L'activité manuelle peut-elle sauver le lien social en entreprise ?

Mar 19, 2021

7 mins

L'activité manuelle peut-elle sauver le lien social en entreprise ?
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Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

La poterie en équipe peut-elle sauver le lien social en entreprise ? Une question un brin surprenante à première vue. Pourtant, de plus en plus d’entreprises cherchent des moyens innovants pour resserrer les liens et remonter le moral des salarié·e·s clairement dans les chaussettes. La moitié des salarié·e·s sont en situation de détresse psychologique, dont 20 % en détresse élevée. Après les « Zoom apéros », les « Zoom chats » ou encore le « Zoom sport » entre collègues, d’autres formes d’activités collectives émergent : les ateliers créatifs et manuels. L’idée ? Renouer le collectif autour de passions communes et le plaisir de la création manuelle après de longues heures de travail virtuelles en solitaire. Tenté·e par l’aventure des « néo-teambuildings » ? On décrypte pour vous l’intérêt et quelques bonnes pratiques pour se lancer dans ces ateliers atypiques.

Ateliers manuels & télétravail : une piste sérieuse pour (re)dynamiser les équipes ?

Se retrouver : un besoin largement exprimé par les salariés

Une enquête réalisée par Harris Interactive en novembre 2020 pour le ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion souligne que le fait de télétravailler 5 jours sur 5 représente un véritable effort pour les salarié·e·s. En effet, 4 salarié·e·s sur 10 se sentent isolé·e·s et 3 sur 10 déclarent mal vivre cette situation au quotidien. Le besoin d’être ensemble est prégnant depuis les différentes vagues de confinement. Les moins de 29 ans sont les plus intensément touchés et affichent un taux de détresse psychologique de 70 %. Ils sont « en perte de repère, vivent plus fortement l’effet du confinement […], de l’isolement social », souligne Christophe Nguyen. « Ré-unir n’a jamais été autant le mot juste malgré les efforts durant toute l’année pour continuer à faire entreprise », insiste Benoît Serre, vice-président délégué de l’ANDRH.

Pour y faire face, les entreprises ont donc lancé diverses initiatives pour recréer de la proximité et du lien. On a vu se multiplier les e-rassemblements en tout genre : e-cafés, e-apéros, groupes en ligne dédiés aux blagues sur le confinement, e-sport, jeux en réseau, e-concours, ou groupes de recette de cuisine, de bons plans pour occuper les enfants, de photos partagées pour les passionnés d’animaux domestiques… Mais après cette déferlante virtuelle dans tous les aspects de nos vies, le besoin d’être plus ancré·e et au contact de la matière est palpable. D’où le succès des sessions de bricolage ou travaux manuels dans la sphère privée. Dès le premier confinement, un tiers des Français·es indiquent davantage faire des travaux d’entretien ou bricoler. Près d’un tiers des répondants disent pratiquer des loisirs créatifs. Viennent ensuite les activités de couture/tricot et la réparation/customisation de meubles pour un quart des Français·es. Ces nouvelles habitudes se transposent dans l’univers professionnel où les activités créatives, en collectif, font l’unanimité : peintures, dessins, poterie, pain… « Le digital s’est totalement immiscé dans notre quotidien : nous sommes constamment cloués à l’ordinateur. Se tourner vers le manuel nous permet de décrocher et nous force à prendre le temps. De plus, lorsque l’on utilise nos mains, on se reconnecte à la sensibilité, au toucher. C’est un vrai besoin alors que la distanciation physique régit notre vie sociale », explique Edouard Eyglunent, fondateur de Wecandoo, plateforme web qui met en lumière les savoir-faire d’artisans locaux en proposant des ateliers à destination des entreprises et des particuliers.

Travaux manuels : une solution au mal-être des équipes en télétravail ?

