Chômage de longue durée : des clés pour mieux le vivre

17. 9. 2020

10 min.

Chômage de longue durée : des clés pour mieux le vivre
autor
Gabrielle de Loynes

Rédacteur & Photographe

Que se passe-t-il dans la tête d’une personne au chômage de longue durée ? Comment garder le moral ? Comment tenir l’effort et la motivation au long cours ? Ne pas fléchir, ne pas faiblir, rester focus sur son objectif… Loin des clichés du « paria fainéant qui profite des allocs », le chômeur se débat, il se démène et parfois s’épuise. Bref, le chômeur ne chôme pas ! On est allé à la rencontre de ceux, ou plutôt de celles, qui s’en sont sorties, ou qui pataugent encore dans cette période transitoire qui a fini par s’installer. Quand le chômage malmène l’estime de soi, Vanessa Lauraire, psychologue du travail et psychothérapeute, nous livre les clés pour tenir bon et rester positif.

Chômeurs de longue durée, qui sont-ils ?

Il existe bien des clichés stigmatisant sur les chômeurs de longue durée. Longtemps dénigrés par une société élitiste, on disait d’eux qu’ils sont « fainéants, assistés, profiteurs, un poids pour la société… », déplore Vanessa « car le chômage fait peur depuis des décennies. C’est l’ennemi à combattre ! Et être au chômage c’était un peu la honte ». Mais quelle réalité se cache aujourd’hui derrière ce triste préjugé ?

Petit état des lieux dans l’hexagone

Au sens de la loi, le chômeur de longue durée est une personne active qui se trouve en situation de chômage depuis plus de 12 mois. Selon les derniers chiffres de l’OCDE en 2019, en France 38,8% des personnes au chômage l’étaient depuis plus d’un an. Mais il y a bien d’autres formes de « chômage longue durée ». Comme lorsque l’on n’a pas, ou plus, le droit à l’indemnité chômage et que l’on cumule les jobs d’intérim, stages, travaux saisonniers et autres contrats précaires…

« Les situations de chômage longue durée revêtent des réalités très différentes. Cela peut concerner des jeunes diplômés qui n’ont pas obtenu un premier emploi par discrimination, des personnes qui ont subi un plan de licenciement économique, ou encore des seniors qui ont vu leur poste supprimé, continue-t-elle. Il faut dire que le marché de l’emploi est pour le moins exigeant. Entre 20 et 30 ans on est junior, à partir de 45 ans on est considéré comme senior et, entre les deux, les femmes font des enfants ! Tout ceci sans parler des personnes en situation de handicap ou des exigences de diplômes »

Ni parias, ni assistés : tous concernés

Personne n’est à l’abri d’une période de chômage. Parfois, le sort s’acharne et la situation s’éternise. La personne au chômage de longue durée est un actif qui a perdu son emploi, ou n’a jamais trouvé chaussure à son pied. Un parcours atypique, un manque de confiance en soi , une hésitation et on se retrouve vite sur le carreau… pour longtemps. Astrid et Blanche, la trentaine, en ont fait les frais. Fraîchement diplômée, Astrid se pose des questions sur son parcours. Engagée dans une orientation qui n’est pas la sienne, elle n’est pas très motivée. Alors elle cumule trois années de chômage, ponctuées d’un stage et d’un job en intérim, abandonnant pas à pas son estime de soi. Quant à Blanche, elle est manager en recrutement lorsque son entreprise met la clef sous la porte. S’ensuit une longue et éprouvante année de chômage où elle enchaîne les processus de recrutements interminables et collectionne les refus. Au bout du tunnel, elle finit par trouver le job qui lui convenait…

Le chômage qui dure : un chemin d’humilité et de croissance

« Au début, s’amuse Astrid, j’ai pensé : cool je vais avoir des vacances ! Mais aujourd’hui, je me rends compte que cette période de chômage me demande beaucoup d’énergie, raconte-t-elle. J’ai l’impression d’avoir traversé deux fois le Sahara avec une seule gourde d’eau. Je suis à sec ! » De son côté, Blanche aussi pensait que le chômage serait l’occasion de souffler. Mais rapidement, elle se confronte à la dure réalité. « Au fur et à mesure, ma confiance s’est effritée, notamment socialement, confie-t-elle. Ça devenait très difficile de se rendre à des dîners, d’entendre chacun parler de sa journée, se plaindre de son boss… J’avais honte de ma situation. »

