Peut-on vraiment être authentique sur LinkedIn ?

Jan 04, 2021

7 mins

Peut-on vraiment être authentique sur LinkedIn ?
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Joanna York

Journalist

Oubliez les posts Insta ultra léchés : sur les réseaux sociaux, l’heure est, semblerait-il, à l’authenticité. Du côté de LinkedIn aussi on s’interroge (et plus seulement à voix basse) sur la tendance de certains à tout repeindre en rose. Une vie professionnelle est pourtant faite de hauts et de bas, non ? Mais, attendez, peut-on vraiment jouer la carte de l’authenticité sur un réseau social professionnel ?

Lancé en 2003, LinkedIn est devenu le plus vaste réseau professionnel en ligne, avec plus de 700 millions d’utilisateurs dans 150 pays. Sur les 260 millions qui y sont réellement actifs, 1% seulement partagent du contenu. Darina Linkova, rédactrice et experte en SEO, a l’habitude de créer des contenus pour le web. Mais quand il s’agit de prendre la parole à titre personnel ou professionnel, elle privilégie… Instagram. Et LinkedIn ? Très peu pour elle. « LinkedIn me fait un effet bien trop sérieux. Depuis mon inscription il y a quelques années, je n’ai publié que deux posts. À chaque fois, je me suis sentie à côté de la plaque. »

Sur LinkedIn, poster c’est crâner ?

Darina explique être dérangée par le côté « success story sinon rien » qu’induit à ses yeux la plateforme devenue incontournable. « Dans mon fil d’actu, je ne vois quasiment que des entrepreneurs ravis de leur réussite. Il y a quelques mois, j’ai suivi une formation avancée sur Google Analytics. J’ai eu envie de partager l’info sur LinkedIn, donc je l’ai fait, mais j’ai immédiatement regretté. C’était comme si je me vantais, en réalité. »

Alex Willen, fondateur de Cooper’s Treats (qui fabrique des friandises pour chiens) va dans le même sens. « LinkedIn, pour moi, c’est un peu le règne de l’autopromo décomplexée. Il n’y a pas de post gratuit ! Tout sert à se mettre en avant, à faire du business ou promouvoir sa carrière. Quand je vois des professionnels féliciter quelqu’un par exemple, j’ai toujours l’impression que c’est pour mieux le solliciter un jour ou l’autre. » Alex préfère poster des vidéos de ses chiens sur Instagram. « Ça me ressemble plus. J’adore les chiens. Et je n’ai aucun doute sur le fait que mes vidéos plaisent vraiment. »

Schizophrènes sur LinkedIn ?

En 2011, une étude du New York Times expliquait que la publication de contenu sur les réseaux sociaux (quels qu’ils soient), est avant tout portée par une motivation relationnelle. Les répondants étaient 94% à privilégier des partages pouvant être utiles à d’autres, 84% à soutenir des causes qui leur tenaient à cœur et 78% à vouloir maintenir un lien avec les membres de leur réseau.

Et c’est toujours le cas en 2020, si on en croit les critiques émises contre les contenus postés sur LinkedIn, qui feraient carrément fi de ces besoins fondamentaux. La plateforme exerce une pression muette sur ses utilisateurs : celle de poster des contenus à « valeur professionnelle ajoutée », avec pour corollaire la crainte d’être jugé pour un post qui sort de la norme ou celle de ne pouvoir s’exprimer de façon un peu plus vraie. L’autrice Noemi McElearney s’y est essayée. Échec de la tentative : « J’ai le sentiment de ne pas pouvoir y être moi-même. »

Et c’est sans parler des profils improbables qui pullulent sur le réseau professionnel. Le monde anglo-saxon parle de « broetry », contraction de « bro » (frère, pote) et « poetry » (poésie) pour parler de la tendance de certains à rédiger des posts longs comme le bras, à grand renfort de tags de « potes », histoire de récolter un maximum de likes. Certains comptes Twitter prennent d’ailleurs un malin plaisir à les tourner en ridicule. Mais les choses bougent. Chrissie Zavicar, PDG d’e-Link Consulting et experte LinkedIn, explique que l’authenticité devient un élément-clé de la communication sur LinkedIn. « Depuis environ trois ans, ce genre de posts passent beaucoup moins bien. Les gens en ont marre de ceux qui se vendent ou se surexposent. En résumé, ils ont envie d’échanges un peu plus vrais. »

