Comment créer une véritable culture de la formation en télétravail ?

Oct 05, 2020

10 mins

Comment créer une véritable culture de la formation en télétravail ?
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Claire Kadjar

Rédactrice

Expérimenté massivement et dans l’urgence au début de la pandémie, le travail à distance s’installe dans la durée. Si la plupart des entreprises ont trouvé leur rythme de croisière en télétravail (ou presque), se pose maintenant la question de la formation. Comment encourager ses collaborateurs à se former et à partager leurs connaissances quand ils ne sont pas ou peu physiquement présents dans les bureaux ? Nexity et My Little Paris comptent parmi les entreprises qui, dès les premiers jours du premier confinement, ont digitalisé leur offre de formation et créé de nouvelles dynamiques d’apprentissage en remote. Pour recueillir leur retour d’expérience, conseils, dos & don’ts de la formation à distance, nous sommes allés à la rencontre de deux spécialistes de la question :

  • Charlotte Hardoüin, Responsable Learning & Talent Management @Nexity, première plateforme de services à l’immobilier en France, qui compte plus de 11 000 collaborateurs.

  • Elisa Rummelhard, Directrice de la marque et des talents @MyLittleParis, groupe media et e-commerce composé de 130 collaborateurs.

De leurs interviews respectives, nous avons retenu 8 points clés pour renforcer sa culture de la formation en télétravail et la faire perdurer dans le temps avec un mix présentiel/distanciel.

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1. Transformer son offre de formation en fonction des nouvelles priorités

Suite à l’annonce du premier confinement, Nexity et My Little Paris ont dû, comme beaucoup d’entreprises, basculer du télétravail occasionnel au télétravail complet. Pour les deux entreprises, il était primordial de poursuivre la formation de leurs équipes, dont une partie se faisait en présentiel. Comme l’explique Elisa Rummelhard « tout l’enjeu pour nous était de maintenir nos rituels de formation car ils sont le socle de notre culture et de l’expérience de travail chez My Little Paris ». En effet, depuis sa création, l’entreprise prend très au sérieux sa mission de nourrir en continu la créativité de ses équipes : « c’est un muscle qui s’entretient » précise-t-elle. Même son de cloche chez Nexity, où la formation revêt une importance capitale : « progresser en tant qu’organisation apprenante est pour nous un avantage distinctif » affirme Charlotte Hardoüin. L’entreprise a ainsi profité de la période du premier confinement pour développer son offre de formation et muscler les compétences de ses salariés.

« La situation inédite de confinement que nous avons traversée nous a poussés à repenser nos modes de travail et notre façon de collaborer. Avec la coordination étroite des experts formations via La Cité, entité dédiée au développement de nos talents et à la transformation du Groupe, nous avons réussi à lancer, en un temps record, toute une série d’initiatives pour réorganiser la formation à distance durant le premier confinement et préserver l’équilibre personnel et l’efficacité professionnelle de nos collaborateurs » précise Charlotte Hardoüin.

L’entreprise a d’abord lancé Le Plan d’Urgence Formation (spécial Covid-19) qui impliquait de « gérer la crise d’abord, pour garantir la continuité d’activité tout en limitant les risques individuels et collectifs ; accompagner l’installation du travail et management à distance ensuite, en développant les ressources individuelles ; et enfin anticiper les changements pour mieux les accompagner sur la durée et préparer le retour. » Concrètement, cela a inclu la bascule accélérée de toute l’entreprise sur Microsoft Teams, ainsi que la construction d’une offre de formation dédiée pour aider les collaborateurs à trouver un bon équilibre personnel et travailler efficacement en télétravail. Nexity a aussi reporté toutes les formations présentielles planifiées jusqu’à septembre 2020 et en a transformé un maximum en format distanciel. De son côté, My Little Paris a aussi tout fait pour maintenir ses rituels, dont l’intégralité a finalement pu se faire à distance. Certains « se prêtaient très bien au format digital » et ont ainsi pu être directement transposés sur Zoom, - comme le Creative Morning, des interviews tous les mois de personnalités inspirantes provenant d’horizons différents (ex : illustratrice, astronaute, prêtre…), ou l’Open Débrief, une revue de presse mensuelle des dernières actus d’un magazine tendance (ex: Monocle, Fast Company…). Des rendez-vous collectifs dont les collaborateurs étaient « très en demande », pour stimuler leur créativité mais aussi pour briser l’isolement du télétravail.