« Le travail au sens de l’emploi a une valeur sociale forte, analyse Vanessa. On s’identifie à son job, avec la question “qu’est-ce que tu fais dans la vie ?” On a surinvesti l’épanouissement qu’on y trouve. » Toujours est-il que, lorsqu’il est exercé dans de bonnes conditions, « il pourvoit à remplir nos besoins, poursuit-elle, en référence à la pyramide de Maslow, avec la sécurité du salaire à la fin du mois, l’appartenance à un groupe social, l’estime de soi par l’activité exercée et l’accomplissement de soi par le sens que son emploi donne à sa vie…» La personne en situation de chômage longue durée n’a plus cette possibilité, « elle doit ainsi trouver un nouvel équilibre, en commençant par se (re) construire une identité au-delà de celle que lui donnait son (ex) emploi », conclut Vanessa.

Pour la psychologue, le chemin du chômeur de longue durée peut s’apparenter à celui de la courbe du deuil, imaginée par la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross, rencontrant 9 étapes :

  • le choc, la sidération
  • le déni,
  • la colère,
  • la peur, la dépression
  • la tristesse
  • l’acceptation
  • le pardon
  • la quête de sens et du renouveau
  • la sérénité et la paix retrouvée

Dans la descente, on perd peu à peu ses repères. Le chômage est un dur chemin d’humilité. « J’ai perdu mon job, dit Blanche. J’ai dû rendre mon appartement. Pour économiser, je suis rentrée chez mes parents. Ça m’a fait un coup : 30 ans, au chômage, chez ses parents… » Mais une fois passée la phase descendante, dont la durée varie en fonction de chacun, la personne en situation de chômage remonte progressivement la pente…

Retour à l’emploi : 9 clés pour rester motivé

Le chômage n’est pas une fatalité. C’est une situation transitoire. Pas de quoi dramatiser donc. Ce qu’il faut, c’est fixer son cap, avancer vers lui et tout mettre en oeuvre pour l’atteindre sans jamais chavirer. Voici quelques balises posées par Vanessa pour ne pas dévier sa trajectoire…

1. Rester actif

« La personne en situation de chômage est considérée par la société comme appartenant au nombre des ‘actifs’, insiste Vanessa. Il s’agit ainsi de le rester. L’emploi structure la vie quotidienne, le planning de la journée, poursuit-elle. Mon premier conseil est donc de conserver un rythme et structurer sa journée comme la personne au travail le fait »

Le chômage place l’individu face à lui-même et ses responsabilités. Il n’a plus d’obligations. Alors, la tentation devient grande de se laisser aller. C’est donc le conseil phare de Blanche pour rester en piste. « Il faut s’exiger une tâche par jour, s’exclame-t-elle. On a tous besoin de construire quelque chose, alors chaque jour on s’oblige une activité stimulante intellectuellement ou physiquement. » Depuis quelques temps, Astrid l’a bien compris. « J’ai réussi à mettre ma routine en place et rien que d’y penser, ça me motive. Je me lève tôt, je travaille sur un projet perso, je me balade à heure fixe, je me suis inscrite à la salle de sport… En fait, j’avais besoin de m’imposer un cadre », résume-t-elle.

2. Se faire aider

Le chômage plonge de nombreuses personnes dans la solitude et l’isolement. « Il ne faut surtout pas rester seul, avertit Vanessa, mais plutôt demander de l’aide. » Il existe plein de structures pour être accompagné dans ce parcours : Pôle emploi, des associations pour la réinsertion (l’Avarap, l’Afij, Force femmes, l’AC, Café contact emploi, ou encore SNC)… « En situation de chômage, il ne faut pas hésiter à se rendre auprès de ces acteurs, incite la psychologue. Il faut en profiter pour repenser son parcours professionnel, faire le bilan pour prendre conscience de ses compétences, expertises, mais aussi de ce que l’on ne veut plus et de ses envies. »