Chrissie accompagne les professionnels et les aide à mieux exploiter la plateforme. Selon elle, deux règles s’imposent. La première est que tout contenu publié doit être utile aux autres, à savoir « divertir, informer ou inspirer », au choix. La seconde : « Il doit ressembler à la personne qui le publie. Sans cela, il n’y aucune résonance en face. »

Et si on tombait le masque ?

S’il est une voix authentique sur LinkedIn, c’est la sienne. Luke Manton est assistant virtuel. Suite à une maladie survenue il y a deux ans, il souffre du syndrome de la Tourette, avec (notamment) pour conséquence des tics vocaux pouvant être très explicites. Un trouble qui a sapé sa confiance en lui. « J’avais perdu toute assurance. Pendant longtemps, j’ai caché celui que j’étais devenu. Je m’étais muré dans le silence. » À cette époque, il est pourtant en recherche de travail et sous pression pour ne pas rater ses entretiens. « Je l’ai très mal vécu. On ne peut pas dire que syndrome de la Tourette et monde professionnel fassent bon ménage. »

Il décide bientôt d’opérer un virage à 180 degrés. Pour inverser la tendance, il choisit d’utiliser LinkedIn. En septembre 2020, il a lancé une mini-série, Ticced Off, dans laquelle il raconte son quotidien avec le syndrome de la Tourette. Alors que nous marchons tous sur des œufs pour ne pas commettre de « LinkedIn faux-pas », Luke Manton n’hésite pas à se montrer avec ses tics. Dans sa première vidéo, il commence par présenter son parcours avant de lancer, le plus sérieusement du monde, « sortez vos bites ».
« J’étais hyper angoissé avant de la poster », se souvient-il. Il décide de ne pas la publier sur Facebook, craignant un accueil « brutal ». Sur LinkedIn, les réactions s’avèrent largement positives. Le soutien qu’il reçoit lui fait espérer une meilleure sensibilisation au syndrome de la Tourette. « Ceux qui en souffrent entendent non-stop que le monde du travail n’est pas fait pour eux. LinkedIn est la transposition digitale de ce monde, alors je m’en sers pour me faire une place. »

Les retours qu’il a reçus sur la plateforme lui ont changé la vie. « J’ai suffisamment repris confiance en moi pour me dire que ça va aller, que je vais réussir professionnellement. Je n’ai plus peur de m’exprimer, plus peur qu’on me voit. Mes vidéos ont rencontré une large audience et m’ont apporté des clients. »

Des choix éditoriaux à faire

Nombreux sont les professionnels pour qui LinkedIn représente un puissant levier de croissance et de branding. Une analyse portant sur 3 000 articles postés a montré que les plus largement likés et partagés ont un titre de 40 à 49 caractères, comportent huit visuels, pas de vidéo et sont sous forme de liste ou de conseils. Pour les entreprises en pleine croissance, la pression pour créer un contenu optimal est bien réelle. Mais que faire à titre individuel ?

Ce sujet occupe beaucoup Rhonda D’Ambrosio, qui a créé Mental Health in Recruitment. « Je n’ai aucun problème à m’exprimer sur LinkedIn, mais dans mon fil d’actualité, je ne vois que des posts hyper calibrés, émanant de pros du marketing social. Alors que de mon côté, j’ai simplement envie d’être moi. » Rhonda s’est donné pour mission d’ouvrir le dialogue sur les questions de santé mentale et de recrutement. Si LinkedIn est une plateforme idéale pour faire passer ses messages, débattre et échanger, elle sait qu’elle manque de temps pour réellement interagir et répondre aux commentaires. « Ça me ferait de trop grosses journées, avec un stress énorme et le risque de ne pas tenir la distance. »

Embaucher une personne pour rédiger ses posts à sa place ? « Je trouverais ça contradictoire. Mon but est d’aborder de front la question du bien-être mental au travail. Ce serait un comble de ne pas me montrer de manière authentique et de sous-traiter mes prises de paroles. »

Faut-il tout dire sur LinkedIn ?