2. Repenser les modes de formation pour le digital

Avec le passage des équipes au télétravail complet, il était nécessaire de créer une toute nouvelle expérience d’apprentissage à distance. Nexity ne s’est pas contentée de transposer ce qu’elle proposait déjà en présentiel, dans un format distanciel. « Nous avons repensé complètement l’ingénierie et la conception pédagogique, pour développer des formats plus courts, collaboratifs, ludiques et concrets » précise Charlotte Hardoüin. En 8 semaines, La Cité a créé 40 nouvelles formations sous différents formats distanciels - à la fois individuels et collectifs - dont notamment des Webinars, des classes virtuelles, des parcours de E-learning, des groupes de co-développement ou encore du mentorat.

L’entreprise a aussi transformé son Tour de France de la Formation, un événement qui visait à annoncer le lancement de La Cité partout en France, en « E-Tour de France ». Un succès puisqu’en 2 mois, La Cité a organisé plus de 110 classes virtuelles dans 8 régions et formé 1200 collaborateurs.

Pour My Little Paris aussi il était crucial que les formations à distance ne soient pas perçues comme « des versions dégradées » de celles en présentiel. Pour cela, elle a repensé certaines de ses formations pour les adapter au format digital - comme le Megalab, un événement mensuel qui a lieu dans un théâtre, où 7 à 8 salariés présentent un sujet qui les passionne, à la manière des conférences TED. « En juin, nous avons organisé notre premier Megalab sur Zoom, en capitalisant sur des atouts du digital. En temps normal, il s’agit d’un exercice très stressant pour les speakers, qui doivent monter seuls sur scène, sous le feu des projecteurs. Mais pour ce Megalab sur Zoom on a décidé d’en faire “Le Megalab des timides”; l’occasion, pour ceux qui voulaient y participer mais n’osaient pas, de se lancer depuis le confort de leur bureau. » Une excellente occasion de mettre en avant ses collaborateurs un peu plus réservés, tout en permettant aux équipes plus éloignées (du Japon et d’Allemagne) d’y participer pour la première fois.

3. Former les speakers pour une communication efficace à distance

Mais il n’y pas que les modalités de formation qui comptent, la qualité des interventions est un tout aussi facteur clé pour fédérer et créer une forte culture de la formation à distance. Comme le rappelle Elisa Rummelhard : « animer des formations à distance demande deux fois plus d’énergie qu’en présentiel. » Sachant que la plupart des formateurs chez My Little Paris sont des collaborateurs, dont beaucoup sont peu habitués à animer des classes devant un écran, l’entreprise a décidé de les former, en mettant l’accent sur la transmission d’énergie en distanciel. Le but étant qu’ils prennent conscience des spécificités et des limites du digital, pour animer des formations les plus engageantes et interactives possible.

« Animer des formations à distance demande deux fois plus d’énergie qu’en présentiel. »
Elisa Rummelhard, directrice de la marque et des talents @MyLittleParis

Chez Nexity aussi, communiquer avec impact à distance a été l’une des thématiques de formation proposée aux collaborateurs afin d’accompagner le passage en télétravail massif et la multiplication consécutive des réunions en visio. « Une plateforme et un accompagnement dédié à notre communauté de formateurs internes a également été mis en place pour leur donner des clés sur l’animation de classes virtuelles et en renforcer l’impact et l’interactivité », détaille Charlotte Hardoüin.

4. Trouver le bon rythme et niveau de flexibilité à distance

Synchrone ou asynchrone ? Libre ou obligatoire ? Le télétravail implique de repenser le niveau de flexibilité et le rythme de formation à distance. Soucieuse d’offrir un maximum de souplesse à ses collaborateurs, Nexity privilégie un modèle de formation libre et « à la carte » - via sa plateforme Campus Formation. Chaque collaborateur peut ainsi se former quand il/elle le souhaite et selon ses besoins. L’objectif est de faciliter l’accès à la formation en télétravail, mais aussi de basculer d’un mode d’apprentissage ponctuel (ex : atelier de 2 jours en présentiel) à une formation continue, où l’entreprise accompagne ses collaborateurs dans la durée, avec une offre pédagogique complète, accessible à tout moment et depuis n’importe où.