Au-delà du lien social qu’ils créent de fait, les travaux manuels amélioreraient aussi notre santé psychologique. Un point intéressant alors que 48% des collaborateur·rice·s indiquent que la première vague de la crise a amplifié leur niveau de stress. Pire, d’après une Enquête de Santé Publique France, le nombre de personnes touchées par un état dépressif est en hausse depuis l’automne 2020 : près de 21%, soit un Français sur cinq est concerné. Or, selon la neuroscientifique Dr Kelly Lambert de l’Université de Richmond, toutes ces tâches manuelles génèrent un grand bien-être dans notre cerveau, à tel point qu’il nous envoie des endorphines, réduisant le stress et même l’anxiété jusqu’à réduire le risque de dépression.

En effet, toucher, sentir, mouler, tisser, jardiner ou encore peindre activent notre circuit neuronal de la récompense. Cela modifie la physiologie et la réponse chimique du cerveau qui libère des endorphines, de la sérotonine et réduit l’hormone cortisol associée au stress… De plus, la connexion main-cerveau améliore le développement neuronal : grâce à la plasticité du cerveau, de nouvelles connexions sont créées. Avec la création ou la transformation, on obtient un résultat satisfaisant, ce qui agit aussi sur les émotions positives. Et celles-ci sont facteurs de motivation, ce dont les salarié·e·s ont grandement besoin ! Alors, quel est l’intérêt des ateliers collectifs manuels à distance ? « Ils offrent une fusion entre deux besoins fondamentaux pour les collaborateur·rice·s aujourd’hui : celui de créer en se reconnectant à l’instant présent et la matière, avec celui de se retrouver. Le digital devient simplement un moyen pour vivre une expérience collective autour d’un savoir-faire », souligne Edouard Eyglunent.

Comment lancer des sessions créatives et manuelles impactantes pour vos équipes ?

Choisir un format d’atelier engageant

Les ateliers manuels, initialement réalisés en présentiel avec des artisans locaux, ont pour la plupart été revisités pour répondre aux contraintes sanitaires. Côté logistique ? Soit une liste d’objets à se procurer est envoyée aux participant·e·s, soit un kit leur est directement posté avec l’ensemble des éléments nécessaires. « Que ce soit pour créer du fromage, travailler le cuir ou le béton… le fait de recevoir un kit est un élément concret », explique Edouard Eyglunent. Quant au nombre de participants : en fonction de l’atelier, les formats varient entre 5 et 25 personnes afin de laisser la place à l’interactivité et les échanges entre l’artisan et les salarié·e·s apprenant·e·s. L’objectif reste de créer une dynamique de groupe. Mais des ateliers à plus grande échelle (sans limitation) existent lors d’événements corporate : fêtes de fin d’année, rendez-vous annuels… L’enjeu reste de maintenir ces moments conviviaux malgré la distance. Un point critique selon Maylis Daru, RH au sein de Moet Henessy Estates & Wines (LVMH) qui a initié des ateliers créatifs pour ses équipes : « En ces temps de crise sanitaire provoquant une importante dispersion de nos équipes, il nous a paru indispensable d’organiser des moments collectifs pour nos collaborateurs, mêlant cohésion et évasion. »

Répondre à des problématiques RH identifiées

Ces sessions créatives sont de plus en plus convoitées par les entreprises car elles répondent à des problématiques RH et culturelles clés. Edouard Eyglunent en identifie trois majeures : « Il y a d’abord un sujet autour du turn-over : pour éviter les départs dans les équipes, la réponse est souvent celle de créer du lien, surtout à distance. Ensuite, pas mal d’entreprises nous contactent car elles ont plusieurs filiales en France et à l’international. Or, avec la crise sanitaire, il est impossible de rassembler les personnes comme c’est souvent le cas une fois par an. Puis, lorsqu’il existe un glissement de culture : une culture se cimente et se vit par le lien. Il faut donc, parfois, se retrouver et travailler collectivement les valeurs. Pour cela, la co-création est un moyen de re-builder son équipe. » Dans cette optique, la récurrence des ateliers peut être pertinente, notamment en temps de crise. Maylis Daru corrobore : « Nous avons notamment lancé l’atelier terrarium qui a permis aux équipes de se concentrer sur quelque chose de nouveau, d’accroître le sentiment de cohésion mais surtout de provoquer une excitation auprès de nos collaborateurs. En période de Covid, il paraît essentiel d’apporter des petites étincelles à nos équipes ». Le CSE de Wavestone a également cherché à se réinventer en cherchant des moyens innovants d’organiser des rendez-vous collectifs malgré les conditions sanitaires contraignantes : « De nombreux événements n’ont pas pu se tenir en présentiel en 2020 et le budget restant a permis de pouvoir envoyer à 1 200 collaborateurs des boxes de fêtes de fin d’année et commencer l’année d’une manière positive. »

