’on connaît. Pendant le confinement, elle est remontée à cheval pour se lancer dans un sujet de santé majeur, Resilience Care, qui réinvente la prise en charge du cancer. En plus, elle a aussi cofondé Sista, un collectif visant à réduire les inégalités de financement des sociétés entre les hommes et les femmes. Tous ces projets me parlent beaucoup. Je peux aussi citer Jean-Charles Samuelian, cofondateur d’Alan, qui a inventé un modèle d’entreprise où bien-être et excellence sont les clés du succès. Il est un modèle pour moi du point de vue de sa culture d’entreprise.

Aimeriez-vous aussi être une source d’inspiration pour des jeunes femmes qui souffrent d’endométriose ou pour ceux qui rêvent d’entreprendre ?

Je suis bénévole pour l’association 100 000 entrepreneurs. J’interviens dans des collèges et des lycées pour insuffler l’esprit et la culture d’entreprendre à des jeunes.. En janvier 2019, je suis partie à Phnom Penh avec l’association Toutes à l’école pour y animer un atelier sur l’entreprise au féminin. Alors, être source d’inspiration, je ne sais pas, mais en tout cas, il est certain que j’ai à cœur de transmettre. Quant aux femmes qui souffrent d’endométriose, je reçois tellement de messages de leur part ! J’espère avec Lyv leur donner la force et le courage qu’elles ont parfois perdues. J’ai envie de montrer une voie, de la construire grâce à la communauté. De nombreuses femmes sont aujourd’hui très investies parce qu’elles ont envie de faire bouger les choses et d’autres nous rejoignent parce que notre mouvement leur a donné l’énergie nécessaire. C’est extraordinaire ce retentissement positif que génère une telle aventure.

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Article édité par Eléa Fourcher-Créteau
Photo par WTTJ

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