Chez My Little Paris, la formation à distance se fait “en live”, de manière synchrone. Un bon moyen pour cette entreprise à taille humaine (130 employés) de maintenir une cohésion d’équipe à distance, en s’assurant que l’ensemble de ses salariés assistent aux mêmes rituels virtuels, en même temps. Si la plupart des formations sont optionnelles, l’entreprise envisage d’en rendre certaines obligatoires et prépare, dans ce sens, une nouvelle mouture plus construite de son programme pédagogique, avec une validation de modules plus formelle et un suivi par le manager. « Même si on prône un modèle de formation libre, de type “école buissonnière”, lors du premier confinement on s’est rendu compte qu’il fallait instaurer un minimum de règles en distanciel, sinon les collaborateurs peuvent passer à côté de connaissances essentielles à leur développement dans l’entreprise. »

5. Voir la digitalisation comme un moyen et non une fin

Nexity avait déjà entamé la digitalisation de leur offre de formation dès 2012, et accéléré cette transition en lançant, en début d’année 2020, un nouveau LMS (Learning Management System). Elle avait aussi amorcé le déploiement de Microsoft Teams ; un chantier qu’elle a réussi à accélérer pour équiper l’ensemble ses collaborateurs dès le début du premier confinement, mi-mars. Par ailleurs, l’entreprise s’est dotée de nouveaux outils, comme Klaxoon, pour animer des groupes de travail, ou Kahoot, pour créer des quizz interactifs en séance pour booster l’interactivité. Mais, selon Charlotte Hardoüin : « Il ne faut pas digitaliser pour digitaliser. Gardons à l’esprit que c’est un moyen et non pas une finalité. Avec une vision claire, les outils les plus simples suffisent à créer de la valeur ajoutée. »

« Avec une vision claire, les outils les plus simples suffisent à créer de la valeur ajoutée. »
Charlotte Hardoüin, responsable Learning & Talent Management @Nexity

Une vision partagée par Elisa Rummelhard de My Little Paris, pour qui « les outils ne sont que des réceptacles. L’important est ce que l’on en fait, les rituels que l’on met en place et l’enthousiasme de ceux qui les animent. » D’ailleurs, l’entreprise avoue ne pas utiliser d’outils digitaux “miracles”, mise à part des incontournables comme Zoom ou Workplaces.

6. Favoriser le partage de connaissances en interne

Au-delà des outils digitaux, les deux entreprises ont misé sur le partage de connaissances ; socle incontournable d’une culture de la formation à distance. Nexity a développé différentes formes d’apprentissage entre pairs ; comme le mentorat, le reverse mentoring (les juniors forment les plus seniors), les ateliers de co-développement, les groupes de parole ou des sessions de mise en situation. Autant d’occasions de faire circuler les savoirs en interne, de renforcer la cohésion d’équipe et de créer une vraie dynamique d’apprentissage en télétravail. Pour stimuler l’intelligence collective, elle forme aussi ses collaborateurs aux nouvelles méthodes collaboratives (ex: Design Thinking, Lean Startup, méthodes Agiles…).

De son côté, My Little Paris favorise « les occasions de transmission et d’apprentissage ». Ainsi, l’entreprise a créé des rendez-vous, plus ou moins formels, pour permettre aux collaborateurs d’apprendre des uns et des autres. Comme le Pecha Kucha (qui signifie “bavardage” en japonais), un format synchronisant une présentation orale à la projection de 20 diapositives se succédant toutes les 20 secondes, qui permet à un collaborateur de présenter un sujet de son choix à ses collègues. Par ailleurs, en plein confinement, l’entreprise a lancé My Little School, une formation qui invite des talents internes à diffuser leurs savoirs en lien avec les métiers de l’entreprise (ex : cours d’écriture avec la Rédactrice en Chef, cours de storytelling avec la Directrice Générale, cours de brainstorm avec la Directrice de Création…).