Bien penser son déploiement en fonction de l’organisation

Chaque déploiement dépend de l’entreprise, de sa culture ou encore de son organisation. Mais il existe de grands types de demande selon Edouard Eyglunent : « Elle peut émaner soit d’un groupe de travail interne qui souhaite co-créer un teambuiling. Ou, cela peut être une demande plus “bottom-up” : un questionnaire est envoyé aux salariés, comme une boîte à idées, ce sont eux qui expriment les thématiques qu’ils souhaitent suivre. » Dans tous les cas, les entreprises qui font appel à ce type d’événements sont essentiellement issues du tertiaire, « où le digital est monté d’un cran pour les salarié·e·s 100% en télétravail depuis mars 2020 ». De même, les start-up sont particulièrement friandes du teambuilding manuel car « très attentives au bien-être de leurs équipes ».

Soigner l’approche et lancer des ateliers attractifs

En amont, l’approche de ce type d’ateliers - la co-création manuelle - doit être clairement expliquée aux salarié·e·s pour qu’ils/elles en comprennent les bénéfices. « Le do-it-yourself est très en vogue mais l’idée est d’aller plus loin en proposant du do-it-together. Certes, chacun reçoit son kit individuellement, mais l’équipe se met au diapason pour réaliser un objet et partager tout le processus de création », insiste Edouard Eyglunent. Ensuite, il s’agit de proposer des ateliers qui marchent et donnent envie ! Tout ce qui fait appel aux sens et au toucher fonctionne très bien. Cocktails, chocolat, whisky, Kokedama (un art végétal japonais), vin, parfum et maroquinerie.

Ateliers manuels : des effets systémiques à prendre en compte pour traverser 2021 ?

Pour finir, les ateliers manuels auraient des effets positifs à la fois sur l’individu, le collectif et l’entreprise. En effet, « la création manuelle et collective impulse des vocations », raconte Edouard Eyglunent. « Une fois que les participant·e·s ont découvert ou redécouvert l’usage de leurs mains, ils se lancent de leur côté. » Ce qui engendre un rebond positif chez les salarié·e·s d’après les feedbacks que reçoit Wecandoo : « Ils/elles parlent souvent d’alignement avec eux/elles-mêmes et de confiance en soi retrouvée alors que beaucoup n’ont plus de repères ». Ce nouveau rapport à soi, plus apaisé, facilite aussi le travail en équipe. Et, par extension, la performance collective : « C’est une question d’ancrage mental : il est plus simple de travailler avec une personne avec qui nous avons passé un bon moment. Au final, cela renforce le travail collaboratif, surtout à distance. » Cette émulation collective a été ressentie chez Wavestone. « Nous étions fiers de partager les photos de nos réalisations et d’échanger sur ce que nous avions appris collectivement. Nous poursuivons les ateliers de manière mensuelle », souligne le représentant du CSE.

En somme, c’est une démarche aux effets systémiques, qui, si elle est bien construite, rapporte aussi à l’entreprise. Pourquoi pas une idée à tenter pour aider son entreprise et ses équipes à (mieux) traverser et tirer parti des effets de la crise ?

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