« La période de chômage, reconnaît Astrid, est une difficulté abyssale. Elle oblige à une remise en question globale. » Elle n’a d’ailleurs pas lésiné sur les moyens pour avancer. Coaching, sessions d’immersion professionnelle, elle a aussi fait appel à l’Avarap pour réaliser un bilan de compétences. « J’ai beaucoup aimé leur accompagnement, assure-t-elle, notamment ce qu’ils appellent ‘les réalisations probantes’, qui permettent de réaliser ce qui nous a plu dans une expérience passée. C’est une technique qui aide à décortiquer concrètement à partir d’une réalisation personnelle ou professionnelle, les compétences dont on a fait preuve. Au chômage, on est beaucoup dans notre tête, nos pensées sont ruminées, il faut du concret. »

3. Se réinventer

À la question fatidique : « Tu fais quoi dans la vie ? », Astrid s’amuse à répondre : « Je suis saltimbanque. » Plus sérieusement, elle ajoute : « Je cherche ma vocation, ou encore, précise-t-elle en riant, je suis en conception d’un nouvel être humain : moi-même. » Mais au fond, Astrid déteste cet usage social. « Je pense qu’on est autre chose que son boulot, je ne me réduis pas du tout à ça. Ce n’est pas parce que je n’ai pas de job, que je suis nulle ! C’est juste qu’en fonction de mes compétences je n’ai pas encore trouvé celui qu’il me faut », revendique-t-elle.

« Lorsqu’on est confronté au chômage, il faut savoir se réinventer, complète Vanessa. Il est nécessaire de savoir se définir et de ne pas se présenter sous l’unique angle de son emploi. C’est son “identité narrative”, l’histoire que je raconte de moi, qu’il s’agit ici de renouveler. » Au fond, il y a deux façons de voir les choses : soit « je suis au chômage », soit « je suis en réinsertion professionnelle, dans une quête personnelle, avec tous les projets que cela implique ». Réapprendre à se présenter en société et à affirmer son identité en dehors de son statut de demandeur d’emploi est un levier essentiel pour ne pas perdre ou retrouver l’estime de soi.

4. Devenir bénévole

Le chômage pose aussi la question du sens que l’on donne à sa vie. « À quoi je sers ? En quoi suis-je utile ? » Pour répondre à cette quête de sens et d’appartenance, la psychologue propose de s’investir dans une activité bénévole quelle qu’elle soit. « Cela permet de se sentir moins isolé, de créer du lien et de se sentir utile, souligne-t-elle. Être sans emploi, ne veut pas dire être sans travail ! Il s’agit de faire des activités qui nous plaisent et nous ressourcent et qui apportent ainsi de l’énergie psychologique pour faire le reste… »

Astrid en a fait l’expérience. Dès les premiers jours de son chômage, elle s’est investie auprès d’une association en Irak, puis en France où elle a donné du temps pour l’organisation d’un événement caritatif. Des missions qui lui ont permis d’élargir ses horizons, de prendre du recul et d’acquérir de nouvelles compétences. Quant à Blanche, elle n’a pas eu à chercher très loin. À la maison, elle a redoublé d’attentions pour sa maman malade. Autant de moments passés au service de l’autre, loin de ses préoccupations, où elle a appris à relativiser…

5. Prendre soin de soi

Il est facile de se laisser aller lorsque les choses vont mal. La lassitude, la frustration et la démoralisation peuvent faire sombrer dans la tristesse. « Il faut prendre soin de soi pour conserver une bonne estime de soi, relève la psychologue, particulièrement en période de chômage. Au niveau physique d’abord : s’habiller le matin, se coiffer, se maquiller ou se raser… Et aussi s’accorder des vacances, et du repos. On ne peut pas être en recherche d’emploi 24 heures sur 24. »

Pour se changer les idées et ne pas mettre sa vie entre parenthèse, Astrid a décidé de passer son permis. « Au chômage, il est essentiel de se fixer un objectif perso atteignable et se donner du temps pour le remplir », soutient-elle. Ainsi, lorsque sa recherche d’emploi ne porte pas de fruit, Astrid peut se reporter à cet objectif personnel qui sera bientôt soldé de succès. Pour Blanche, le salut se trouve davantage dans la pratique sportive. « Je me suis mise à fond dans le footing et le Pilates pour me détendre, se réjouit-elle. Je me suis aussi interdit de geeker et regarder des séries. Le soir, en m’endormant, j’étais fière de moi et satisfaite de ma journée. »