Enfin, elle a créé des rencontres plus informelles, comme les Randoms Café, toujours en place aujourd’hui, où 4 à 6 personnes tirées au hasard se retrouvent pour discuter autour d’un café virtuel. Une occasion pour les collaborateurs de partager leurs savoirs de manière plus décontractée, le tout en renforçant l’esprit d’équipe et le sentiment d’appartenance.

7. Prendre le pouls pour améliorer l’expérience collaborateur

Une des erreurs à ne pas commettre en matière de formation à distance est, selon Charlotte Hardoüin : « de penser la formation uniquement selon les enjeux groupes et pas suffisamment selon les besoins des collaborateurs ». Pour éviter cet écueil, il est indispensable de mettre en place des outils et bonnes pratiques, pour créer des formations qui soient le plus en phase possible avec les besoins et aspirations des collaborateurs. Chez Nexity, cela passe notamment par : des points mensuels avec les Responsables Formation pour identifier les nouveaux besoins, une démarche d’évaluation systématique de la formation (ex: enquêtes de satisfaction), l’expérimentation de nouveaux contenus/modes de formation au sein de La Cité et enfin, de la veille active pour se tenir au courant des dernières innovations en matière de formation.

My Little Paris privilégie, pour sa part, les remontées directes d’informations et de feedback via des points hebdomadaires avec les managers et les entretiens annuels. Aussi, elle utilise Bloom at Work, un outil de sondage pour mesurer le bien-être au travail, avec des questions ouvertes qui abordent régulièrement la thématique de la formation.

8. Faire perdurer une culture de la formation sur le long terme

Alors que beaucoup de collaborateurs sont retournés au bureau, même quelques jours par semaine, les entreprises se doivent de réfléchir aux moyens de préserver une culture de la formation forte sur le long terme, via un mix de distanciel et présentiel. D’après Elisa Rummelhard, « il s’agit de tirer avantage de chacun des formats distanciel et présentiel, en ayant conscience de leurs enjeux respectifs. Il est important aussi de trouver le bon équilibre entre les deux modalités. »

Même son de cloche chez Nexity : « L’objectif n’est pas pour l’avenir de remplacer toute notre offre de formation par une offre 100% distancielle, mais bien de pouvoir dès l’année prochaine capitaliser sur ce retour d’expérience pour continuer à enrichir nos parcours de formation en assurant un bon mix, afin d’adapter les formats et modalités selon les thématiques, cibles et objectifs pédagogiques attendus. »

Si les formations en présentiel, via la présence d’un animateur ou formateur, ont davantage tendance à favoriser le sens de la communauté, l’engagement et les échanges ; les modalités distancielles, telles que les classes virtuelles ou le E-learning, permettent d’adresser un plus grand nombre de participants, de réduire les coûts (logistiques notamment), d’avoir un suivi et une évaluation de la formation grâce aux LMS (Learning Management System) mais aussi de personnaliser la formation aux besoins de chacun. Charlotte Hardoüin rappelle l’importance d’intégrer au “mix” l’apprentissage entre pairs, qui permet selon elle permet de créer « une véritable émulation positive autour de l’apprentissage ». Par ailleurs, selon elle, il est primordial de mobiliser tous les acteurs de la formation autour d’une même vision partagée, qui va dans le sens d’une formation « pour tous et par tous ; à la fois accessible, incarnée, continue et qui rentre facilement dans les agendas. »

En conclusion, le basculement massif vers le télétravail a été une “opportunité” de repenser les usages, les pratiques et les besoins en matière de formation. En s’équipant des bons outils, en adaptant les formats présentiels au digital, en favorisant l’apprentissage entre pairs et en récoltant régulièrement les avis/besoins des collaborateurs ; Nexity et My Little Paris ont su maintenir un fort taux d’engagement et de participation à leurs classes et rituels et ce, malgré la crise sanitaire. Aujourd’hui, l’enjeu pour les deux entreprises est de continuer à étoffer leur offre de formation et d’imaginer de nouvelles dynamiques d’apprentissage, qui mêlent présentiel et distanciel, pour s’adapter à cette « nouvelle normalité » et continuer à faire de la culture de la formation un levier de croissance et de transformation pour l’entreprise, ainsi qu’un facteur de bien-être pour les collaborateurs.

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