« J’ai tout plaqué pour faire pousser des légumes » : récit d'une (re)convertie

Apr 22, 2020

« J’ai tout plaqué pour faire pousser des légumes » : récit d'une (re)convertie

Le confinement, c’est aussi l’occasion d’opérer un retour sur soi, sur ses décisions, sur sa situation personnelle et professionnelle. « Mon activité me convient-t-elle ? A-t-elle du sens pour moi ? » : des questionnements existentiels qui interviennent d’ailleurs souvent dans un contexte où nos quotidiens sont bouleversés. Réinventer sa vie professionnelle, c’est le choix qu’a fait Ophélie Damblé, qui a créé en mai 2017 la chaîne Youtube Ta mère nature après avoir suivi une formation sur l’agriculture biologique qui l’a familiarisée aux différents métiers que ce secteur offre. Cette agricultrice urbaine travaille à son compte depuis maintenant un an et demi en tant que créatrice de contenus et anime des talks et ateliers pour sensibiliser sur la question de l’alimentation. Voici une histoire de tomates, de couteau suisse et de terre, un voyage au coeur de la reconversion d’une femme qui a trouvé du sens suite à une rupture amoureuse. Inspirant.

Tu as 31 ans, mais quand on voit ton CV, on pourrait croire que tu en as 10 de plus !

Oui, c’est toujours un peu bizarre de raconter tout ce que j’ai fait. Parfois je prends du recul et je me demande ce que j’ai foutu (rires). Mais je suis hyper fière de dire qu’aujourd’hui je suis agricultrice et fais pousser des légumes sur les toits de Paris. Même si ça suscite parfois des regards hyper interloqués : « Mais quoi ? T’es agricultrice ? » Avant, quand je travaillais dans la pub ou que j’étais serveuse, j’avais beaucoup plus de mal à dire ce que je faisais. Je parlais plus de mes projets à côté, plus de mes hobbies que de mon métier.

Qu’est ce que tu faisais dans la pub ?

Au quotidien, je m’occupais des réseaux sociaux d’une agence. C’était un vrai boulot planqué. Je faisais deux ou trois posts sur Facebook, Instagram et Twitter par jour, basta. La pub, c’est intéressant parce que ça permet de comprendre comment le système fonctionne, donc j’étais ravie d’être dans l’antre de la bête. Mais, à côté de ça, c’est aussi un peu dénué de sens : tu te prends la tête sur des couleurs qu’on ne verra même pas sur l’affiche, ou sur le petit bonhomme au fond qu’on ne verra pas parce que c’est des pubs qui durent 12 secondes et qu’on fait pas gaffe… J’étais assise devant mon ordi toute la journée et les premiers jours, j’avais des fourmis dans les jambes. Je voyais flou. Mon corps ne comprenait pas pourquoi j’étais assise.

J’étais assise devant mon ordi toute la journée et les premiers jours, j’avais des fourmis dans les jambes.

Et c’est en faisant ce métier que tu t’es dis que tu avais envie de faire quelque chose qui, selon toi, avait plus de sens ?

Non, ça faisait deux, trois ans que je réfléchissais un peu à changer de vie au global. Ça a commencé par le fait d’être végétarienne, je me suis mise à lire plein de choses là-dessus. Ça m’a amené à avoir une vraie réflexion sur l‘impact écologique qu’avait potentiellement le fait d’arrêter de manger des animaux. Et, au-délà de ça, il y avait aussi l’envie de bien manger tout court. Le déclic ça a été la bouffe et mes interrogations sur ce que ce secteur engage en terme d’impact écologique. Si personne ne prend la responsabilité de remettre les mains dans la terre et de faire en sorte qu’elle aille mieux, c’est évident qu’on va mal manger et, de fait, être en mauvaise santé. Car je suis convaincue que c’est la bouffe qui fait qu’on va bien… ou pas ! Très vite, je me suis dit, « je ne peux plus vivre comme avant. Qu’est ce qu’il faut faire dans la vie pour bien manger ? »

Donc, à un moment, tu t’es dit qu’il fallait exercer une activité qui te permette de mieux manger, c’est ça ?