Elle a sûrement raison. En 2017, une étude anglophone portant sur les réseaux sociaux et signée Stackla dévoilait que 70% des personnes sont capables d’identifier les contenus commerciaux ou faussement authentiques, et que 20% d’entre eux n’hésitent pas à sortir de leur fil d’actualité les marques ou professionnels qui ne jouent pas le jeu. On peut l’entendre, mais plus globalement, les réseaux sociaux ne sont-ils pas qu’une construction ? Tout le monde y fait plus ou moins son show, non ?

Alexander Leon est un « LinkedIn Changemaker », l’un des sept ambassadeurs partenaires de la plateforme au Royaume-Uni, dont le rôle est de « susciter des échanges » sur la plateforme. À ses yeux, les tensions autour des questions d’authenticité sur LinkedIn ne sont que le reflet de ce qui se passe déjà dans le monde professionnel « physique ». Et à ce titre, 2020 a été un vrai tournant. « Avec le télétravail, la frontière entre vie pro et vie perso est de plus en plus poreuse. Les gens ont peut-être moins de réticences à évoquer certains aspects plus personnels de leur quotidien. Je me demande souvent pourquoi on associe le professionnalisme au fait de ne rien dévoiler de soi ? Pourquoi le professionnalisme devrait-il sous-tendre une injonction à ne pas évoquer ses sentiments ? »

« Être vrai, chez moi, ça signifie ne pas me censurer quand j’ai envie de partager une info liée à mon travail, ne pas me brider par peur de donner une mauvaise image de moi ou de ne pas plaire à tout le monde. » Pour Alexander, l’authenticité passe par le fait d’aborder les questions LGBT+ et le sujet de l’antiracisme.

Cet ambassadeur LinkedIn se pose la question de notre sincérité sur les réseaux sociaux en général. Pour lui, parler ouvertement de son homosexualité et appartenir à la communauté LGBT+ de LinkedIn lui permet de mieux appréhender la manière dont il est perçu dans le monde professionnel en tant que minorité.

Plutôt que de devoir s’expliquer le jour où un collègue lui demande s’il est en couple, il « gère le sujet comme bon [lui] semble. Ça me permet d’en parler comme je veux, selon mes propres règles. Quand j’évoque mon homosexualité sur LinkedIn, je sais que certains se demandent ce que ça vient faire là. Mais moi ça me permet de rester pleinement maître de la situation. Je peux m’affirmer, dire qui je suis. Et j’en suis fier. »

Par où commencer pour être plus authentique sur LinkedIn ?

S’ouvrir davantage sur LinkedIn, d’accord, mais comment ? Chrissie Zavicar recommande d’y aller par étapes. « Il ne faut surtout pas avoir le sentiment de devoir jouer un rôle. Il est important de rester en accord avec vos valeurs. Ne likez pas, ne commentez pas, ne publiez pas un contenu si vous ne le sentez pas à 100%. En revanche, n’hésitez pas à sortir en douceur de votre zone de confort. »
La spécialiste conseille en outre multiplier les essais, d’oser tenter des choses. « Lancez-vous, publiez quelque chose et voyez si ça fonctionne ou pas. C’est une plateforme plutôt sympa, et c’est vraiment une belle opportunité de pouvoir en tirer profit. LinkedIn évolue à vitesse grand V. Les choses bougent, autant bouger avec elles si ce n’est pas déjà le cas. »

Que vous soyez très peu présent sur la plateforme ou, au contraire, un hyperactif de l’autopromotion, voire un pro de la « broetry », pourquoi ne pas réviser votre approche ? Aller vers davantage d’authenticité pourrait susciter plus d’intérêt – et de nouvelles opportunités – que vous ne le pensez.

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Photo d’illustration by WTTJ

Traduit de l’anglais par Sophie Lecoq