6. Croire en soi

Depuis quelque temps, Astrid ne se sent pas à la hauteur. « Au début, je pensais tout le temps que je n’étais pas assez formée, se souvient-elle. Maintenant, je trouve un peu brutal de se remettre dans un emploi après une longue période de chômage… Je m’aperçois que j’ai du mal à gérer mon stress. » Le temps passé hors du marché du travail l’a conduit à se dévaloriser. « J’ai peur des jobs méga responsabilisant, confesse-t-elle. Et au lieu d’un poste de chef de projet qui me conviendrait, je ne regarde que les offres ‘assistante chef de projet’. »

Il est vrai que pour beaucoup, les entretiens et les refus sont une épreuve. « Je trouvais tellement usant ces processus de recrutement à répétition, ces entretiens sans cesse, témoigne Blanche. Les process inaboutis sont de véritables ascenseurs émotionnels. Le plus dur était de garder la tête haute et de rester joyeuse alors que j’avais envie de pleurer. » Pour sortir de ce mauvais pas, Vanessa nous incite la vigilance. Méfions-nous de nos pensées négatives qui tournent en pilote automatique. Être en situation de chômage ou se faire évincer d’un processus de recrutement ne préjuge pas de vos capacités réelles. « Dites-vous plutôt que ce n’est pas “vous” qu’on refuse, mais que vos compétences ne correspondent pas, propose la psychologue, dit-elle. Un refus ne doit pas être pris personnellement. Ce n’est pas une raison pour se remettre en cause systématiquement et se dévaloriser. »

7. Rester soi-même

Il faut encore se méfier de l’attitude qui consiste à cherche un job à tout prix. « Être au chômage c’est aussi apprendre à rester soi-même, relève Vanessa. Ne jouez pas un rôle pour entrer dans une case qui n’est pas la vôtre, soyez authentique. » Le jeu de rôle, Astrid s’en souvient : « J’ai longtemps voulu être quelqu’un d’autre. Je me suis mise à chercher un job dans l’événementiel parce qu’on me disait que j’étais faite pour ça. Mais en fait ce n’est pas moi ! » Aujourd’hui, elle a compris : « Mon défi est de m’accepter telle que je suis. »

8. Bien s’entourer

« Il y a des personnes très carriéristes que je ne vois plus trop, avoue Astrid à demi-mot. À chaque fois que je les voyais, elles me renvoyaient l’image d’une éternelle étudiante. Depuis, je m’entoure exclusivement de personnes positives qui ne me jugent pas. » L’entourage a un rôle important à jouer dans la motivation d’une personne en situation de chômage de longue durée. « D’une manière générale, il faut prendre de la distance, précise Vanessa. Il ne faut pas se laisser déstabiliser par les jugements des autres et les injonctions sociales. Au contraire, il est bon de garder son cap et s’entourer de personnes bienveillantes. »

9. Être indulgent

L’idéal est bien sûr de suivre à la lettre tous ces précieux conseils. Mais parfois, on n’y arrive pas, on n’est pas prêt. « Il faut accepter de passer par un temps de tristesse, appuie la psychologue. Vous aurez certainement des moments de lassitude, alors soyez indulgent avec vous-même. Ne restez pas seul, faites-vous accompagner. » Si vous êtes en difficulté, poussez les portes du centre d’action sociale de votre ville ou d’une association.

Pour traverser cette période délicate, Blanche a pu compter sur le soutien de sa famille et ses amis. Et, après une longue phase de réflexion, elle a fini par se faire confiance et voler de ses propres ailes. « J’ai décidé de choisir un domaine qui me convenait pleinement, quitte à ce que mon job soit moins bien payé, énonce-t-elle. J’ai candidaté pour une entreprise à visée sociale et je me suis battue pour ce poste. Et je l’ai eu ! En plus d’être un job vraiment épanouissant, je suis très contente de retrouver le rythme des journées de travail », s’enthousiasme-t-elle.

« Finalement, le chômage c’est plus fatigant que de travailler ! », conclut Astrid. C’est une période exigeante où il faut faire preuve de persévérance. Cela nous pousse à sortir de notre zone de confort. « Plus le temps passe, plus le chômage nous apprend à renouer avec nos besoins profonds, se réjouit-elle. Cette période nous oblige à remettre du baume au cœur de notre vie, sinon le risque est de devenir sec et frustré. Comme le dit le philosophe Sénèque : la vie, ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie… »

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Photo d’illustration by WTTJ

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