Oui ! Et puis il y avait aussi cette vraie recherche d’autonomie. Quand on y pense, c’est complètement fou de faire pousser sa propre bouffe ! C’est quelque chose qu’on ne sait plus faire, qu’on a oublié. Un des gros problèmes de notre société, c’est justement le manque d’autonomie. Je me suis dit « je ne peux pas mourir avant de savoir faire pousser une courgette ». C’est pas normal, c’est pas logique. Je ne pouvais pas continuer à m’occuper des réseaux sociaux. Ça me paraissait insensé. Maintenant, j’ai un rapport très sacré à la Terre. Je me foutais de la gueule de ceux qui faisaient des câlins aux arbres, mais maintenant, je n’en suis pas loin (rires).

Quand on y pense, c’est complètement fou de faire pousser sa propre bouffe !

Concrètement, qu’est ce que tu fais ?

Mon métier est un peu à l’image de mon CV. Je fais un peu de tout. Je m’occupe à la fois des végétaux : concrètement, je les taille, je fais en sorte qu’ils aillent bien, je les observe, je vérifie qu’ils n’ont pas de maladies, j’enlève les mauvaises herbes, je récolte… Il y a aussi tout l’aspect coordination qui est un peu plus pénible, avec des tas de tableaux Excel pour organiser mon planning, faire le suivi des récoltes, noter combien de temps ça me prend de cueillir tel légume. C’est beaucoup de travail et d’organisation. On appelle ça de la planification. Et puis, mon passif de communication et d’animation me permet de mener des ateliers pour adultes et enfants, gérer tout ce qui est réseaux sociaux, faire de la vidéo, et des petits contenus et formats.

Qu’est ce que tu attends, aujourd’hui, de ton travail ?

Mon grand fil rouge de vie maintenant, je pense que c’est l’autonomie. Mon rêve, “quand je serai grande”, c’est d’avoir ma maison autonome, par exemple. Et du coup, c’est de me dire que je suis capable de tout faire par moi-même et donc, en l’occurrence, de produire ma propre nourriture. Certes, je ne serai jamais entièrement autonome. D’ailleurs je parle d’autonomie, pas d’autarcie. L’idée, ça n’est pas d’être reclus dans un coin mais vraiment d’arriver à s’auto-gérer. Ça me parle, ça a du vrai sens.

Mon rêve, quand je serai grande, c’est d’avoir ma maison autonome.

Tu sens donc aussi que quelque part, tu fais partie de ceux qui se disent qu’ils ne se reconnaissent plus dans le monde de l’emploi tel qu’il l’est aujourd’hui ?

Complètement. Je suis un espèce de produit marketing parfait, je suis l’archétype. J’en rigole avec des copains : j’ai 31 ans, je travaillais dans la pub et maintenant, je cultive des légumes. On est sur le cliché total, et quelque part, on s’en fout. Why not ? J’ai toujours été un cliché. J‘ai été barmaid, musicienne, pigiste… Tant que tu gardes un peu d’autodérision par rapport à ça… ! Mes vidéos (postées sur sa chaîne Youtube Ta mère nature, ndlr) en témoignent : je suis loin d’être une experte de quoi que ce soit. On me voit me rater sur plein choses. L’idée, c’est aussi de ne pas donner de leçons aux gens. Je ne dis pas « il faut se reconvertir parce que la terre va mal et il faut qu’on la sauve » Je dis juste « je ne peux plus continuer comme avant. Alors je vais essayer. Bon, je ne suis pas parfaite. Parfois je bois du Coca, mais je fais au mieux et je vous montre ! »

Qu’est ce qui a été le plus compliqué pour toi ? Tu nous parles de ta reconversion avec un grand sourire, mais ça n’a pas dû être toujours facile, si ?

La reconversion, ça ne vient jamais par hasard. Tu ne te dis pas, après avoir lu trois bouquins, « Ah tiens, allez, je vais m’y mettre. » En général, c’est des déclics assez violents. Il y en pour qui l’élément déclencheur c’est le burn-out, d’autres pour qui c’est un deuil… C’est des choses qui viennent bouleverser ton quotidien. C’est là que tu peux te dire « je peux plus ». Donc oui, ça s’est fait dans la douleur aussi. Dans mon cas, ça a fait suite à une rupture amoureuse, donc ça m’a permis d’envoyer un peu tout bouler au même moment. J’ai abandonné mon ancien projet de webzine dans lequel je m’étais longuement investi pendant 5 ans. Ma relation qui durait depuis 3 ans. J’habitais avec lui, donc on a déménagé. J’ai lâché mon job dans la pub et négocié une rupture conventionnelle, donc ça a aussi été beaucoup de stress. Et tu peux aussi te mettre à dos les gens qui ont cru en toi, c’est le risque.

Tu ne te dis pas, après avoir lu trois bouquins, « Ah tiens, allez, je vais m’y mettre. » En général, c’est des déclics assez violents.

Donc, se reconvertir, c’est un peu comme passer dans une machine à laver ?

Oui, c’est le gros bordel pendant quelques mois. Et encore, je pense que j’ai eu de la chance. J’ai eu l’occasion, pendant ma reconversion, d’aller me former et donc rencontrer plein de gens qui venaient aussi de changer de vie. T’en as, par exemple, qui venaient de divorcer… des choses qui engagent beaucoup plus finalement. Autre exemple : ma coloc’ de l’époque, qui venait de perdre sa fille, ça faisait deux ans qu’elle cherchait du sens à sa vie. Il y a eu, au cours de ces formations, des moments forts. Des moments où on a tous pleuré.

Une fois que tu te lances, j’imagine aussi que ce n’est pas de tout repos. Et c’est pas le grand sourire 24h/24…

Alors déjà, t’as des tonnes de nouvelles informations à intégrer, et tu te laisses un peu submerger. Tu te dis « J’ai tellement de choses à apprendre… C’est la merde ». Un maraîcher se forme jusqu’à la fin de sa vie. Encore aujourd’hui, je me sens tellement petite. Les choses te rentrent dans la tête une fois que tu les a faites pour de vrai en réalité. Parce que j’en ai eu des cours sur la tomate : d’où elle vient, qu’est-ce qu’on fait avec, comment on la plante… Mais tant que je l’avais pas plantée, j’étais incapable de savoir ce que c’était que de faire pousser une tomate.

Un maraîcher se forme jusqu’à la fin de sa vie. Encore aujourd’hui, je me sens tellement petite.

J’imagine aussi que c’est pas non plus la même garde robe que dans la pub… Globalement, ça a dû modifier ton rapport aux choses, non?

Alors je me suis découvert une nouvelle passion pour les outils. J’adore les outils. Je me suis même tatouée un marteau et je songe à me faire tatouer un couteau suisse. Le couteau suisse, c’est mon nouveau meilleur ami. Et le tournevis aussi, c’est mon nouveau truc, tu peux faire tellement de choses avec ! J’ai dû acheter des bottes aussi. Je n’avais pas ça à Paris. À l’époque je m’en fichais, j’avais mes Vans. Mais quand t’as de la boue jusqu’aux genoux, t’es un petit peu obligé d’investir. Mais j’adore, surtout les outils en fait, je trouve ça magique. On a chacun nos outils préférés.

J’imagine ceux qui sont agriculteurs depuis 50 ans se dire « Elle découvre les outils à 30 ans »…

Oui, c’est complètement ridicule. J’ai un peu honte, mais quand ça fait 15 ans que t’es devant un ordi, tu redécouvres comment marche un sécateur. C’est la honte. Comment on a pu oublier des choses pareilles ? C’est ça qui est fou. J’ai eu des petits moments de recul comme ça en formation. Je me disais « Là, on apprend quand même la base : comment on a pu passer à côté de choses pareilles ? » Ben écoute, maintenant, j’ai 31 ans, je me m’y mets pour de vrai et ça fait du bien.

J’ai un peu honte, mais quand ça fait 15 ans que t’es devant un ordi, tu redécouvres comment marche un sécateur.

Financièrement, une reconversion, c’est aussi un pari. Comment, financièrement, es-tu passée d’un métier à un autre ?

C’est clair qu’il faut vraiment pas se lancer n’importe comment. Moi, j’ai eu la chance de négocier une rupture conventionnelle avec mon ancienne boite, ce qui m’a permis de toucher le chômage et d’avoir un an et demi devant moi. La pub m’a permis aussi de mettre de l’argent de côté et de pouvoir payer ma formation parce que je n’ai pas réussi à la faire financer par Pôle emploi. Donc il y a des choses comme ça sur lesquelles il faut vraiment réfléchir en amont. Ma formation a coûté 2 200 euros pour deux mois et demi, ça les valait. C’est une chance aussi parce que, dans le milieu agricole, on est plutôt sur un SMIC, soyons lucides. Là en ce moment, avec le statut d’auto-entrepreneur, c’est vrai que je n’ai pas d’énormes prétentions salariales. De toute façon, c’est des métiers où on est plutôt sur une fourchette entre le SMIC et 2 000 euros par mois max.

Et dans la pub justement, t’étais à plus de 2 000 ?

J’étais à 2 000 net. Après, je n’ai jamais voulu faire carrière dans la pub. Finalement, la pub, c’était une petite pause d’un an dans mon parcours WTF. C’était la première fois que je gagnais bien ma vie. Depuis le départ, je bosse dans le milieu culturel, dans de la pige… J’ai été intermittente, donc j’ai toujours été dans la précarité. Et ça me va ! Depuis gamine je sais que je veux faire des métiers qui ne rapportent pas d’argent.

C’est une sorte de maxime de vie ?

Quand j’étais gamine déjà je voulais bosser dans le théâtre. À l’origine donc, j’avais cette conscience que ça allait être galère. Je suis la “girl next door” donc je savais dès le départ que je serai pas une grande actrice, mais ça me convenait. En réalité, je n’ai pas de “prix”. Tant que je peux payer mon loyer, ma bouffe, c’est OK. Je n’ai pas de grandes aspirations financières. C’est ancré depuis le début que ça va être le bordel dans ma vie et je crois que je me suis un peu laissée porter par toutes les opportunités qui se sont présentées et finalement, maintenant, j’ai l’impression de m’être trouvée. Mais je sais depuis le départ que ça va être précaire et ça m’a jamais dérangé de faire des petites jobs alimentaires juste pour pouvoir être pigiste à côté et vraiment écrire pour des trucs qui me plaisent pour de vrai. Je fais partie de la classe moyenne. J’ai des parents profs, donc j’ai jamais été dans le besoin. C’est une chance aussi. J’ai jamais eu ce besoin de gagner beaucoup d’argent, mais parce que j’ai jamais manqué de rien non plus. Donc, c’est finalement ça aussi qui me fait pas trop stresser, je pense. Je me dis que, quoi qu’il arrive, j’aurai toujours mes parents. Alors ils gagnent pas des 1000 et des 100 ; la retraite, quand t’es prof, ce n’est pas non plus la folie, mais je sais que ça va rouler. C’est aussi parce que là-dessus je ne suis pas en danger que je peux me permettre de me reconvertir.

Mais je sais depuis le départ que ça va être précaire et ça m’a jamais dérangé de faire des petites jobs alimentaires juste pour (…) des trucs qui me plaisent pour de vrai.

Tu as grandi où d’ailleurs ?

Je viens du Sud-Ouest. Le fin fond de l’Ariège. Je suis née à Foix. Mon premier job, c’était à 14 ans, dans les champs de maïs avec mes copains de classe. On pouvait bosser pendant 2-3 semaines pour “castrer le maïs”, comme on dit. Et c’est des supers souvenirs mais c’était super dur. Je me souviens de la première paie que j’ai reçue. J’avais trop hâte, j’étais trop contente. Quand j’ai vu le montant, je me suis dit « What ? Mais c’est quoi ce truc? ». C’est là que je me suis dit que ça allait être dur, que la vie allait être compliquée.

Compte instagram : @ophelietamerenature

Ce témoignage est issu de l’épisode « Celle qui a trouvé du sens » de notre série de podcasts Le Bureau. Pour découvrir d’autres histoires de travail, qui questionnent ce qu’on met de nous dans ces milliers d’heures passées au travail, rendez-vous sur notre page dédiée.

Suivez Welcome to the Jungle sur Facebook, LinkedIn et Instagram ou abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir, chaque jour, nos derniers articles !

Photo d’illustration by WTTJ

Topics discussed